Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 201

Le mardi 21 mai 2024
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le mardi 21 mai 2024

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie

L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, nous avons souligné le 17 mai dernier la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. C’est pourquoi je tiens à remercier aujourd’hui les parlementaires canadiens impliqués dans le Caucus canadien de la Fierté, qui vise à promouvoir l’avancement des droits des personnes 2ELGBTQI+. Les membres de cette communauté et leurs parents peuvent ainsi avoir l’assurance que des parlementaires jouent un rôle d’anges gardiens au Parlement du Canada.

Mes remerciements visent particulièrement le coprésident et cofondateur de ce caucus, le sénateur René Cormier, pour son implication dans cette cause, mais aussi pour sa bienveillance à mon égard, car depuis 2018, mon fils, le benjamin de la famille, a commencé à manifester des comportements transidentitaires que je n’ai pas vus venir, mais qu’il a pressentis.

Mon fils de 24 ans était on ne peut plus hétérosexuel, beau garçon, populaire auprès des filles, sportif et artiste en son genre. Quand son amoureuse, étudiante en photographie, a commencé à prendre des photos artistiques d’elle-même en compagnie de mon fils travesti en fille, je n’ai rien soupçonné par rapport à son identité de genre. Ces photos étaient tellement belles et romantiques; de véritables tableaux!

Peu à peu, le travestissement a laissé place à des tenues vestimentaires quotidiennes androgynes. La barbe a disparu au profit d’une peau lisse. La relation amoureuse, qui devait être pour la vie, a pris fin après six ans. C’est alors, il y a moins d’un an, qu’il nous a annoncé qu’il allait commencer à prendre des hormones, qu’il changeait son prénom et qu’il était « elle ».

Mes lectures sur la transidentité m’ont appris que cette histoire est plutôt typique et banale. Cependant, pour un parent, elle ne l’est pas. J’ai quelques amis d’enfance et membres de ma famille élargie qui, adolescents, se sont avérés homosexuels. Une fois connue, cette réalité n’a rien changé ni à leur apparence ni à ce qu’ils étaient et qu’ils sont toujours. L’incongruence de genre est un phénomène différent et difficile à comprendre, qui implique un changement d’apparence et d’identité.

Cette réalité existe pourtant depuis toujours. On en a trouvé des preuves en Égypte et dans la Rome antique. La transidentité est souvent associée au travestissement. Plusieurs sociétés acceptent de manière bienveillante les personnes transgenres, comme les peuples autochtones d’ici et certaines communautés asiatiques. C’est une réalité néanmoins méconnue dont la fréquence est difficile à estimer, en raison des nombreux obstacles que ces personnes doivent surmonter avant de s’affirmer.

Chers collègues, les phénomènes transgenres et non binaires ne sont pas une mode. Il faut respecter le courage des personnes qui osent briser le code. En terminant, j’aimerais dire que le plus important comme parent n’est pas de comprendre, mais bien d’accepter l’identité de genre et de sexe de son enfant. La lutte contre l’homophobie et la transphobie se fait aussi à la maison, dans des relations parents-enfants qui doivent être empreintes de respect, de bienveillance et d’amour. Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Les Warriors de Moose Jaw

Félicitations pour avoir remporté le Championnat de la Ligue de hockey de l’Ouest

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je suis très heureuse de prendre la parole aujourd’hui pour féliciter les champions de la Ligue de hockey de l’Ouest, les Warriors de Moose Jaw.

Les Warriors ont eu un parcours incroyable pendant les séries éliminatoires de la Ligue de hockey de l’Ouest. Au cours de ses 20 matchs de séries éliminatoires cette année, Moose Jaw n’a subi qu’une seule défaite en temps réglementaire. Les habitants de Moose Jaw sont ravis d’encourager leurs Warriors bien-aimés, qui ont connu la meilleure saison de leur histoire. Il s’agit du premier championnat de la Ligue de hockey de l’Ouest que les Warriors de Moose Jaw ont remporté en 40 ans d’histoire.

Les Warriors ont commencé ces séries éliminatoires remarquables en remportant des victoires sur les Wheat Kings de Brandon et les Broncos de Swift Current. Ensuite, Moose Jaw a affronté les Blades de Saskatoon dans le cadre d’un championnat de la conférence de l’Est à saveur toute saskatchewanaise. Les Warriors ont remporté cette passionnante série de sept matchs, dont six ont nécessité une période supplémentaire, y compris le match décisif. Il s’agit là d’un record de la Ligue canadienne de hockey.

Après cela, les Warriors ont affronté les Winterhawks de Portland dans la finale de la Ligue de hockey de l’Ouest. Ils ont sidéré le public américain en remportant les deux matchs à Portland. Ils sont rentrés au pays avec une avance de 2-0.

La semaine dernière a marqué un événement important pour Moose Jaw et son magnifique aréna. Au début de la semaine, le groupe légendaire Foreigner a mis le feu à la patinoire et, avec ses chansons Urgent, Hot Blooded et Cold as Ice, a su donner aux Warriors le sentiment d’urgence et l’énergie nécessaires pour tout laisser sur la glace pendant les deux soirs suivants.

J’ai été ravie d’assister au troisième match à l’aréna de Moose Jaw, qui était plein à craquer. Mon mari, Dave Batters, était député de Moose Jaw la dernière fois que les Warriors ont participé à la finale de la Ligue de hockey de l’Ouest. J’ai porté le maillot des Warriors de 2006 de Dave pour porter chance à l’équipe, et cela a fonctionné : les Warriors ont de nouveau gagné en prolongation. Quand la foule a crié, j’ai cru que le toit de l’édifice allait s’envoler.

Puis, les Warriors ont décroché le championnat de la Ligue de hockey de l’Ouest en remportant le quatrième match à domicile devant leurs partisans en délire. Les Warriors sont un club appartenant à la collectivité et ils sont encouragés par leurs fantastiques partisans non seulement à domicile, à Moose Jaw, mais aussi ailleurs. Je remercie tous les habitants de Moose Jaw qui soutiennent si fidèlement les Warriors depuis 40 ans, ainsi que tous ceux qui ont eu la vision, la force et l’endurance de faire pression pour que l’on construise l’exceptionnel Moose Jaw Events Centre, l’aréna de 4 500 places des Warriors de Moose Jaw. Je suis également très fière des efforts déployés par mon mari, Dave, en tant que député de Moose Jaw, afin d’obtenir des fonds fédéraux destinés à l’infrastructure pour ce grand projet qui connaît beaucoup de succès.

Maintenant, les Warriors de Moose Jaw livreront bataille pour remporter le plus grand prix du hockey junior, soit le tournoi de la Coupe Memorial, qui se tiendra à Saginaw, au Michigan. L’entraîneur-chef, Mark O’Leary, dirige une équipe très soudée et très talentueuse, qui est composée de joueurs comme Jagger Firkus, qui a été le meilleur marqueur de la saison régulière et des séries éliminatoires de la Ligue de hockey de l’Ouest, Brayden Yager, Matt Savoie, ainsi que Denton Mateychuk, joueur le plus utile des séries éliminatoires de la Ligue de hockey de l’Ouest et capitaine des Warriors. Toutefois, c’est Atley Calvert, un petit gars du coin, qui a le mieux exprimé le cœur de cette équipe de Moose Jaw la semaine dernière en déclarant ceci : « Notre groupe est spécial, et nous serons à jamais des frères. »

Allez, les Warriors. Ramenez-nous la coupe Memorial.

Merci.

L’harmonie des finissants de l’École secondaire Colonel Gray

L’honorable Jane MacAdam : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à l’harmonie des finissants de l’École secondaire Colonel Gray, située dans ma province, l’Île-du-Prince-Édouard.

J’ai eu le plaisir de rencontrer ces élèves talentueux plus tôt aujourd’hui. Dans le cadre de leur visite au Sénat, j’ai eu l’occasion, avec l’huissier du bâton noir, de leur montrer la Chambre haute du Canada. Nous avons mis en valeur sa splendeur évidente et nous avons évoqué la riche histoire et les traditions qui y perdurent depuis plus de 150 ans, alors que les sénateurs effectuent un second examen objectif des projets de loi, défendent les intérêts régionaux et soulèvent des enjeux d’importance nationale.

C’est à mon tour de vous faire part de leurs contributions et de leurs réalisations musicales. J’aimerais commencer par dire que l’École secondaire Colonel Gray occupe une place spéciale dans mon cœur, comme dans celui de plusieurs autres sénateurs de l’île qui ont un lien particulier avec cette école. Mon fils Robert en est le directeur. Cette école offre le plus important programme de musique pour finissants du secondaire de la province, avec ses deux grands orchestres de jazz et ses deux grandes harmonies. Ces groupes et ces petits ensembles présentent de nombreux concerts tout au long de l’année pour l’école et la collectivité, y compris une grande comédie musicale tous les deux ans au Centre des arts de la Confédération.

L’harmonie des finissants se produit depuis les années 1960 et a été le premier orchestre d’école secondaire de la province. Elle compte actuellement 63 élèves, dont plusieurs grossissent les rangs des orchestres locaux, y compris le Prince Edward Island Regiment Band; l’ensemble de jazz et de musique populaire ainsi que le Wind Symphony de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard; The Welshmen, l’orchestre communautaire du Collège Holland; et l’orchestre symphonique de l’Île-du-Prince-Édouard.

En plus de se produire sur l’Île-du-Prince-Édouard, l’orchestre a joué en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, au Québec et en Ontario, ainsi qu’au Massachusetts et à New York. Réputé pour son grand talent, l’orchestre offre régulièrement des prestations exemplaires lors de festivals de musique régionaux et nationaux.

En prenant la parole aujourd’hui pour rendre hommage à cette jeunesse brillante et artistique, je souhaite également souligner l’effet de son dévouement sur le tissu culturel de notre île. La musique a permis à ces élèves de s’exprimer et de se rapprocher grâce à une forme d’art, tout en partageant sa beauté avec le reste de la province. Comme on le dit souvent, « quand les mots manquent, la musique parle ».

(1410)

Enfin, je tiens à souligner le leadership et le dévouement du directeur musical et chef d’orchestre de l’école, Shawn Doiron, ainsi que d’Andrew Petrie et de Sandra Forbes, qui jouent également un rôle important dans la réussite du programme musical. Bien que ces chefs de file et ces élèves talentueux n’aient pas pu se joindre à nous à la tribune aujourd’hui, je suis fière de partager avec vous leurs réalisations et je leur souhaite tout le succès possible dans leurs efforts et leurs performances futurs.

Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de M. Mehran Omidvar, le mari de la sénatrice Omidvar, et de son petit-fils, Kiaan Miller.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Congrès sur la citoyenneté des 4-H du Canada

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd’hui pour vous annoncer que, cette semaine, les clubs 4-H du Canada tiennent leur 51e congrès annuel sur la citoyenneté.

Il ne fait aucun doute que le Congrès sur la citoyenneté crée des liens entre les membres des clubs 4-H. Depuis plus de cinq décennies, d’innombrables jeunes membres des 4-H d’un bout à l’autre du Canada se donnent rendez-vous à Ottawa pour approfondir leurs connaissances sur la citoyenneté et notre gouvernement.

Au cours des prochains jours, de jeunes délégués des clubs 4-H de partout au pays se réuniront dans notre capitale pour améliorer leurs compétences en travail d’équipe, en communication, en leadership, en collaboration et en résolution de problèmes. Par l’entremise de leurs divers programmes, les clubs 4-H du Canada permettent à leurs membres de continuellement approfondir leurs aptitudes essentielles.

Le Congrès sur la citoyenneté des 4-H a été mis sur pied en 1972 dans le but d’unir ses jeunes membres. Au total, ce sont 55 membres délégués qui se rassembleront ici pour l’édition de cette année. Je tiens à leur offrir mes meilleurs vœux de succès pour les nombreuses activités enrichissantes auxquelles ils participeront dans les jours à venir. Leur dévouement et leur persévérance sont une source d’inspiration pour beaucoup de gens, y compris moi‑même.

Le point culminant des activités aura lieu samedi, à 13 h 30, alors qu’ils visiteront cette enceinte pour explorer la question suivante :

Il est résolu que le gouvernement du Canada doit donner la priorité à l’accès à l’eau potable pour un usage personnel et domestique plutôt que pour un usage privé ou commercial.

J’ai très hâte d’entendre leur débat éclairé ici, à la Chambre haute. Ces jeunes délégués, ainsi que leurs homologues d’un océan à l’autre, symbolisent l’avenir de notre pays, autant dans le domaine de l’agriculture que dans le dynamisme de nos collectivités urbaines et rurales. Chers collègues, soyez assurés, l’avenir semble prometteur.

Je suis particulièrement heureux d’accueillir les deux représentantes de l’Ontario, Leah Emiry et Rebecca Sommerville, ainsi que leur accompagnateur, Darrell Bergsma. Je me réjouis de rencontrer tous les membres des 4-H lors du déjeuner parlementaire informel que j’organise le jeudi 23 mai, à Ottawa.

Je vous invite tous, chers collègues du Sénat, à vous joindre à moi lors de cette réception qui aura lieu jeudi de 8 heures à 9 heures dans la salle 310 de l’édifice Wellington.

Venez rencontrer les jeunes délégués de partout au Canada. Je sais à quel point ils ont hâte de rencontrer le plus grand nombre possible de mes collègues sénateurs.

Merci. Meegwetch.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Firooz Khan Auobi, qui est accompagné de l’équipe des United Strikers. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Ataullahjan.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Firooz Khan Auobi

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour raconter l’histoire de Firooz Khan Auobi, un réfugié afghan qui fait preuve de compassion, de détermination et de solidarité depuis son arrivée au Canada.

Firooz est arrivé au Canada en janvier 2023 et, en 10 jours, il a trouvé son premier emploi. Il travaille aujourd’hui chez Amazon. Afin de favoriser un sentiment de communauté et de créer un espace familier et sûr, Firooz a formé les United Strikers, une équipe de soccer composée d’autres réfugiés afghans qu’il a rencontrés au travail.

Sa générosité et sa détermination à ce que les United Strikers deviennent une réalité étaient telles qu’il a payé de sa poche tous les maillots et l’équipement de l’équipe. Les membres des United Strikers partagent non seulement une passion pour le soccer, mais aussi des objectifs de vie similaires qu’ils s’efforcent d’atteindre. Certains rêvent même de devenir joueurs de soccer professionnels.

La plupart des gens considèrent cette histoire comme celle de la réussite d’un réfugié, mais Firooz m’a avoué que son pays lui manque et qu’il a hâte de retourner en Afghanistan et de revoir — une fois de plus — le magnifique jardin de grenades qui entoure la maison familiale à Kaboul. Ceux d’entre nous qui connaissent l’Afghanistan savent que Kaboul et tout l’Afghanistan sont réputés pour leurs magnifiques jardins et l’abondance des aliments qui y poussaient. Ayant souvent voyagé en Afghanistan, je n’oublierai jamais la splendeur des montagnes, la sérénité des vallées et la joie de vivre des habitants.

Firooz attribue sa réussite à son père, qui a été son roc et son plus grand soutien dans cette aventure. J’ai voulu parler de l’histoire de Firooz aujourd’hui pour souligner l’importance de l’empathie et de la communauté au Canada, et je suis fière de le faire en présence des United Strikers.

Firooz, je vous remercie de vos efforts et je souhaite aux United Strikers — ceux qui sont ici et ceux qui n’ont pas pu se joindre à nous en raison d’examens — tout le succès qu’ils méritent.

Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune des petites-filles de la sénatrice Busson, Brooklyn et Madison Fairhead, qui sont accompagnées de leurs parents, Brent et Mariko.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès d’Arthur L. Irving, O.C., O.N.-B.

L’honorable Jim Quinn : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à l’un des entrepreneurs et des dirigeants d’entreprise les plus importants au pays, qui est décédé le lundi 13 mai.

Arthur Irving était non seulement fier d’être Canadien, il adorait aussi sa province, le Nouveau-Brunswick. Il était le deuxième des trois fils de K.C. Irving. Celui-ci, l’un des plus éminents citoyens du Canada, a préparé le terrain afin que ses fils, James, Arthur et Jack, fassent croître le groupe d’entreprises Irving. Ils en ont fait l’une des plus grandes entreprises familiales au Canada.

J’ai eu la chance de rencontrer Arthur il y a de nombreuses années. Il attachait de l’importance à ses employés et appréciait le travail qu’ils faisaient au nom de l’entreprise. À l’époque où j’étais un jeune second de navire à bord d’un pétrolier Irving, j’ai pu voir Arthur venir sur la passerelle d’embarquement simplement pour voir comment tout se passait et en profiter pour remercier les membres de l’équipage pour leur excellent travail et leur soutien.

Après ma nomination à titre de président-directeur général de l’Administration portuaire de Saint John, il m’est arrivé de rencontrer Arthur et d’autres membres de la famille Irving pour discuter des plans stratégiques axés sur la modernisation et la croissance du port. Je me réjouissais de l’activité économique que lui et sa famille apportaient à la communauté du port. Celle-ci a joué un rôle essentiel dans la renaissance de notre port et lui a permis de redevenir l’un des plus importants de la côte Est de l’Amérique du Nord.

La raffinerie Irving — la plus grande du Canada et l’une des plus modernes au monde — est le plus gros client du port et sans doute l’un des plus importants employeurs du Nouveau-Brunswick. Des milliers d’habitants de la province travaillent directement pour les compagnies qu’Arthur a dirigées, et des milliers d’autres sont à l’emploi de compagnies que d’autres membres de sa famille ont fait croître au fil des ans.

Comme on l’a déclaré dans le Telegraph-Journal :

Son image publique était celle d’un homme qui se consacrait essentiellement aux affaires, mais de l’avis unanime de ses amis et des membres de sa famille, Arthur était un homme très sympathique qui serrait la main de tout le monde et se souvenait généralement du nom de tous ceux qu’il rencontrait, dont les travailleurs et les clients. Ils disent aussi qu’il a fait bien d’autres choses qui ne seront peut-être jamais appréciées à leur juste valeur.

Il donnait en retour, sans tambour ni trompette — que ce soit en finançant des bourses d’études et des jardins, en développant les efforts de conservation de Canards Illimités et de bien d’autres manières —, car c’était tout simplement ce qu’il convenait de faire pour aider sa ville, sa province et sa région.

D’une manière ou d’une autre, nous avons tous été touchés par sa générosité.

En plus d’avoir été recteur de l’Université Acadia, Arthur a reçu de nombreux prix et distinctions, dont l’Ordre du Nouveau‑Brunswick et l’Ordre du Canada, et il a été intronisé au Temple de la renommée de l’entreprise canadienne.

J’ai eu le privilège d’assister au service commémoratif d’Arthur samedi dernier, et il est apparu clairement qu’il était admiré par des gens de tous horizons. Il était assurément un négociateur rigoureux, mais il était respecté. L’expression « Merci de faire affaire avec nous » qu’il employait pour remercier ses clients a souvent été citée dans les hommages, et elle souligne son succès évident ainsi que le respect qu’il avait pour ses clients. J’ai la chance de considérer Arthur Irving comme un ami et je sais qu’il manquera cruellement aux gens de notre ville, de sa province et de notre pays. Sa femme, Sandra, et sa fille, Sarah, étaient toujours à ses côtés, et je présente nos sincères condoléances à toute la famille Irving. Reposez en paix, mon ami.


(1420)

AFFAIRES COURANTES

L’étude sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général

Dépôt du vingt et unième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie auprès de la greffière pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que, conformément aux ordres adoptés par le Sénat le 10 février 2022 et le 9 mai 2024, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a déposé auprès de la greffière du Sénat, le 21 mai 2024, son vingt et unième rapport (provisoire) intitulé Agissons maintenant : des solutions pour la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi canadienne sur les emplois durables

Préavis de motion tendant à autoriser le Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles à étudier la teneur du projet de loi et le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie à prendre en considération les documents et les témoignages reçus au cours de l’étude du projet de loi

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, si le projet de loi C-50, Loi concernant la responsabilité, la transparence et la mobilisation à l’appui de la création d’emplois durables pour les travailleurs et de la croissance économique dans une économie carboneutre, est adopté à l’étape de la deuxième lecture :

1.il soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie;

2.le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la teneur du projet de loi;

3.au cours de son étude du projet de loi, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à prendre en considération tout document ou témoignage public reçu par le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles au cours de son étude de la teneur du projet de loi, ainsi que tout rapport dudit comité sur la teneur du projet de loi.

[Français]

Projet de loi sur l’interdiction de l’exportation par voie aérienne de chevaux destinés à l’abattage

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-355, Loi visant à interdire l’exportation par voie aérienne de chevaux destinés à l’abattage et apportant des modifications connexes à certaines lois, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Dalphond, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les affaires mondiales

La Cour pénale internationale

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, lundi matin, les procureurs de la Cour pénale internationale ont annoncé qu’ils allaient demander des mandats d’arrêt contre le premier ministre d’Israël et le ministre israélien de la Défense. Dans les heures qui ont suivi cette annonce scandaleuse, les dirigeants de tous les pays du monde ont fait connaître publiquement leur point de vue sur cette affaire, qu’ils l’aient accueillie favorablement ou qu’ils l’aient condamnée à juste titre. Les gens savaient à quoi s’en tenir, mais le premier ministre de notre pays est resté silencieux. L’ensemble du Cabinet Trudeau est resté silencieux, monsieur le leader. Pourquoi le premier ministre n’a-t-il pas condamné cette situation ou n’a-t-il rien dit à ce sujet? Quelle est la position du gouvernement Trudeau à ce sujet?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. En effet, en demandant ces mandats d’arrêt, le procureur a suscité de vives inquiétudes dans le monde, et de nombreux dirigeants ont saisi l’occasion de s’exprimer à ce sujet. Je sais que la vice-première ministre du Canada aurait dit clairement que toute équivalence entre le Hamas et Israël est sans fondement.

Le Canada a toujours eu comme position de soutenir le régime juridique international. Il suit très attentivement cette situation et il est au courant de ces demandes de mandats. Le gouvernement respecte l’indépendance du processus. Si le gouvernement a d’autres déclarations à faire, il les fera en temps voulu.

Le sénateur Plett : Le président des États-Unis respecte également cela, mais il a quand même eu le courage de dénoncer publiquement ce geste scandaleux.

Après neuf longues années de ce gouvernement incompétent, le premier ministre Trudeau est incapable d’exercer un véritable leadership au pays et n’a aucun sens moral. Aujourd’hui, le premier ministre est à Philadelphie, et une brève mêlée de presse est prévue. Va-t-il dire quoi que ce soit à ce sujet cet après-midi, ou compte-t-il éviter carrément de se prononcer?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je ne suis pas du tout d’accord pour dire que le premier ministre est dénué de tout sens moral, et je ne sais pas non plus ce qu’il compte dire ou faire dans ce dossier.

Les ressources naturelles

Le gaz naturel liquéfié

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, le gouvernement Trudeau devrait se concentrer sur les investissements étrangers, les emplois et le développement économique. Au lieu de cela, ce que nous avons vu au cours des neuf dernières années, c’est qu’on met l’accent sur le radicalisme idéologique et environnemental. Au lieu d’adhérer aux solides arguments commerciaux qui ont été présentés à maintes reprises en faveur du développement et de l’exploitation du gaz naturel ainsi que de sa transformation en gaz naturel liquéfié, le gouvernement Trudeau continue de s’y opposer. Tandis que nos amis et alliés dans le monde entier, comme les États-Unis, le Qatar et l’Australie, développent leur gaz naturel liquéfié avec ferveur et créent davantage de richesses pour leurs sociétés, le Canada s’appauvrit de plus en plus.

Sénateur Gold, quand le gouvernement Trudeau va-t-il laisser le champ libre au Canada et aux Canadiens et leur permettre de commencer à développer l’industrie du gaz naturel et du gaz naturel liquéfié, ce qui ouvrira une nouvelle fois la voie à la richesse et à la prospérité pour le pays?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement a réalisé et continuera à réaliser des investissements majeurs pour faire en sorte que notre économie, qu’il s’agisse des ressources naturelles ou d’autres aspects, soit bien positionnée pour tirer parti de l’évolution des marchés financiers et des demandes des citoyens et des entreprises dans la conjoncture changeante.

Il s’agit notamment d’investissements non seulement dans notre secteur des ressources naturelles — sans parler du pipeline qui est maintenant en service —, mais aussi et surtout dans les travailleurs canadiens qui cherchent des débouchés pour profiter des futures générations d’emplois durables et bien rémunérés. À cet égard, la décision d’affaires que le gouvernement a décidé de prendre consiste à investir dans notre avenir, un avenir qui profitera à tous les Canadiens.

Le sénateur Housakos : Le gouvernement ne sait même pas épeler le mot « affaires ». Lorsque le gouvernement actuel est arrivé au pouvoir, le Canada était une superpuissance énergétique, ce qui n’est plus le cas. Nous avons perdu du terrain et avons été dépassés par d’autres nations. C’est un fait. En outre, des dirigeants de l’Allemagne, de l’Italie, de la Pologne, de la Grèce, du Japon, de Taïwan — et j’en passe — sont venus dans notre capitale pour supplier le Canada de développer le gaz naturel liquéfié.

La question demeure : quand le gouvernement laissera-t-il le champ libre et permettra-t-il aux Canadiens de prospérer grâce au gaz naturel liquéfié, dont le monde entier a cruellement besoin?

Le sénateur Gold : La position du gouvernement, monsieur le sénateur, peut-être à la différence d’autres gouvernements potentiels, consiste à être un partenaire dans l’élaboration d’une stratégie visant à positionner le Canada pour l’avenir. Avec tout le respect que je vous dois, dire que le gouvernement devrait « laisser le champ libre » n’est rien d’autre qu’une ineptie.

[Français]

La santé

Les sites de consommation supervisée

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Gold, je veux revenir sur un enjeu abordé récemment par mon collègue le sénateur Housakos, car j’ai visité les lieux du site de consommation supervisée près du Marché Atwater, à Montréal.

Si je comprends bien, Santé Canada a autorisé l’utilisation de drogues dures dans ce nouveau site situé à 5 mètres seulement d’une école primaire. J’ai constaté que les élèves, dans la cour de récréation, ont vu les consommateurs de drogue attroupés à l’entrée du site. Est-ce vraiment approprié, sénateur Gold?

(1430)

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question. Selon mon information, ce site est un site provincial. Le gouvernement fédéral n’a donc aucun droit de regard.

J’ai également été avisé que c’est la province qui fixe les paramètres pour ce qui est du fonctionnement de ce site.

La sénatrice Miville-Dechêne : Toutefois, si je ne me trompe pas, pour autoriser l’injection de drogues dures, on doit avoir la permission de Santé Canada. Selon une récente étude de la professeure Carolyn Côté-Lussier, ce site d’injection situé près d’une école primaire constituerait une charge inéquitable pour les enfants et les familles de Saint-Henri qui fréquentent l’école et qui sont déjà confrontés à des enjeux de défavorisation, de marginalisation et de criminalisation disproportionnées. Pourquoi prendre ce risque? Pourquoi Santé Canada a-t-il donné le feu vert à ces injections?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. La question du lieu est de compétence provinciale. Santé Canada a répondu favorablement à une demande de la province pour faire en sorte d’établir un site afin de réduire les dommages associés aux drogues dures.

[Traduction]

Les affaires mondiales

Le conflit israélo-palestinien

L’honorable Yuen Pau Woo : Sénateur Gold, le 10 mai, l’Assemblée générale des Nations unies a voté massivement en faveur de l’admission de la Palestine en tant que membre. Le Canada appuie depuis longtemps la solution à deux États, mais il n’a pas voté pour cette motion. Pouvez-vous expliquer cette contradiction?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Il n’y a pas de contradiction, sénateur Woo. La position de longue date du Canada — et celle d’un grand nombre de ses alliés — veut que tout progrès vers une solution à deux États doive inclure des discussions et des négociations directes entre les parties pour arriver à un tel accord. Malheureusement, cela n’est pas possible depuis de nombreuses années, et on peut chercher toutes sortes de coupables. Cela dit, l’abstention du Canada reflète sa politique de longue date, une politique que tous les gouvernements canadiens ont en fait adoptée.

Le sénateur Woo : Pourtant, la grande majorité des États membres de l’Assemblée générale des Nations unies, y compris un grand nombre de nos alliés, a voté en faveur de la motion. Je dois dire que votre explication — ainsi que celle qui semble être donnée au sujet de la demande de mandats d’arrestation de la Cour pénale internationale — sonne comme du charabia.

Le gouvernement a maintenant imposé des sanctions à quatre colons israéliens en Cisjordanie. Envisagera-t-il aussi d’imposer des sanctions aux autorités gouvernementales israéliennes qui facilitent et encouragent ces crimes?

Le sénateur Gold : D’abord, il est tout simplement inexact d’affirmer que le gouvernement facilite et encourage ces crimes. La réponse n’est pas non plus, en tout respect, du charabia. On parle de la même assemblée générale qui a assimilé le sionisme au racisme. La règle de la majorité ne garantit pas nécessairement des décisions fondées sur des principes. La position du Canada sur la solution à deux États et sur le conflit est fondée sur des principes et le restera.

L’agriculture et l’agroalimentaire

Le programme Agri-compétitivité

L’honorable Robert Black : Sénateur Gold, à l’annonce du budget fédéral de 2024, les 4-H du Canada — c’est le thème du jour — ont reçu la nouvelle dévastatrice qu’Agriculture et Agroalimentaire Canada réduisait leur financement dans le cadre du programme fédéral Agri-compétitivité. Pour justifier cette décision, le ministère a invoqué des changements dans les priorités du gouvernement. Par conséquent, d’importantes initiatives telles que le congrès annuel sur la citoyenneté, qui se tient cette semaine à Ottawa, ne sont plus considérées comme une priorité. Les vrais perdants sont les jeunes de notre pays. Bien qu’on ait encouragé l’organisme des 4-H du Canada à demander d’autres subventions offertes par d’autres ministères — Patrimoine canadien, par exemple —, ses demandes ont, jusqu’à présent, abouti à un refus catégorique. Les fonds qui auraient permis de financer les déplacements des participants au Congrès sur la citoyenneté doivent maintenant être trouvés ailleurs.

Sénateur Gold, la façon dont les décisions en matière de financement ont sapé les 4-H au fil des ans suscite de vives inquiétudes. Comment le gouvernement justifie-t-il ces réductions de financement? Quelles mesures prend-il pour que les organismes tels que les 4-H du Canada reçoivent le financement nécessaire pour continuer d’offrir des programmes essentiels pour nos jeunes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et de votre défense soutenue des 4-H, mais également, de manière plus générale, du secteur dans lequel cet organisme joue un rôle si important.

Le gouvernement du Canada continuera de soutenir les jeunes de diverses façons, notamment en soutenant l’emploi chez les jeunes, la santé mentale, les programmes de leadership et l’entrepreneuriat. Je suis conscient que vos questions et vos préoccupations concernant le financement sont importantes. Je vais certainement les porter à l’attention du ministre.

Le sénateur Black : Sénateur Gold, pouvez-vous préciser quels changements dans les priorités du gouvernement ont conduit à la décision de réduire le financement des clubs 4-H du Canada dans le cadre du programme Agri-compétitivité. Quel genre de gouvernement n’accorde pas la priorité à ses jeunes? Comment ces derniers sont-ils censés survivre à ces coupes, qui continuent de se multiplier chaque année?

Le sénateur Gold : Comme je l’ai dit, sénateur, le gouvernement continue à appuyer les jeunes. Pour répondre à votre question sur les priorités, le gouvernement s’est engagé à poursuivre plusieurs priorités, tout en respectant un cadre financier prudent et responsable. Ces priorités comprennent des investissements transformateurs dans les énergies propres, la création de carrières à vie et l’amélioration de l’accès à des logements abordables. C’est le défi de gouverner, et le gouvernement actuel fait ce qu’il peut pour répondre à ces priorités importantes.

[Français]

L’industrie

Les entrepreneurs canadiens

L’honorable Amina Gerba : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement.

Sénateur Gold, un récent sondage réalisé par la Banque de développement du Canada montre que la santé mentale de nos entrepreneurs est préoccupante. Les groupes concernés sont majoritairement les nouveaux arrivants, les jeunes propriétaires d’entreprise ainsi que les femmes. Cette réalité s’inscrit également dans le contexte alarmant d’une baisse de 100 000 entrepreneurs au Canada depuis les 20 dernières années. Sénateur Gold, au regard de ces problèmes de santé mentale récurrents que subissent nos entrepreneurs, que fait le gouvernement pour contrer et endiguer le déclin de l’entrepreneuriat au Canada?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. Le gouvernement du Canada a pris plusieurs mesures dans le budget de 2024 pour soutenir nos jeunes entrepreneurs. Ces mesures incluent notamment 50 millions de dollars sur cinq ans à partir de 2024-2025 pour la création de nouveaux fonds pour la santé mentale des jeunes, qui les aideront à avoir accès aux soins de santé mentale dont ils ont besoin. Cette somme s’ajoute aux 60 millions de dollars sur cinq ans alloués à Futurpreneur, un organisme permettant aux jeunes entrepreneurs d’accéder au financement, au mentorat et à d’autres formes de soutien pour les aider à lancer et à développer leur entreprise.

La sénatrice Gerba : Sénateur Gold, les femmes noires et les femmes issues des communautés autochtones font face à plusieurs difficultés, notamment celles qui sont liées au financement de leur entreprise et au racisme systémique. Quels outils ou réponses spécifiques le gouvernement a-t-il mis en place pour leur permettre de relever ces défis?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. Le Programme pour l’entrepreneuriat des communautés noires consiste en un partenariat entre le gouvernement du Canada et des organisations commerciales dirigées par les membres de la communauté noire et des institutions financières. Grâce à des investissements pouvant aller jusqu’à 265 millions de dollars sur quatre ans, ce programme aidera les propriétaires d’entreprise et les entrepreneurs noirs à faire croître leurs affaires et à réussir dès aujourd’hui et à l’avenir.

Le Bureau du Conseil privé

Les agents du Parlement

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement.

Monsieur le leader, ma question porte sur les compressions budgétaires au bureau de la commissaire à l’information. Le gouvernement Trudeau n’a pas rempli ses promesses sur l’accès à l’information. Au contraire, la situation s’aggrave d’année en année, au point où la commissaire à l’information elle-même a parlé de la culture du secret du gouvernement Trudeau. La semaine dernière, la commissaire a annoncé que le gouvernement allait couper 5 % des fonds alloués à son bureau. Est-ce une manière pour votre gouvernement de punir une commissaire qui prend son travail trop à cœur?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Ce n’est absolument pas le cas. Le gouvernement apprécie le travail de Mme Maynard et il s’engage à faire en sorte que son bureau ait accès aux fonds nécessaires pour qu’elle puisse continuer le travail important qu’elle fait.

(1440)

Selon l’information que j’ai, une formule standard est utilisée pour ajuster les budgets de toutes les organisations de la fonction publique en tenant compte des changements de salaires dans les conventions collectives, par exemple. Ce système est en place depuis plusieurs années.

Le sénateur Carignan : Il y a quelques mois, la vérificatrice générale s’est aussi plainte du fait que le gouvernement s’entête à lui refuser les fonds suffisants pour faire son travail. Ce gouvernement a-t-il une politique générale pour étouffer les agents du Parlement et les empêcher de faire leur travail adéquatement?

Le sénateur Gold : Non. Comme je viens de le mentionner, une approche standard est en place depuis longtemps et s’applique à 90 organisations au sein du gouvernement; on peut d’ailleurs la trouver dans les annexes I, IV et V de la Loi sur la gestion des finances publiques. Dans le Budget principal des dépenses, les fonds ont été augmentés pour faire en sorte qu’elle puisse continuer le travail important qu’elle fait.

[Traduction]

La Société canadienne d’hypothèques et de logement

Le logement abordable

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, un rapport de la Banque du Canada publié plus tôt ce mois-ci montre que les Canadiens qui ont déjà du mal à payer leurs hypothèques risquent de se retrouver dans une situation encore plus précaire au cours des deux prochaines années. La Banque du Canada dit qu’environ la moitié des prêts hypothécaires en cours sont détenus par des emprunteurs qui n’ont pas encore fait face à une hausse de leur taux d’intérêt. D’ici 2026, le coût mensuel médian pour les Canadiens ayant un prêt hypothécaire à taux variable et des paiements fixes devrait augmenter de plus de 60 %. C’est la conséquence des dépenses et des taxes inflationnistes du gouvernement Trudeau, n’est-ce pas monsieur le leader? Que pensez-vous qu’il va arriver à ces familles?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour votre question sur les prêts hypothécaires. Le gouvernement a pris des mesures importantes pour protéger les propriétaires en apportant des améliorations à la charte hypothécaire canadienne, qui s’appuie sur les directives et les attentes actuelles du gouvernement concernant les mesures d’allégement adaptées que les institutions financières devraient offrir en concertation avec les Canadiens.

Alors que la baisse des taux d’intérêt se poursuit, comme le gouvernement l’avait prédit, malgré le scepticisme d’autres parties, on me dit que plus de 99 % des titulaires d’un prêt hypothécaire au Canada s’acquittent de leurs paiements. Le pourcentage des prêts hypothécaires en souffrance au Canada a toujours été faible et, à 0,16 % seulement, en moyenne, en 2023, il est à son niveau le plus bas depuis des décennies. C’est une baisse de 55 % par rapport à 2014.

Les choses peuvent être difficiles et sont difficiles pour les Canadiens, mais ce n’est en aucun cas à cause du soutien du gouvernement dans ce domaine.

Le sénateur Plett : C’est tout à fait à cause de ce gouvernement. Il n’en vaut absolument pas le coût. Je vous remercie pour votre aide. Allons-y ensemble maintenant.

D’après la Banque du Canada, même les titulaires d’un prêt hypothécaire à taux fixe verront leurs paiements augmenter. Selon les projections, les paiements devraient augmenter de 20 % l’an prochain et en 2026. Le gouvernement Trudeau pense-t-il vraiment que les familles peuvent se le permettre, monsieur le leader? Combien de Canadiens vont perdre leur habitation?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de vos questions. Le gouvernement du Canada a fait la preuve de sa volonté de soutenir les Canadiens et il continuera de soutenir les propriétaires, les personnes qui veulent accéder à la propriété et les locataires. Le gouvernement a présenté un éventail de programmes visant à soutenir les Canadiens et il continuera d’être là pour eux.

Les services aux Autochtones

Le soutien aux communautés autochtones

L’honorable Paula Simons : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement. Il y a un an, comme nous en avons déjà discuté au Sénat, la nation crie de Little Red River et la communauté de Fox Lake ont été ravagées par les feux de forêt. Il y a un mois, je vous ai posé une question au sujet des problèmes auxquels la communauté a dû faire face à cause de l’hiver doux et des inondations répétées des ponts de glace par BC Hydro. La communauté n’a pratiquement pas pu faire entrer dans la région les matériaux dont elle avait besoin pour la reconstruction après les feux de forêt.

J’ai pour vous une nouvelle question aujourd’hui. Jeudi, le conseil de bande s’est réuni et a déclaré l’état d’urgence locale. Vendredi, la communauté a envoyé une lettre poignante demandant l’aide du gouvernement en raison des six suicides, deux homicides et nombreuses tentatives de suicide survenus au cours des six derniers mois. La communauté est aux prises avec des problèmes de violence attribuable aux gangs et de toxicomanie. Elle demande de l’aide.

Quelle réponse pouvez-vous donner à cette communauté qui demande de l’aide pour faire face aux problèmes de santé mentale et de toxicomanie et réprimer les gangs?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Tout d’abord, j’adresse aux membres de la communauté qui souffrent de cette succession d’événements horribles mes condoléances ainsi que celles du gouvernement du Canada.

Je suis convaincu que le gouvernement soutiendra la nation crie de Little Red River. Je ne suis pas au courant de la lettre ni de la réponse du gouvernement, mais je suis certain qu’il sera là pour la communauté en ces moments difficiles.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Comme nous en avons discuté le mois dernier, la nation fait face à une difficulté supplémentaire du fait que les nouvelles règles de Transports Canada signifient que ses membres ne peuvent pas utiliser leurs barges pour faire venir des travailleurs fédéraux. Aucun agent de la GRC ne peut traverser la rivière par barge; aucun travailleur de la santé financé par le gouvernement fédéral ne peut traverser la rivière par barge. Cela fait maintenant un mois que j’essaie d’obtenir une réponse de Transports Canada à ce sujet. Pouvez-vous nous donner des nouvelles s’il y en a?

Le sénateur Gold : Encore une fois, je ne suis pas en mesure de vous informer sur cette question particulière. Toutefois, je la porterai à l’attention du ministre concerné.

[Français]

L’emploi et le développement social

La prestation canadienne pour les personnes handicapées

L’honorable Éric Forest : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Selon le mouvement Le handicap sans pauvreté, plus de 1,5 million de Canadiens et de Canadiennes qui souffrent d’un handicap vivent également dans la pauvreté. C’est donc avec beaucoup d’espoir que le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées, a été accueilli quand le Parlement l’a adopté en juin dernier. La loi visait donc à créer un cadre, mais les modalités de la contribution fédérale n’étaient pas connues à l’époque.

Au moment de la présentation du budget de 2024, on a appris que la prestation canadienne pour les personnes handicapées fournirait un maximum de 2 400 $ par année ou de 200 $ par mois aux personnes handicapées à faible revenu à compter de juillet 2025. Cette mesure avait été annoncée comme une mesure historique dans le but de sortir les gens de la pauvreté. Tout cela s’est avéré très décevant pour la directrice nationale du mouvement Le handicap sans pauvreté, car cette prestation est bien loin de répondre à leurs besoins. Pour le PDG de la banque alimentaire Daily Bread, cette prestation de 2 400 $ est tout à fait insuffisante. On comprend que cette nouvelle prestation est un complément aux différents programmes offerts par les provinces. Comment le gouvernement...

Son Honneur la Présidente : Merci, sénateur Forest.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises tout à fait sincèrement, le gouvernement du Canada comprend la déception ressentie face à l’annonce du montant des prestations à cette étape du programme, qui est tout de même historique.

Comme je l’ai déjà expliqué, tout ceci est le résultat de choix extrêmement difficiles. C’est aussi un défi auquel fait face n’importe quel gouvernement qui doit assurer un équilibre entre un grand nombre de priorités tout en respectant un cadre budgétaire pragmatique et responsable. Le gouvernement comprend la déception, mais ce n’est que le début de ce processus historique. Le gouvernement va mieux faire à l’avenir.

Le sénateur Forest : On comprend que cette mesure est un complément aux prestations déjà en place dans les provinces et les territoires, où les mesures de soutien sont très aléatoires. Pour les prochaines étapes, est-ce qu’on pourrait niveler les écarts qui peuvent exister d’une province à l’autre pour ces mêmes personnes en situation de handicap et de pauvreté?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Bien franchement, je ne suis pas en mesure d’y répondre directement. Comme vous le savez, il y a toute la question des sphères de compétence provinciale et des accords entre les provinces et le gouvernement fédéral dans le domaine de la santé, mais je suis convaincu que cet enjeu important sera pris en compte au fil des années dans le contexte de ces négociations.

(1450)

[Traduction]

Les services publics et l’approvisionnement

L’achat du pont de Québec

L’honorable Jim Quinn : Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement du Canada achète-t-il le pont ferroviaire de Québec, un pont interprovincial qui assure une liaison ferroviaire entre la ville de Québec et l’autre rive du fleuve Saint-Laurent et qui se trouve exclusivement au Québec, et annonce-t-il un investissement de 1 milliard de dollars pour réparer et entretenir la structure?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je crois comprendre que les plans et le désir d’acquérir ce pont sont une priorité de longue date du gouvernement du Canada, qui a finalement pu se concrétiser récemment. Ce ne sera pas le seul pont de ce type à appartenir au gouvernement fédéral. Par ailleurs, je ne connais pas tout le plan, mais il s’agit d’une priorité de longue date d’acquérir ce pont.

Le sénateur Quinn : Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement du Canada, selon le ministre Duclos, fait-il une exception stratégique et exige-t-il seulement de la province de Québec qu’elle paie 25 % du coût de 1 milliard de dollars, tandis que le gouvernement fédéral couvre 60 % du coût et que le Canadien National fournit le 15 % qui reste? C’est plus que le 50 % habituel qui est offert pour la plupart des programmes d’infrastructure. Pourquoi fait-il cette exception?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Comme je viens de le dire, je ne connais pas les détails des négociations qui ont eu lieu à ce sujet et je crains donc de ne pas être en mesure de répondre à la question.

La Société canadienne d’hypothèques et de logement

Le logement abordable

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le leader, ma question porte sur la récente mise en garde de la Banque du Canada au sujet de la forte hausse des versements hypothécaires qui attend de nombreux Canadiens. Au cours des deux prochaines années, un plus grand nombre de détenteurs d’hypothèques renouvelleront leur prêt à des taux d’intérêt plus élevés. Cette hausse des taux d’intérêt a été alimentée par les dépenses inflationnistes du gouvernement Trudeau.

En mars, Equifax a signalé que les défauts de paiement hypothécaire avaient augmenté de 52 % au cours de la dernière année. Dans ma province, la Colombie-Britannique, c’était encore pire, à 62 %. En Ontario, cette hausse a atteint un niveau stupéfiant de 135 %.

Compte tenu de l’avertissement de la Banque du Canada, quelles sont les prévisions du gouvernement Trudeau concernant la hausse du taux de défaut de paiement hypothécaire au cours des deux prochaines années?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, que m’a posée votre collègue et à laquelle j’ai tenté de répondre plus tôt aujourd’hui.

Je vais répéter ce que j’ai dit en réponse à la question du sénateur Plett, car vous avez mentionné les défauts de paiement hypothécaire. Les défauts de paiement hypothécaire sont en baisse. Ils sont plus bas maintenant qu’ils ne l’étaient l’année précédente. Honnêtement, je pense que nous devrions tous reconnaître que nous ne savons pas vraiment quelle sera l’incidence des rajustements du taux d’intérêt global sur les prêts hypothécaires à taux fixe et à taux variable. Certaines personnes ont des hypothèques à taux variable, dont les versements ont augmenté considérablement en raison de la hausse des taux d’intérêt, et elles seront peut-être en meilleure position lorsqu’elles renouvelleront leur hypothèque. Nous verrons.

La sénatrice Martin : Au contraire, le nombre de défauts de paiement hypothécaire est en hausse, mais je ne reviendrai pas sur les chiffres.

De nombreuses familles canadiennes sont déjà au point de rupture. Ce matin, Statistique Canada a indiqué que le coût des intérêts hypothécaires avait augmenté de 24,5 % entre avril 2023 et avril 2024. Or, le rapport de la Banque du Canada indique clairement que ces coûts sont sur le point d’augmenter. Pourquoi votre gouvernement n’a-t-il pas écouté les avertissements sur les conséquences de ses dépenses inflationnistes?

Le sénateur Gold : Eh bien, le peu de temps dont je dispose pour répondre à cette question est insuffisant pour rappeler au Sénat tous les indicateurs économiques qui montrent, malgré le tapage continu entourant les dépenses inflationnistes, que l’inflation est en baisse, que notre cote de crédit est en hausse et que l’économie se porte bien.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi canadienne sur les emplois durables

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Yussuff, appuyée par l’honorable sénatrice Pate, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-50, Loi concernant la responsabilité, la transparence et la mobilisation à l’appui de la création d’emplois durables pour les travailleurs et de la croissance économique dans une économie carboneutre.

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, « Maintenir les emplois. Réduire les émissions de carbone. Construire l’avenir. » Tel est le slogan de Blue Green Canada, une organisation dont les membres sont des représentants de syndicats, d’organismes de protection de l’environnement et de groupes de réflexion.

Chers collègues, maintenir les emplois, réduire les émissions de carbone et construire l’avenir, c’est essentiellement le fondement du projet de loi C-50, la Loi concernant la responsabilité, la transparence et la mobilisation à l’appui de la création d’emplois durables pour les travailleurs et de la croissance économique dans une économie carboneutre — autrement dit, l’économie de l’avenir du Canada et du monde.

Tout en réduisant nos émissions de carbone et en construisant notre économie carboneutre de l’avenir, nous devons veiller à ce que les Canadiens d’un bout à l’autre du pays aient des emplois de haute qualité.

Chers collègues, il y a cinq ans, le gouvernement s’est engagé à proposer des mesures législatives visant à soutenir les travailleurs tout en optimisant la création de possibilités économiques. En février 2023, le gouvernement a publié le Plan pour des emplois durables, une version provisoire pour 2023-2025. Ce plan prévoyait 10 actions concrètes, y compris l’engagement de présenter ce projet de loi.

Le projet de loi appuie le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations unies, plus particulièrement certains objectifs de développement durable. Il s’agit de l’objectif 7 sur l’énergie abordable et propre, l’objectif 8 sur le travail décent et la croissance économique, l’objectif 9 sur l’industrie, l’innovation et les infrastructures, l’objectif 11 sur les villes et communautés durables, et l’objectif 13 sur les mesures de lutte contre les changements climatiques.

Le sénateur Yussuff, parrain éminemment qualifié du projet de loi C-50, a expliqué l’historique du projet de loi, mis en évidence ses principaux éléments et fait état du soutien apporté au projet de loi C-50 par divers milieux. Je vais vous rappeler quelques points qu’il a soulevés, car un certain temps s’est écoulé depuis.

Fondamentalement, le projet de loi concerne les travailleurs — la protection de leurs droits et de leurs intérêts, le soutien de leurs familles et le développement de leur collectivité.

Le changement climatique entraîne un changement économique. Le changement peut être bénéfique ou dévastateur. Il est essentiel de reconnaître le changement et d’avoir la volonté et les moyens de préparer l’économie et ceux qui y travaillent à l’accueillir.

Le projet de loi C-50, la loi canadienne sur les emplois durables, énonce un certain nombre de principes directeurs.

Il prévoit l’établissement d’un conseil du partenariat pour des emplois durables composé de représentants des syndicats, de l’industrie, des communautés autochtones, des organisations environnementales et d’autres experts. Il désignera les ministres responsables de la planification et de la mise en œuvre. Il prévoit la création d’un secrétariat pour les emplois durables chargé d’aider et de coordonner les actions fédérales. Il exigera la mise à jour des plans d’action tous les cinq ans.

Alors que le Canada s’emploie à aligner sa politique en matière de main-d’œuvre sur sa politique climatique, cette loi garantira aux travailleurs un siège et une voix à la table.

La sénatrice Bellemare, notre économiste attitrée, s’est également exprimée à l’étape de la deuxième lecture, approuvant les principes fondamentaux du projet de loi C-50 et soulignant son importance pour la transition du marché du travail. Toutefois, elle a soulevé des questions sur certains détails du projet de loi. Comme elle l’a dit, « le diable est dans les détails ».

Elle a demandé si le projet de loi C-50 permettra réellement d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de transition du marché du travail dans un délai raisonnable et donnera des résultats concrets en termes d’emplois durables.

La sénatrice Bellemare nous a rappelé que le système d’assurance-emploi au Canada demeure la principale source de financement des interventions du secteur public sur le marché du travail.

Elle a également fait mention d’importantes études sur l’incidence de la transition verte sur le marché du travail, études qui indiquent que la réussite dépend dans un large mesure de la capacité de la main-d’œuvre à suivre les plans établis. La sénatrice a cité un rapport de la Chambre de commerce du Canada selon lequel :

Une étude récente passant en revue 48 pays a révélé que seul un travailleur sur huit possède les compétences nécessaires à une économie carboneutre. Cette étude a également conclu qu’il existe une demande croissante de travailleurs ayant des compétences carboneutralité, et que cette demande n’est pas satisfaite par la main-d’œuvre actuelle.

La sénatrice Bellemare a affirmé que la transition verte créera de nouveaux emplois et transformera le marché de l’emploi. Elle a également fait une mise en garde en disant que l’accélération des changements climatiques et de l’évolution technologique, notamment l’intelligence artificielle et la situation démographique, a des répercussions sur l’économie canadienne.

L’amélioration des compétences jouera un rôle essentiel dans le perfectionnement de la main-d’œuvre au Canada, et l’assurance‑emploi sera l’une des principales sources de financement.

Dans ce contexte, la sénatrice Bellemare suggère que les commissaires à l’assurance-emploi siègent au Conseil du partenariat pour des emplois durables et que les représentants des syndicats et de l’industrie soient nommés pour représenter les associations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives, plutôt que sur une base individuelle ou personnelle.

La sénatrice a conclu son intervention à l’étape de la deuxième lecture en soulignant l’urgence d’adopter cette mesure.

(1500)

Honorables collègues, compte tenu de l’urgence de ce dossier et du contexte dans lequel s’inscrit cette transition qui touche le marché du travail, je tenais à vous faire part de quelques observations qui sont pertinentes dans le cadre de notre débat sur loi canadienne proposée sur les emplois durables et qui ont été faites par des conférenciers lors d’une séance organisée récemment par le groupe Sénateurs pour des solutions climatiques et intitulée « Pour que les lumières restent allumées — Assurer la sécurité et la stabilité énergétiques pendant et après la transition vers la carboneutralité ».

Je vais citer des extraits des interventions de deux conférenciers, Fatih Birol, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie, et Mathieu Johnson, vice-président chargé des stratégies et du développement au sein d’Hydro-Québec.

M. Birol a donné un aperçu des indicateurs et des tendances concernant la transition mondiale vers la carboneutralité. Il a dit ceci :

L’énergie est au cœur du débat sur le climat, car 80 % des émissions qui causent les changements climatiques sont liées au secteur énergétique. Par conséquent, si nous ne réglons pas le problème dans ce secteur, nous n’aurons aucune chance d’atteindre nos objectifs climatiques.

En ce qui concerne la consommation d’énergie, le secteur de la production d’électricité est le secteur le plus important. Dans l’ensemble des centrales qui ont été construites à l’échelle mondiale en 2023, 85 % utilisent des sources d’énergie renouvelables, 5 % ont recours à l’énergie nucléaire et 10 % emploient des combustibles fossiles.

Pour ce qui est du secteur des transports, il y a 4 ans seulement, la proportion de voitures électriques vendues dans le monde était de 1 voiture sur 25. Cette année, on s’attend à une proportion d’une voiture sur cinq. Par ailleurs, les voitures électriques comptent aujourd’hui pour près de la moitié des voitures vendues en Chine.

M. Birol a ajouté ceci :

Nos chiffres indiquent que cette année, le total des investissements dans l’énergie — le pétrole et le gaz, les énergies renouvelables, le nucléaire, etc. — s’élève à environ 3 billions de dollars américains. De cette somme, 1 billion de dollars américains sont consacrés aux investissements dans les combustibles fossiles et 2 billions aux investissements dans les énergies propres. Ces derniers ont doublé au cours des 10 dernières années.

Je remarque une tendance.

Selon M. Birol, il y a trois raisons à cela :

La première est tout simplement économique : les énergies renouvelables coûtent maintenant moins cher que les combustibles fossiles. L’énergie solaire est la source d’électricité la moins chère dans la plupart des régions du monde.

La deuxième raison est la sécurité énergétique. De nombreux gouvernements [...] comprennent que l’énergie propre n’est pas seulement bonne pour l’environnement [...] Comme elle est généralement produite localement, la dépendance à l’égard d’autres pays...

 — que je ne nommerai pas —

... sera réduite, ce qui se traduira par une plus grande sécurité énergétique.

La troisième raison des investissements dans les énergies propres et de la transition rapide vers ces énergies est la politique industrielle. Aujourd’hui, en matière de fabrication d’énergie propre — panneaux solaires, éoliennes, batteries, électrolyseurs pour l’hydrogène —, un pays domine les autres : la Chine. Ce n’est pas nécessairement dû aux politiques climatiques, mais plutôt à la politique industrielle de la Chine.

M. Birol a illustré la rapidité de la transition et expliqué comment la politique industrielle et la politique climatique mondiale se sont réunies.

Notre groupe de témoins a également examiné le cas réel d’Hydro-Québec, qui est le quatrième producteur d’hydroélectricité du monde. Mathieu Johnson, qui occupe le poste de vice-président, a parlé de l’ampleur et de la portée du défi auquel son entreprise fait face dans cette transition.

Je vous fais part de quelques extraits clés. Il a dit ce qui suit :

Je commencerai par vous confier ce qui nous empêche de dormir. Historiquement, ce que les entreprises de services publics font lorsqu’elles font des prévisions, c’est qu’elles se demandent ce qui va se passer d’ici 2050, puis elles élaborent un plan d’action en fonction de ce qu’elles voient dans leur boule de cristal. C’est ce que nous faisions auparavant à Hydro-Québec. Mais si nous adoptons cette approche, nous n’atteindrons pas la neutralité carbone d’ici 2050 parce que nous nous posons la mauvaise question. Il ne s’agit pas de savoir ce qui va se passer, mais plutôt ce qui doit se passer d’ici 2050 pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en tant que société, en commençant par le résultat et en faisant de l’ingénierie inverse pour définir les actions que nous devons entreprendre aujourd’hui. Cela pourrait changer. Les bouleversements sont nombreux. Puisqu’il y a de nouvelles technologies, le plan évoluera.

Nous devons doubler la production d’électricité au Québec pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Nous allons devoir construire, au cours des 25 prochaines années, la même capacité que nous avons construite en 80 ans. C’est dire l’ampleur du défi.

Il y aura de nouveaux projets hydroélectriques et nous allons également avoir recours à l’énergie éolienne au Québec. Au cours des 10 prochaines années uniquement, nous devrons bâtir des éoliennes sur une superficie équivalant à 15 fois celle de l’île de Montréal. C’est énorme. Relier les centrales aux consommateurs exigera la pose de 5 000 km de nouvelles lignes de transport.

Présentement, nous consacrons en moyenne 4 milliards de dollars par année aux dépenses en immobilisations. Au cours des 10 prochaines années, Hydro-Québec devra consacrer plus de 150 milliards de dollars à ces dépenses.

Notre plus grand défi...

 — pour Hydro-Québec —

... est la main-d’œuvre. Si nous n’avons pas les travailleurs requis, nous ne serons pas en mesure d’utiliser tout cet argent pour bâtir les nouveaux actifs nécessaires à l’électrification. Déjà, avec le niveau actuel des dépenses en immobilisations, nous sommes aux prises avec de graves pénuries de main‑d’œuvre.

Nous prévoyons avoir besoin de 35 000 employés uniquement pour les projets des 10 prochaines années au Québec. Lorsque notre demande sera à son maximum, nous aurons besoin de l’équivalent de 20 % de la main-d’œuvre actuelle dans le secteur de la construction au Québec.

Nous devons changer nos façons de faire.

La recette que nous utilisons depuis 80 ans ne pourra pas nous servir pour réussir au cours des 25 prochaines années.

M. Johnson a notamment souligné l’importance d’établir des liens totalement différents avec les partenaires autochtones.

L’urgence dont a parlé la sénatrice Bellemare devient tout de suite réelle lorsqu’on écoute le vice-président d’Hydro-Québec, Mathieu Johnson, décrire la portée, l’ampleur et le rythme des défis auxquels cette importante entreprise de services publics est confrontée. M. Birol s’est prononcé dans le même sens quant à la portée, à l’ampleur et au rythme à l’échelle mondiale.

Chers collègues, le Canada ne peut pas se permettre de manquer le coche. Dans le cadre de cette grande transition industrielle et syndicale historique vers un avenir carboneutre, nous pourrions même être à la barre de nouveaux projets.

De nombreux pays sont déjà plus avancés sur cette voie, ou devrais-je dire sur ce chemin pour faire référence au coche, quant à leurs efforts pour maintenir les emplois, réduire les émissions de carbone et construire l’avenir.

Honorables collègues, renvoyons le projet de loi C-50 sur la loi canadienne sur les emplois durables, au comité pour qu’il l’étudie en profondeur. Les travailleurs canadiens en ont besoin. L’industrie canadienne en a besoin. Les collectivités et les régions en ont besoin.

Chers collègues, le projet de loi C-50 est un élément essentiel de nos plans pour garantir un avenir prospère et durable aux générations futures, ici au Canada et dans le monde. Faisons-le avancer sans tarder.

Merci, wela’lioq.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence la gouverneure générale du Canada :

À Son Excellence la très honorable Mary May Simon, chancelière et compagnon principal de l’Ordre du Canada, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite militaire, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite des corps policiers, gouverneure générale et commandante en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour poursuivre ma réponse au discours du Trône. Comme vous le savez, j’utiliserai ce temps pour passer en revue ce que sera l’héritage de Justin Trudeau. Aujourd’hui, je me concentrerai sur un autre élément important de cet héritage, soit la création d’un Canada divisé.

Je sais que beaucoup d’entre vous seront tentés de quitter la Chambre pendant mon discours, mais je tiens à ce que vous sachiez tous, chers collègues, que je ne le prononce pas à votre intention. Je le fais pour le million de téléspectateurs qui ont regardé le dernier discours que j’ai prononcé sur l’héritage de M. Trudeau. Je le fais pour les quelque 6 millions de conservateurs qui ont voté en faveur des conservateurs et d’un autre premier ministre lors des dernières élections, et je le fais pour les 3 millions d’électeurs supplémentaires qui veulent voter pour quelqu’un d’autre que Justin Trudeau aux prochaines élections.

(1510)

Chers collègues, en 2015, Justin Trudeau et le Parti libéral du Canada ont formé le gouvernement en promettant l’unité nationale et des voies ensoleillées. Comme vous le constaterez, leur bilan se résume à un échec lamentable. Il serait injuste de ne pas reconnaître que le monde est très divisé. Au cours de la dernière décennie, le climat politique — en tout cas, dans les démocraties occidentales — a favorisé l’adoption d’idéologies radicales, dont les doctrines ont été intégrées dans des politiques.

La montée de la politique identitaire divise les citoyens en fonction du genre, de la race, de la religion et du niveau d’oppression perçu. La réduction du spectre de la pensée acceptable nuit à ceux qui sortent du cadre. Cette situation a suscité des révoltes populistes de la part de ceux qui se sentent abandonnés et négligés par les élites bien établies. De plus en plus de gens s’opposent au système, ce qui attise la division. Le Canada n’a pas été épargné par ces forces. Cependant, un dirigeant intègre ou sensé reconnaîtrait le climat politique, il rappellerait aux citoyens qui nous sommes en tant que pays, nos objectifs et nos principes communs, et il se concentrerait sur la mise en place de politiques susceptibles de nous rassembler.

Justin Trudeau a fait exactement le contraire. Il joue au jeu de la division en adoptant une position idéologique très prévisible dans chaque querelle, puis en insultant et en rejetant littéralement ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, tout en prêchant l’unité au moyen d’un discours creux.

En 2024, il devrait être clair pour tous les Canadiens que le pays est aujourd’hui bien plus divisé qu’il ne l’était à l’arrivée de notre premier ministre aux voies ensoleillées. Y a-t-il une personne au Canada qui puisse honnêtement dire que nous sommes plus unis qu’avant l’entrée en fonction de Justin Trudeau?

Chers collègues, notre pays est sens dessus dessous, et je crains que ce ne soit pas un hasard. Il semblerait que la politique « diviser pour mieux régner » de Justin Trudeau attise intentionnellement le feu de la division. Il s’agit d’une tentative calculée de détourner l’attention des Canadiens des échecs de son gouvernement. S’ils détestent leurs voisins ou s’ils sont associés à des identités collectives distinctes, ils peuvent se rejeter mutuellement la responsabilité des problèmes du Canada. S’ils ont peur, ils oublieront peut-être la myriade de crises qui se déroulent simultanément aux quatre coins du pays et qui s’infiltrent dans nos foyers, comme l’incapacité de payer les factures et de mettre du pain sur la table.

Lorsqu’il a récemment tenté de défendre une cause indéfendable — dans ce cas précis, l’augmentation inopportune de la taxe sur le carbone — Justin Trudeau a déclaré : « Être populaire ne fait pas partie de ma description de tâches. »

Une voix : On le voit bien.

Le sénateur Plett : Non, cela n’en fait pas partie, monsieur le premier ministre. Cependant, ce n’est pas non plus votre rôle de nourrir la polarisation et d’ostraciser les segments de la population canadienne qui ne sont pas d’accord avec vous.

En octobre, John Ibbitson a écrit dans le Globe and Mail :

[...] la priorité absolue de chaque premier ministre devrait être de laisser la fédération plus forte, ou à tout le moins, pas plus faible qu’il ne l’a trouvée.

Il a ajouté que « selon cette mesure, le mandat de M. Trudeau a été un échec ».

Honorables sénateurs, permettez-moi de passer en revue quelques-unes des nombreuses façons dont notre unité nationale s’est effritée sous la gouverne de M. Trudeau.

La pandémie de COVID-19 a effectivement été une période difficile pour les dirigeants du monde entier. Leurs citoyens devaient composer avec la perte d’êtres chers ou la peur d’en perdre, l’incertitude économique découlant des mesures de confinement, les conséquences de l’isolement sur la santé mentale, et l’incapacité de pleurer ensemble la perte de membres de la famille, entre autres. Lorsque les vaccins sont finalement arrivés, des craintes sont apparues. Nombreux sont ceux qui se sont interrogés : « Quelle est l’efficacité de ces vaccins pour prévenir la transmission? », « Quels sont les risques? », « Est-il sûr et conseillé de vacciner les enfants? » Les avis médicaux à cet égard étaient très variés.

Les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, l’Organisation mondiale de la santé et les agents de santé publique faisaient des recommandations en s’appuyant sur les données qu’ils considéraient comme les plus complètes et les plus pertinentes. Pourtant, d’autres scientifiques et professionnels de la santé avaient des recommandations différentes. De nombreux Canadiens étaient d’avis que les recherches et les données présentées par d’autres sources étaient convaincantes et ils n’étaient pas prêts à faire aveuglément confiance à leurs autorités de santé publique respectives. Cette situation a été exacerbée lorsque des recommandations et des affirmations antérieures des responsables de la santé publique ont été jugées inexactes ou ont été abandonnées. De nombreux experts en santé mentale nous ont mis en garde contre une pandémie parallèle de maladies mentales et ils nous ont prévenu des effets négatifs sur les enfants et leur apprentissage, étant donné les fermetures d’école.

La division croissante était palpable. Pour certains, ceux qui ne voulaient pas se faire vacciner n’étaient rien d’autre qu’un groupe d’incultes, d’extrémistes religieux, d’antivaccins et de complotistes. À l’autre bout du spectre, d’autres publiaient des photos sur les médias sociaux pour se moquer des personnes qui portaient un masque à l’extérieur ou qualifiaient de « moutons » tous ceux qui suivaient les directives des autorités sanitaires américaines.

À la fin de l’année 2021, l’Agence de la santé publique du Canada a annoncé que les prestataires de services essentiels, dont les camionneurs, devraient être entièrement vaccinés au plus tard le 15 janvier 2022. On estime que cette exigence a empêché 26 000 camionneurs non vaccinés, appelés à traverser fréquemment la frontière, de faire leur travail. Comme nous le savons tous, la réaction des camionneurs de tout le pays a pris la forme de ce qu’on a appelé le « convoi pour la liberté ».

Les manifestants ont occupé le centre-ville d’Ottawa, demandant au premier ministre de se manifester afin de lui parler, et ils ont annoncé qu’ils ne partiraient pas tant que les exigences relatives à la vaccination ne seraient pas levées. Des milliers de manifestants partageaient certainement les préoccupations des camionneurs, et la manifestation s’est rapidement transformée en un appel à l’action plus large concernant les restrictions liées à la COVID-19 en général et leur incidence sur l’autonomie des Canadiens, leur santé mentale et leur liberté de gagner leur vie.

Les camionneurs, que M. Trudeau avait, ironiquement, félicités dans les premiers jours de la pandémie dans un message accompagné du mot-clic nullement sincère « ThankATrucker », sont finalement devenus la cible et l’ennemi politique de M. Trudeau. Les camionneurs, qui passent leur journée seuls dans la cabine de leur véhicule, étaient soudainement devenus une menace pour la santé publique s’ils n’étaient pas vaccinés.

Bien sûr, lorsqu’on leur a demandé à la Chambre des communes de produire des données établissant un lien entre les camionneurs et les infections à la COVID-19 au Canada, ni le ministre de la Santé, ni l’administratrice en chef de la santé publique n’ont été en mesure de le faire. Ces femmes et ces hommes se battaient littéralement pour leur droit au travail. Ils exerçaient leur droit de manifester dans la capitale nationale, et ils s’étaient joints à d’autres Canadiens inquiets afin de s’opposer à l’ingérence du gouvernement qui devenait généralisée.

Un dirigeant, s’il est le moindrement compétent ou intègre, est capable de se pencher sur le fossé profond qui divise le pays et de répondre à la situation en reconnaissant les tiraillements qui existent entre les Canadiens et la difficulté de s’y retrouver dans les renseignements changeants et contradictoires. Ce dirigeant peut rappeler aux Canadiens que nous avons un objectif commun, qui est de réduire au minimum le risque de décès et de maladie chez les Canadiens et de reprendre une vie normale, y compris la capacité de gagner sa vie le plus rapidement possible.

Qu’a fait Trudeau? A-t-il reconnu les craintes de nombreux Canadiens qui s’inquiétaient de leur santé mentale, ou de leur capacité à gagner leur vie ou de leur autonomie en ce qui concerne leurs choix en matière de soins de santé? A-t-il donné aux manifestants qui avaient fait tout ce chemin et qui se sentaient exclus de la conversation la possibilité de se faire entendre? Non. Il a fui le problème, se cachant littéralement des Canadiens et attendant la bonne occasion d’attaquer.

(1520)

Comme c’est le cas dans presque toutes les manifestations à grande échelle, quelques mauvais acteurs se sont présentés pour promouvoir un message de haine qui n’avait rien à voir avec la manifestation elle-même. Dès que les médias ont donné à ces individus haineux l’occasion de s’exprimer, le premier ministre a sauté sur l’occasion. Les reportages dans les médias étaient tout ce dont Trudeau avait besoin pour rejeter et insulter les camionneurs et les millions de Canadiens qui les soutenaient.

Deux ans après les faits, il est encore difficile de croire — même pour le premier ministre, pour qui semer la division est un véritable modus operandi — qu’il a traité des millions de Canadiens de racistes, de misogynes, d’insurgés et de membres d’une minorité marginale, pour reprendre ses mots. Il a même qualifié leurs opinions d’intolérables. Dans un discours télévisé, il a demandé aux Canadiens comment nous pouvions tolérer ces gens. Je répète : à propos des gens qui s’opposent à lui, le premier ministre demande : « Comment pouvons-nous les tolérer? »

Bien sûr, le premier ministre savait que les quelques idiots racistes ne parlaient pas au nom des camionneurs et ne représentaient pas leurs préoccupations légitimes. Au lieu d’utiliser sa position de pouvoir pour unir les gens au plus fort des tensions engendrées par la COVID-19, il a balayé du revers de la main les préoccupations des Canadiens qui se sentaient exclus de la conversation, impuissants et désespérés, et il les a insultés. Il les a intentionnellement tous mis dans le même panier pour tenter de justifier son incapacité à dialoguer avec eux.

Comme l’a déclaré Jennifer Laewetz dans un article spécial pour le National Post :

C’était comme si le chef avait versé de l’essence sur un feu déjà vif. Notre dirigeant ne voyait aucun inconvénient à créer un environnement d’intolérance pour tous ceux qui ne rentraient pas dans le rang [...]

Ses députés et ses partisans ont commencé à faire la même chose, ce qui n’a rien arrangé. Je poursuis la citation :

Un gouvernement qui s’était engagé à sévir contre le harcèlement en ligne rendait acceptable le fait que des Canadiens harcèlent leurs voisins parce qu’ils avaient fait un choix médical différent du leur.

Même le député libéral Joël Lightbound a exprimé son malaise face à la situation en déclarant :

Je ne peux pas m’empêcher de constater, à regret, que tant le ton que les politiques de mon gouvernement ont changé drastiquement à l’aube de la dernière campagne électorale et pendant la dernière campagne.

D’une approche positive et rassembleuse, une décision a été prise d’adopter une approche qui divise et qui stigmatise. [...]

[...] Nous avons maintenant l’une des populations les plus vaccinées au monde et nous n’avons jamais été aussi divisés.

Il s’agit là d’une déclaration percutante de la part d’un membre du caucus libéral.

La semaine suivant les déclarations de M. Lightbound, en réponse à une question posée par Melissa Lantsman, une députée juive, le premier ministre a réitéré sa caractérisation des manifestants en déclarant :

[...] les députés conservateurs peuvent s’afficher aux côtés de gens qui arborent la croix gammée et qui brandissent le drapeau confédéré.

C’est bien notre premier ministre qui s’exprimait ainsi, chers collègues. Imaginez : Justin Trudeau a associé une députée juive à la croix gammée. Il était tellement déterminé à diviser le monde entre bons et méchants — en plaçant bien sûr ses adversaires politiques du côté des méchants — qu’il a oublié à qui il s’adressait. Tel est Justin Trudeau : il n’hésite jamais à insulter un adversaire. Il n’hésite jamais à exagérer et à qualifier de méchants ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. Il considère ceux-ci non pas comme des adversaires politiques, mais bien comme des ennemis et, comme il représente le Canada, ses ennemis sont les ennemis du Canada. En raison de cette attitude, il lui est impossible de simplement débattre et de parvenir à un compromis ou à un accord : c’est toujours le bien, c’est-à-dire lui, contre l’autre côté, donc le mal.

Lorsqu’on lui a demandé de s’excuser pour les propos qu’il avait tenus à l’égard de Mme Lantsman, il a refusé et a quitté la Chambre. Il n’était pas prêt à renoncer à sa vision des Canadiens selon laquelle il y a des gens à l’intérieur du groupe et d’autres à l’extérieur. Au lieu d’essayer de comprendre les répercussions qu’ont les mesures de son gouvernement sur les citoyens qu’il est chargé de représenter et les préoccupations à ce sujet, il s’est servi de son pouvoir pour les faire taire.

Comme je l’ai dit lors du débat sur la motion relative à la Loi sur les mesures d’urgence en février 2022 :

L’actuel premier ministre n’apprécie guère l’opposition. Il admire la dictature chinoise. Il n’écoute pas; il prêche. Il ne débat pas; il insulte. Il ne convainc pas; il impose.

Lorsque le premier ministre a déchaîné son instrument le plus consternant pour semer la discorde — le recours à la Loi sur les mesures d’urgence et le gel des comptes bancaires des manifestants et de tous ceux qui les appuyaient —, cela a l’effet d’un soufflet qui active les flammes de la division à un point tel que nous sommes encore en train de nous en remettre aujourd’hui. Cette décision a embarrassé notre pays sur la scène internationale et elle constituera une tache dans l’histoire du Canada.

Bien que la Cour fédérale du Canada a statué que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence était déraisonnable et une violation de la Charte, les conséquences se font encore sentir. Selon un sondage effectué par le centre canadien pour la recherche appliquée et sociale de l’Université de la Saskatchewan, 40 % des personnes interrogées ont affirmé avoir diminué leurs interactions avec des amis ou des membres de leur famille en raison d’une divergence d’opinions au sujet de la pandémie. J’ai d’ailleurs fait référence à l’un de ces exemples pas plus tard que la semaine dernière. C’est près de la moitié du pays, chers collègues. Le premier ministre a non seulement divisé les Canadiens en fonction de leur région, de leur allégeance politique et de leur statut vaccinal, mais ses discours et ses actions qui sèment la discorde déchirent littéralement des familles et des amitiés.

Un an après l’entrée en vigueur des exigences relatives à la vaccination, et un an après que le gouvernement a imposé la Loi sur les mesures d’urgence — après ce qui aurait pu être une année de réflexion —, M. Trudeau a déclaré dans une apparition publique qu’il n’avait pas forcé qui que ce soit à se faire vacciner, mais qu’il avait plutôt « encouragé » les gens à le faire. Les internautes se sont empressés de lui rafraîchir la mémoire en fournissant des clips où le premier ministre disait, entre autres, ceci :

Que faut-il retenir?

Une preuve de vaccination sera exigée d’ici la fin du mois pour tous les employés fédéraux.

Et d’ici la mi-novembre, des mesures d’application en place permettront de veiller à ce que tout le monde soit vacciné.

Personnellement, je ne parlerais pas d’encouragement ici.

L’aspect coercitif de la situation n’a pas troublé le premier ministre. Il a continué à diviser pour régner, à alimenter la peur et la discorde et à agir comme si lui et son gouvernement étaient inatteignables.

Par dessus le marché, il a eu le front de déclencher des élections en pleine pandémie. Il a essayé d’obtenir la majorité qu’il n’avait pas obtenue deux ans plus tôt. Bref, il s’est servi de la COVID-19 comme cheval de bataille.

Chers collègues, de nombreux Canadiens ont abordé la pandémie dans des conditions sanitaires et sociales différentes, en ayant des points de vue différents quant à la manière de gérer la situation et quant la réaction qu’ils attendaient de leurs concitoyens. C’est normal. C’est là toute la beauté d’une société pluraliste.

Les choses ont dérapé quand le premier ministre — qui répète que la diversité fait notre force — a soudain pensé que tous les citoyens devaient penser exactement de la même manière en ce qui concerne les questions cruciales, et qu’il s’est ensuite moqué de ceux qui s’écartaient de la ligne de pensée qu’il prônait et qu’il les a insultés et pénalisés.

Pendant la pandémie, Justin Trudeau n’a agi ni en chef de file ni en rassembleur. Il a plutôt choisi de diviser les Canadiens pour son seul bénéfice politique. Voilà, chers collègues, ce qu’il nous laissera en héritage.

Je me penche maintenant sur l’immigration. De tous les dossiers que le gouvernement Trudeau a bâclés, on pourrait dire que c’est celui-ci qui remporte la palme, même si l’application ArriveCAN figure certainement dans la liste des gâchis.

(1530)

Les Canadiens sont fondamentalement favorables à l’immigration. Notre culture et notre économie ont été enrichies et renforcées par l’immigration, et notre diversité a toujours été une source de fierté pour le Canada. Il est donc très grave — et vraiment tragique — qu’un gouvernement puisse si mal gérer ce dossier crucial en huit ans qu’il amène les Canadiens à commencer à s’opposer à l’immigration.

Selon un récent sondage Focus Canada mené auprès de 2 002 Canadiens pour déterminer leur position à l’égard des immigrants et des réfugiés — un échantillon qui, d’après les chercheurs, permet d’obtenir des résultats exacts à 2,2 points de pourcentage près —, les Canadiens sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux qu’il y a un an à dire qu’il y a trop d’immigration dans notre pays. Il s’agit là d’un renversement spectaculaire de la tendance observée depuis des décennies. Pour la première fois, un nombre croissant de Canadiens s’interrogent sur le nombre d’immigrants qui arrivent dans notre pays. Selon le sondage :

Cette opinion de plus en plus répandue selon laquelle le Canada accueille trop d’immigrants s’explique en grande partie par les préoccupations croissantes concernant la contribution possible des nouveaux arrivants à la crise du logement […]

D’après le sondage, les Canadiens de première génération figurent parmi les citoyens les plus inquiets.

La situation de l’immigration dans notre pays, chers collègues, est véritablement désastreuse. Même Justin Trudeau a déclaré lors d’une conférence de presse au début du mois d’avril :

Au cours des dernières années, nous avons observé une hausse gigantesque de l’immigration temporaire […], qui a augmenté à un rythme bien supérieur à ce que le Canada est en mesure d’absorber.

Il a donné un exemple : en 2017, les immigrants temporaires représentaient 2 % de la population du Canada; aujourd’hui, c’est 7,5 %. C’est une situation que nous devons reprendre en main, a-t-il dit, et il a ajouté que l’immigration temporaire était à l’origine d’une forte pression dans nos communautés.

Ce qui est paradoxal, comme Robyn Urback le fait remarquer dans le Globe and Mail, c’est que c’était à la suite de ce genre de remarques au sujet de l’immigration que M. Trudeau avait accusé les conservateurs de tenir des propos alarmistes. Par exemple, quand le député conservateur Steven Blaney a posé une question au sujet de l’énorme arriéré dans les demandes d’immigration en 2018, M. Trudeau a répondu : « [...] il est complètement irresponsable de la part des conservateurs de soulever des peurs et des inquiétudes par rapport à notre système d’immigration et de réfugiés. » M. Trudeau a ensuite fait porter le blâme de la gestion irresponsable du système d’immigration aux conservateurs du gouvernement Harper.

Comme l’écrit Robyn Urback :

Depuis — devons-nous en déduire —, le système d’immigration a été géré de manière responsable, et la preuve en est que le gouvernement libéral tente maintenant frénétiquement de faire volte-face en revenant sur ce qu’il faisait il y a tout juste quelques mois.

Chers collègues, en novembre 2022, le gouvernement a publié son plan visant à accueillir près de 1,5 million de nouveaux résidents permanents d’ici 2025, alors que, comme nous le savons maintenant, un rapport interne à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, avait averti la sous-ministre, parmi d’autres, que la croissance démographique était plus forte que celle de l’offre de logements et qu’elle continuerait à exercer une pression sur les services de santé du Canada.

Cela s’est produit après la réponse malavisée de Justin Trudeau à Donald Trump sur Twitter, réponse qui équivalait essentiellement à ouvrir grand les portes à l’afflux de migrants au Canada. Après le message publié sur Twitter par le premier ministre en 2017, plus de 18 000 migrants sont entrés illégalement par la frontière. Après être arrivés illégalement au pays, ils ont demandé l’asile à titre de réfugiés et ils ont pu rester au Canada et avoir accès à la myriade de programmes sociaux que le pays a à offrir, notamment en matière d’éducation, d’aide sociale, de logement et de santé. Le nombre de migrants a poursuivi sa croissance fulgurante l’année suivante.

Cela fera partie du legs de Justin Trudeau. Il a adhéré à l’Initiative du siècle, dont la proposition irresponsable est de faire passer la population du Canada à 100 millions de personnes d’ici 2100 — sans aucun plan ou investissement dans les infrastructures et les systèmes sociaux pour l’intégration des nouveaux arrivants. Quand il a réalisé que le Canada risquait de recevoir un afflux aussi massif d’arrivants, comme ses fonctionnaires l’en avaient prévenu, Justin Trudeau a commencé à jeter le blâme sur ces immigrants. Il vient de partir en croisade pour réduire le nombre de demandeurs d’asile, de travailleurs temporaires et d’étudiants étrangers, alors que c’est son gouvernement qui a augmenté ce nombre. Il n’essaie pas seulement de se dissocier de ses politiques nuisibles en matière d’immigration, il veut les annuler. Justin Trudeau a réussi à mettre fin au consensus canadien vieux de plus de 125 ans concernant les avantages de l’immigration.

Lorsque Justin Trudeau s’est trouvé à court d’excuses pour expliquer les difficultés rencontrées par les Canadiens, surtout en matière de logement, il a commencé à rejeter la faute sur les immigrants. Il a ciblé les étudiants étrangers et les travailleurs étrangers temporaires, comme si ce n’était pas lui qui avait permis à tous ces gens d’entrer au Canada en premier lieu.

Par son incompétence, Justin Trudeau a réussi à changer la vision positive des Canadiens à l’égard de l’immigration. Puis, il a décidé de monter les Canadiens contre les immigrants pour son propre bénéfice politique. Ce sera son héritage.

Comme je l’ai dit, les politiques de division de M. Trudeau ont touché presque tous les domaines. Je vais maintenant me concentrer sur sa politique énergétique et sur la façon dont il s’est sans cesse mis à dos l’Ouest canadien.

Nous sommes nombreux ici à nous souvenir de l’approche hostile de Pierre Elliott Trudeau à l’égard de l’industrie pétrolière en plein essor dans l’Ouest dans les années 1970 et au début des années 1980. Le gel des prix du pétrole, l’imposition de taxes sur les exportations de pétrole afin de subventionner les importations pour les raffineurs de l’Est et le désastreux Programme énergétique national, ou PEN, sont autant d’exemples. Les tensions étaient si vives entre le gouvernement fédéral et l’Ouest que Peter Lougheed, alors premier ministre de l’Alberta, avait qualifié la taxe à l’exportation de « mesure la plus discriminatoire prise par un gouvernement fédéral à l’encontre d’une province dans toute l’histoire de la Confédération ».

Le fameux Programme énergétique national qui a suivi a été présenté par le gouvernement comme un moyen de redistribuer une partie de la richesse pétrolière de l’Alberta tout en maintenant des prix bas pour les Canadiens. En réalité, il s’agissait d’un moyen pour le gouvernement de réduire une partie de son déficit de 14,2 milliards de dollars ainsi que le haut taux d’inflation, et il a ouvert la voie à une bataille entre les provinces de même qu’à l’aliénation de l’Ouest. Ce programme a conduit à la première montée du séparatisme de l’Ouest et il a contribué à l’effondrement d’une économie jusque-là florissante. Des milliers de Canadiens ont perdu leur emploi et leur logement, ce qu’ils ont attribué directement au programme. Lorsque le Programme énergétique national a été lancé, comme l’a indiqué la CBC dans un article de 2020 :

[...] c’était plus qu’une simple perte financière ou une impression que le gouvernement fédéral outrepassait ses limites constitutionnelles pour se mêler des ressources de l’Alberta. Ce fut une décharge d’adrénaline en plein cœur de l’aliénation de l’Ouest.

Wow, quelle analyse de la CBC.

Heureusement, avec l’élection de feu le grand et très honorable Brian Mulroney et l’annonce que le Canada était « prêt à faire des affaires », le Programme énergétique national a été officiellement supprimé dans son intégralité.

Chers collègues, la mise en place du Programme énergétique national a eu lieu il y a plus de 40 ans. Cependant, pour de nombreuses raisons, les Albertains ont encore l’impression que c’était hier. L’histoire de ce programme rappelle trop bien ce qui est possible, surtout de nos jours avec un autre Trudeau au pouvoir qui a confirmé l’adage tel père, tel fils.

En 2019, Justin Trudeau a présenté le projet de loi C-69, la Loi sur l’évaluation d’impact, surnommée plus tard la « loi anti‑pipelines », qui a créé une nouvelle autorité chargée d’évaluer les projets industriels — comme les pipelines, les mines et les routes interprovinciales — en fonction de leurs effets sur la santé publique, l’environnement et l’économie. En réalité, cette loi a alourdi les tracasseries administratives liées à la mise sur le marché du pétrole canadien et elle a donné au gouvernement fédéral le pouvoir d’annuler des projets majeurs, comme des mines de sables bitumineux et des projets d’exploitation des sables bitumineux, s’il estime qu’ils ne sont pas dans l’intérêt public. C’était un empiétement flagrant sur une compétence exclusivement provinciale qui a depuis été jugé inconstitutionnel par la Cour suprême du Canada.

(1540)

En 2021, Trudeau a annoncé pour la première fois le plafonnement des émissions de gaz à effet de serre que son gouvernement allait imposer à un seul et unique secteur : le secteur pétrolier et gazier. Aucun autre secteur de l’économie n’a dû s’engager à réduire ses émissions à ce moment-là, pas même celui du transport, qui est responsable de presque autant d’émissions que le secteur pétrolier et gazier.

Le règlement proposé a été présenté en décembre dernier et, comme promis, il cible le secteur pétrolier et gazier et exempte les 73,4 % des émissions de gaz à effet de serre produites par les autres secteurs. Au mieux, c’est injustifiable sur le plan scientifique. Au pire, c’est une attaque directe contre l’Ouest canadien.

Comme la professeure de science politique Lydia Miljan l’a souligné dans un article paru dans le Globe and Mail après l’annonce :

Le pétrole et le gaz continueront d’être en demande. Nous vivons dans un pays vaste, froid et peu peuplé et nous comptons sur le gaz naturel et le mazout pour nous chauffer et sur l’essence et le diésel pour nous déplacer. Plafonner les émissions n’aura aucun effet sur la demande. Cela aura simplement pour effet de changer nos sources d’approvisionnement. Au lieu de nous approvisionner au Canada, nous allons nous tourner vers les pays qui sont prêts à nous vendre du pétrole et du gaz.

C’est une honte. Dans le même ordre d’idées, des analystes de l’Institut Fraser ont déclaré, dans une lettre d’opinion publiée dans le Calgary Herald :

[…] toutes les prévisions crédibles concernant la consommation d’énergie à l’échelle planétaire montrent que le pétrole et le gaz continueront de dominer l’offre énergétique mondiale pendant des décennies.

Ils poursuivent ainsi :

[…] restreindre la production et les exportations de pétrole et de gaz au Canada ne fera que déplacer la production vers d’autres régions, possiblement vers des pays où les normes concernant la protection de l’environnement et le respect des droits de la personne sont moins élevées qu’ici […]

Le sentiment d’aliénation de l’Ouest canadien a été exacerbé par la taxe sur le carbone, surtout par l’exemption accordée aux provinces de l’Atlantique alors que les demandes de répit en provenance de l’Ouest restaient sans réponse. L’exemption de taxe sur le carbone de Trudeau a accordé un congé de taxe de trois ans aux résidants du Canada atlantique qui se chauffent au mazout en forçant les ménages qui se chauffent autrement à payer. Pour Justin Trudeau, les gens qui protestent contre sa taxe sur le carbone sont des adeptes des théories du complot et des extrémistes. On voit à quel point il est ouvert à la discussion sur ses politiques.

Ajoutons à cela les exigences sur l’électricité propre qui ciblent l’Alberta, et le portrait est complet. Comme son père avant lui, Justin Trudeau punit l’Ouest canadien, et surtout l’Alberta, dans l’espoir que le reste du Canada l’en remerciera. La seule différence est que ce qui était présenté comme une politique énergétique en 1980 est aujourd’hui déguisé en politique environnementale. Là aussi, comme son père avant lui, Justin Trudeau dresse les régions du Canada les unes contre les autres pour des raisons bassement politiques. Comme son père, Justin Trudeau quittera son poste après s’être mis l’Ouest canadien à dos.

Il a décidé de dresser les régions les unes contre les autres pour faire des gains politiques. La division du Canada sera son legs.

Le mandat de Pierre Elliot Trudeau a entraîné la création et la montée de mouvements séparatistes, d’abord au Québec, puis dans l’Ouest canadien. L’histoire se répète : nouveau Trudeau, même résultat.

Dans un article paru dans le Globe and Mail intitulé « L’unité canadienne mise à mal sous le gouvernement Trudeau », John Ibbitson brosse un portrait éloquent d’un Canada uni avant que Justin Trudeau ne devienne premier ministre et explique bien les divisions provinciales et la recrudescence des mouvements séparatistes au Canada.

Je vais citer un extrait de cet article, car je crois que l’argument qu’il fait valoir est fondamental :

Quand les libéraux ont formé un gouvernement majoritaire en octobre 2015, ils avaient une occasion en or de faire oublier des décennies d’impopularité des libéraux dans l’Ouest. Les libéraux avaient remporté 17 sièges en Colombie-Britannique, 7 au Manitoba, 4 en Alberta et 1 en Saskatchewan. Ils étaient en bonne position pour élargir leur électorat avec des politiques qui mettaient l’accent sur la consultation au lieu de l’imposition, qui reconnaissaient l’importance de l’économie de l’Ouest axée sur l’exploitation des ressources, et qui respectaient les sociétés distinctes des Prairies et de la Colombie-Britannique.

Il poursuit ainsi :

M. Trudeau a hérité d’une fédération en paix. Au Québec, le Parti québécois n’était plus au pouvoir et était en déclin, alors qu’au fédéral, le Bloc québécois était décimé, n’ayant remporté que 10 sièges lors des élections de 2015. Les choses étaient plus calmes sur le front fédéral-provincial qu’elles ne l’avaient jamais été depuis les années 1950. Le moment était certainement venu de renforcer les liens à l’échelle du pays — entre les anglophones et les francophones, entre le Centre et l’Ouest.

M. Ibbitson poursuit en soulignant la récente résurgence du Bloc québécois, les tensions croissantes entre francophones et anglophones, ainsi que le sentiment d’aliénation encore plus fort en Alberta. Il note que les clivages s’accentuent et que, selon les sondages, les conservateurs l’emporteraient sur les libéraux si des élections avaient lieu aujourd’hui.

Il poursuit ainsi :

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné? En un mot : l’autoritarisme. Les libéraux ont imposé des conditions aux provinces avant de leur accorder des fonds pour la santé. Ils ont imposé une taxe sur le carbone aux provinces qui n’atteignaient pas les cibles fédérales de réduction des émissions de carbone. Le projet de loi C¬ 69 a imposé des conditions tellement intrusives à l’exploitation des ressources que la Cour suprême a jugé la loi inconstitutionnelle.

Les libéraux ont décidé que les priorités nationales justifiaient l’utilisation du pouvoir fédéral de dépenser pour dicter des conditions aux provinces. Ils étaient prêts à laisser souffrir le secteur pétrolier et gazier des Prairies afin d’atteindre leurs cibles de réduction des émissions de carbone. Résultat : un ressentiment croissant à l’égard d’Ottawa dans tout le pays.

Il conclut en disant : « Voilà à quoi ressemble le Canada d’aujourd’hui, sous la direction de Justin Trudeau. »

Lorsque Stephen Harper a déclenché les élections de 2015, le Bloc québécois n’avait plus que deux sièges. Il en a aujourd’hui 32. En raison des attaques de Justin Trudeau contre les droits des provinces, le Parti québécois, un parti séparatiste, est aujourd’hui en tête des sondages au Québec et pousse pour la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance avant la fin de la décennie.

Au lieu de se concentrer sur ce qu’un premier ministre devrait faire — c’est-à-dire les dossiers qui relèvent de la compétence fédérale, comme la justice pénale, la défense nationale, les affaires étrangères et la politique monétaire et économique nationale — Justin Trudeau s’immisce continuellement dans les compétences provinciales. Presque toutes les annonces budgétaires faites par les libéraux ces dernières semaines concernaient un nouveau programme relevant d’une compétence provinciale. N’est-ce pas ironique? Justin Trudeau veut gérer les garderies, prendre en charge les programmes d’alimentation dans les écoles, arbitrer les relations entre locataires et propriétaires et gérer les systèmes de santé des provinces.

Après tout, lui et ses collègues libéraux en savent plus que tous les premiers ministres provinciaux, peu importe leurs couleurs. Oubliez la sagesse et l’expérience des régions. Pour lui, les provinces ne sont que les gestionnaires régionaux de ses politiques. Ce qui est ironique dans son besoin de gérer tous les programmes du pays, c’est qu’il n’est même pas capable de gérer ceux qui relèvent de sa propre compétence. Quand on voit ce qui se passe dans les bureaux des passeports, comment la politique d’immigration du Canada est gérée et comment les forces armées manquent de matériel, on ne peut s’empêcher de retenir son souffle en attendant de voir ce qui va se passer avec tous les nouveaux programmes que l’équipe Trudeau est en train de mettre en place.

Les attaques de M. Trudeau contre les compétences provinciales ont comme objectif de faire oublier ses échecs dans les dossiers de compétence fédérale. Évidemment, en agissant ainsi, il s’est mis à dos les premiers ministres provinciaux de tout le pays. Même les chefs des partis d’opposition provinciaux néo-démocrates et libéraux prennent leurs distances des libéraux fédéraux.

Les libéraux de la Colombie Britannique ont dû changer de nom pour s’assurer que personne ne pense qu’ils soutiennent les politiques de Justin Trudeau.

(1550)

Se battre avec les provinces était l’un des passe-temps favoris de Pierre Elliott Trudeau. Cela a peut-être été profitable à court terme pour le Parti libéral dans les années 1970, mais cela a failli détruire notre pays. Justin Trudeau utilise la même recette que son père a utilisée à l’époque : se battre avec les provinces. Même le seul premier ministre libéral provincial qui reste, Andrew Furey de Terre-Neuve-et-Labrador, est la cible de Trudeau.

Espérons que les électeurs canadiens mettront bientôt fin au régime libéral afin que Pierre Poilievre puisse recommencer à travailler en collaboration avec les provinces, et non contre elles. Nous reviendrons bientôt à une période de respect mutuel, de dialogue et de collaboration entre les provinces et le gouvernement fédéral, comme cela a toujours été le cas lorsque les libéraux ne sont pas au pouvoir. En attendant, nous savons que ces divisions entre les ordres de gouvernement au Canada et la résurgence du mouvement séparatiste au Québec feront partie de l’héritage de Justin Trudeau.

Chers collègues, aborder des questions controversées est un aspect inévitable du leadership. Il est pratiquement impossible d’obtenir le soutien unanime des citoyens pour les politiques proposées. Pourtant, au Canada, il existait autrefois une croyance commune dans les objectifs ultimes et les valeurs fondamentales. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Sous la direction de Justin Trudeau, les Canadiens sont moins enclins à participer à des débats réfléchis et plus susceptibles de prendre leurs distances par rapport aux personnes avec qui ils sont en désaccord. Après tout, le premier ministre lui-même choisit constamment les gagnants et les perdants, ce qui relève de la vertu et ce qui est moralement inacceptable, pour ensuite faire des remarques désobligeantes à l’endroit de la moitié qui ne partage pas son opinion. En plus d’alimenter la discorde sur les questions pressantes du moment, il a ravivé les divisions sur des sujets que beaucoup d’entre nous pensaient réglés depuis longtemps — par exemple, les divisions fondées sur la religion.

Bon nombre d’entre nous considéraient que le Canada était un pays dont les citoyens pouvaient pratiquer en toute liberté la religion de leur choix, en raison d’un droit garanti par la Charte et d’un principe culturel qui nous est cher. Même si ce droit existe toujours, l’adhésion inébranlable de Justin Trudeau à son idéologie a fait en sorte qu’une plus grande valeur est accordée à certaines religions qu’à d’autres.

Depuis le printemps 2021, True North a dénombré 47 églises ou bâtiments d’église qui ont été brûlés ou détruits par un incendie criminel et 53 autres qui ont été la cible d’actes de vandalisme. Le premier ministre n’a pas dit un mot sur cette situation. Une attaque contre un lieu de culte, quel qu’il soit, est un acte répugnant. Le gouvernement canadien ne peut pas dénoncer vivement les attaques contre certaines religions et rester silencieux lorsque d’autres sont ciblées. C’est néanmoins ce qui se passe au Canada sous la gouverne de Justin Trudeau.

Par exemple, il s’est engagé à retirer le statut d’organisme de bienfaisance aux centres d’aide à la grossesse, qui sont souvent affiliés à la foi chrétienne, parce qu’ils ont une opinion différente de la sienne sur le sujet de l’avortement — ce sont d’autres points de vue intolérables. Il n’a pas encore donné suite à sa promesse, mais la menace plane toujours sur ces organismes. Comme l’ont déclaré certains défenseurs des centres de grossesse, le retrait de leur statut d’organisme de bienfaisance créerait un dangereux précédent qui toucherait bien plus que les seuls centres de crise. Par exemple, cela aurait des répercussions sur les églises, les camps et les bonnes œuvres. Les arguments des libéraux visent tout particulièrement les centres d’aide à la grossesse.

Certains se sont interrogés sur les termes employés et sur ce qui pourrait être considéré comme une organisation antiavortement. Par exemple, un lieu de culte qui s’oppose à l’avortement pourrait-il être visé? Comme l’a déclaré David Cooke de la Coalition nationale pour la vie :

Chaque fois que le statut d’organisme de bienfaisance est révoqué, les dons diminuent [...] S’ils ne détiennent pas un statut d’exonération fiscale, ils devront commencer à payer l’impôt foncier, ce qui les anéantira et les fera tout simplement disparaître.

Pregnancy Care Canada a aidé des centaines de milliers de femmes en leur fournissant des articles comme des couches, de la préparation pour nourrisson et des vêtements, de l’éducation prénatale, des programmes d’éducation parentale, et même du soutien et des soins après l’avortement. À tous égards, il s’agit d’un organisme de bienfaisance.

Lorsque le National Post a demandé au cabinet de la ministre Freeland si des églises risquaient de perdre leur statut d’exonération fiscale et sur quels critères se fonderait l’Agence du revenu du Canada pour déterminer si une organisation fournit des conseils malhonnêtes, le cabinet n’a pas donné de réponse. Il s’est contenté de réitérer la promesse faite dans le programme libéral.

Rappelons que ce n’est pas la première fois que les libéraux ciblent les groupes pro-vie. En 2017, le gouvernement a exigé que les groupes participant au programme Emplois d’été Canada pour les étudiants déclarent qu’ils n’étaient pas pro-vie, ce qui a empêché des organisations religieuses du pays de recevoir la subvention. Quelques années plus tôt, il a déclaré que tous les candidats libéraux devaient donner leur point de vue sur l’avortement pour se présenter. Quelle pensée progressiste!

Sur une question qui divise les Canadiens, au lieu d’adopter la position des premiers ministres précédents, qui ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils ne rouvriraient pas le débat sur l’avortement, Justin Trudeau s’est carrément inséré au milieu du débat, choisissant une fois de plus les gagnants et les perdants, le bon et le mauvais côté, les Canadiens tolérables et les Canadiens intolérables. Dans un débat déjà passionné et émotif, M. Trudeau n’a rien fait pour apaiser les tensions. Au contraire, il a attisé davantage la discorde.

Permettez-moi de citer un article paru le 17 mai dans le Toronto Sun sous le titre « Trudeau is stoking the fires of division », c’est‑à‑dire « Trudeau attise les feux de la division » :

Un autre jour, une autre attaque du premier ministre Justin Trudeau contre un premier ministre conservateur.

Il a attaqué Scott Moe, le premier ministre de la Saskatchewan, au sujet de la taxe sur le carbone. Il attaque Danielle Smith, la première ministre de l’Alberta, sur presque tout.

Cette semaine, Trudeau a ciblé Blaine Higgs, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, le qualifiant de « honte » en matière de droits des femmes et le critiquant sur ses politiques en matière d’identité de genre [...]

Parce qu’il importe la politique américaine, Trudeau alimente le feu de la dissidence [...]

En ce qui concerne la guerre entre Israël et le Hamas, Trudeau a fait de nombreuses déclarations confuses et incompréhensibles dans une tentative de prendre une position publique neutre. Pourtant, il envoie certains députés livrer un message dans des mosquées, tandis qu’il somme d’autres députés à livrer un tout autre message dans des synagogues. Voilà que les libéraux appuient une motion dont le libellé crée une fausse équivalence entre l’État d’Israël et l’organisation terroriste du Hamas. Ce faisant, le gouvernement Trudeau s’est aliéné des membres de son propre caucus, comme le député juif Anthony Housefather, qui a déclaré que la motion dépasse les bornes.

Les positions embarrassantes et incohérentes de Trudeau en matière de politique étrangère et les divisions au sein de son propre caucus ont même attiré l’attention des médias internationaux. Le magazine The Economista publié, en avril, un article qui parle du fait que Justin Trudeau est aux prises avec un parti divisé et un électorat en colère, notant qu’il a dû étouffer plusieurs échanges houleux entre les députés libéraux au sujet du rôle du Canada dans la guerre à Gaza. L’article fait référence à la motion originale du NPD appelant à un cessez-le-feu et à la reconnaissance d’un État palestinien, et souligne que plus de la moitié du caucus de Trudeau a soutenu la motion avant qu’elle ne soit édulcorée. L’article indique que « si la motion originale avait été mise aux voix, le résultat du vote aurait mis en évidence une division au sein des députés libéraux. » Il ajoute que la version amendée « […] a évité une démonstration embarrassante d’incohérence en matière de politique étrangère », mais signale que trois députés libéraux ont rompu les rangs et voté contre la motion, tandis que de nombreux autres ne se sont pas présentés au vote.

Dans ce dossier, M. Trudeau prononce ses platitudes habituelles, demandant aux Canadiens de cesser d’exacerber les divisions et de se rappeler qui nous sommes, mais sa position sur la neutralité et le relativisme moral a contribué à fracturer le Canada. L’absence de leadership du premier ministre et du gouvernement qu’il dirige a des conséquences : il y a quelques jours à peine, ici même, sur la rue Wellington, une horde acclamait le Hamas et célébrait le massacre du 7 octobre.

(1600)

Le manque de rigueur morale de Trudeau est tout simplement renversant, et il a favorisé la vague d’antisémitisme et de haine envers les juifs que nous observons partout au Canada.

Il est évident que ces mouvements anti-Israël sont coordonnés et financés par des acteurs étrangers. Au lieu de protéger le Canada contre cette nouvelle ingérence étrangère dans le débat public, le gouvernement Trudeau se fait invisible.

Ce manque de leadership et de rigueur morale de Justin Trudeau, combiné aux efforts des libéraux pour séduire l’électorat de certaines communautés, provoque de plus en plus de division parmi par les Canadiens.

Il y a maintenant au Canada des tensions jamais vues entre les communautés musulmanes et juives. C’est la même chose du côté de la communauté chinoise ou des communautés sikhes et hindoues.

Le Canada a été bâti sur le respect entre les communautés. Un vrai leader parlerait sans équivoque : tous les Canadiens seront traités de façon équitable, et les Canadiens doivent se respecter les uns les autres. Or, Justin Trudeau alimente la division à des fins électoralistes et il léguera un Canada plus divisé qu’à son arrivée. Ce sera son legs.

Enfin, selon un rapport récent de la GRC, la crise du logement, en ce qui concerne l’abordabilité en particulier, risque de diviser encore plus les Canadiens jusqu’à provoquer une révolte. En effet, grâce à une demande d’accès à l’information faite par Matt Malone, professeur adjoint de droit à l’Université Thompson Rivers, en Colombie-Britannique, un rapport de la GRC largement caviardé a été rendu public en mars.

Le rapport met en garde contre une montée plausible des troubles civils dans un proche avenir, une fois que les Canadiens prendront conscience du désespoir de leur situation économique. Le rapport se lit comme suit :

La prochaine période de récession aura également pour effet d’accélérer le déclin du niveau de vie dont les jeunes générations ont déjà été témoin par rapport aux générations précédentes.

Par exemple, un grand nombre de Canadiens de moins de 35 ans ont peu de chance d’être un jour en mesure d’acheter un endroit où vivre.

Ceci est vraiment triste. Il y a maintenant un fossé entre ceux qui possèdent une maison et ceux qui ne peuvent que rêver d’en avoir une. Les jeunes Canadiens, et plus particulièrement les jeunes familles, sont victimes du problème du logement abordable. Selon The Economist, les jeunes Canadiens occupent le 58e rang de l’échelle mondiale du bonheur, juste avant les jeunes en Équateur, un pays déchiré par la violence liée aux gangs.

Selon les statistiques disponibles, les données du rapport de la GRC sont exactes. Une récente analyse effectuée par la Banque Royale du Canada révèle que l’abordabilité du logement a atteint le pire niveau que le Canada ait jamais connu. Par exemple, à l’heure actuelle, seulement les 26 % des familles canadiennes les plus riches pourront un jour se permettre d’acheter une maison unifamiliale. Lorsque Trudeau est arrivé au pouvoir, un ménage qui gagnait le revenu médian pouvait couvrir les coûts associés au fait d’être propriétaire d’une maison moyenne en dépensant 39 % de son revenu. Ce pourcentage est désormais de 64 %. Il est passé de 39 % en 2015 à 64 % aujourd’hui. Les taux d’intérêt exorbitants et la crise du logement, qui sont tous deux l’œuvre de Trudeau, empêchent les familles canadiennes de posséder une maison.

Comme l’indique le rapport de la GRC, les prévisions économiques pour les cinq prochaines années et au-delà sont sombres.

Nous avons vu des économies mal gérées dans le passé, mais je n’aurais jamais cru voir un jour un gouvernement canadien détruire la sécurité financière de ses citoyens à un point tel que la GRC devrait commencer à planifier en prévision de désordres civils. Chers collègues, voilà le Justin Trudeau et le Parti libéral d’aujourd’hui.

Face à ce mécontentement grandissant, les libéraux ont décidé d’ouvrir deux autres fronts : s’attaquer aux soi-disant riches et tenter de monter les jeunes Canadiens contre leurs parents. C’est toujours la même histoire avec les libéraux de Trudeau : au lieu de travailler à corriger les problèmes, ils trouvent le moyen de rejeter le blâme sur quelqu’un d’autre.

Les socialistes embourgeoisés qui appuient le premier ministre Trudeau ont décidé de se livrer à une guerre des classes. Ils s’attaquent non seulement aux grandes entreprises américaines, mais aussi à Bell et à Rogers. Les libéraux fuient leurs responsabilités en disant que ce sont les chaînes d’épiceries qui sont responsables de l’inflation. Depuis quand? Ces chaînes, qui existent depuis longtemps, seraient maintenant responsables de l’inflation. Maintenant, ils veulent obliger ce qu’ils appellent les ultrariches à payer pour les déficits du premier ministre Trudeau.

Ces gens qui donnent des milliards de dollars à des fabricants de voitures se plaignent que le capitalisme est mauvais. Ces gens qui se plaignent parce que Loblaws fait trop d’argent a quand même donné des millions de dollars à cette entreprise pour qu’elle remplace ses réfrigérateurs. Ces personnes qui se plaignent parce qu’il n’y a pas assez de logements locatifs sur le marché ont décidé de hausser les impôts des gens qui achètent, rénovent et gèrent les petits immeubles d’habitation. Ces gens qui disent qu’ils font tout cela pour les générations futures imposent à celles-ci une dette de plusieurs centaines de milliards de dollars.

Par ailleurs, avec son dernier budget, le gouvernement Trudeau envoie un message on ne peut plus clair : si les jeunes Canadiens n’arrivent pas à trouver un logement, estiment qu’ils sont sous‑employés ou perdent espoir en l’avenir, ce n’est pas à cause des libéraux qui sont au pouvoir depuis des années, mais plutôt à cause des baby-boomers.

Justin Trudeau a décidé de monter les Canadiens les uns contre les autres, selon leur âge et leur revenu, pour son propre intérêt politique. Voilà ce que sera l’héritage de Justin Trudeau.

Chers collègues, définir l’identité canadienne a toujours été une entreprise difficile, mais nous savons qu’elle inclut les idéaux d’optimisme, de tolérance et d’unité. Le leadership de M. Trudeau a indéniablement favorisé la division au sein du Canada, nous laissant dans un état d’unité affaiblie, de colère accrue et, pour beaucoup, d’un sentiment de désespoir, un état contraire à un esprit canadien cohésif.

Si la gestion de questions controversées est un aspect inhérent à la gouvernance, il est inacceptable qu’un dirigeant cultive activement la discorde, sème la division parmi les citoyens ou dénigre les voix dissidentes. Il a créé plusieurs classes de Canadiens, nous divise en fonction de la race, de la sexualité, du statut vaccinal, de la région et de l’âge. Il a déclaré intolérables certains segments de la population. C’est un excellent exemple de la stratégie « diviser pour régner » destinée à détourner l’attention de ses propres échecs en tant que premier ministre du pays. Un Canada plus divisé, tel est l’héritage de Justin Trudeau. Un changement de gouvernement, chers collègues, n’a jamais été aussi crucial.

L’essence de l’esprit canadien demeure, même si elle est fragile. Les souvenirs d’une époque de solidarité et de prospérité persistent. Il reste l’espoir d’un avenir où l’unité sera rétablie, où les gouvernements fédéral et provinciaux collaboreront, où les sentiments séparatistes disparaîtront, où les tensions raciales seront chose du passé, où l’immigration sera considérée comme un enrichissement pour notre société, où les conflits internationaux n’entraîneront pas de débordements dans nos rues et où les politiciens ne prononceront pas des discours populistes de bas étage pour diviser et régner.

Chers collègues, il est manifeste que pour rétablir l’unité nationale, il faut un gouvernement conservateur plein de bon sens dirigé par Pierre Poilievre. Nous aurons à relever d’immenses défis pour remettre le pays sur pied. Cependant, chers collègues, c’est ensemble que nous parviendrons à rebâtir le Canada après neuf longues années d’obscurité.

(1610)

J’ai conçu ce discours comme une série sur Netflix. Vous venez d’entendre l’épisode 2 de la saison 1. J’ai encore pas mal de choses à dire sur ce sujet, car le premier ministre ne cesse de me donner du matériel. J’aborderai l’épisode 3 dans un avenir très proche.

Sur ce, chers collègues, j’aimerais ajourner le débat pour le temps de parole qu’il me reste. Merci, chers collègues.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion du sénateur Plett, le débat est ajourné.)

Règlement, procédure et droits du Parlement

Motion tendant à autoriser le comité à étudier le rôle des sénateurs non affiliés—Ajournement du débat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 1er mai 2024, propose :

Que le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, le rôle des sénateurs non affiliés, y compris les mécanismes visant à faciliter leur pleine contribution et participation à un Sénat modernisé;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 19 décembre 2024.

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je suis heureuse d’avoir l’occasion de dire quelques mots sur la motion. La présidente intérimaire vient de la lire, mais je tiens à la répéter afin que nous comprenions bien le libellé. Je ferai valoir que sa portée est très étroite. J’espère que le Sénat collectivement — l’ensemble des groupes et des caucus — sera d’avis qu’il serait judicieux de renvoyer rapidement cette motion au comité. Nous pourrons alors commencer à nous attaquer à ce que je considère comme des injustices flagrantes de longue date en ce qui concerne les droits et les privilèges des sénateurs qui choisissent de siéger comme des non affiliés, sans faire partie d’un des groupes indépendants ou du caucus de l’opposition.

Le libellé de la motion est le suivant :

Que le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, le rôle des sénateurs non affiliés, y compris...

J’en viens à la partie importante sur laquelle je veux insister.

... les mécanismes visant à faciliter leur pleine contribution et participation à un Sénat modernisé [...]

La motion ajoute que le comité devrait soumettre son rapport final au Sénat au plus tard le 19 décembre prochain. Nous savons tous que, selon les procédures établies, si un comité n’a pas terminé ses travaux, il peut demander au Sénat de lui donner plus de temps. Le Sénat doit alors décider si cette prolongation sera accordée. Compte tenu du temps où le Sénat siège et ne siège pas, cela nous donne une marge de manœuvre d’environ six mois.

Si je tenais à lancer cette discussion aujourd’hui, c’est entre autres parce que j’ai consacré une bonne partie des plus de huit années que j’ai passées ici à réfléchir au Règlement et à la modernisation. J’ai siégé aux comités concernés, par intermittence, pendant un certain temps. Dans les débats et les discussions en comité et dans cette enceinte, j’ai souvent entendu parler des droits des sénateurs individuels et de la nécessité de veiller à ce que le majoritarisme ne bafoue pas les droits des sénateurs individuels. Pourtant, c’est exactement ce que nous faisons de manière récurrente lorsqu’un sénateur choisit de ne pas s’associer à la façon dont nous avons décidé collectivement de nous organiser nous-mêmes, la majorité d’entre nous étant membres d’un groupe de sénateurs indépendants, du caucus de l’opposition ou du bureau du représentant du gouvernement pour mener, surveiller et gérer les délibérations du Sénat sur les projets de loi du gouvernement.

J’ai souvent entendu, parfois dans des situations où je ne comprends pas la pertinence de l’argument dans le contexte de l’opposition à la modernisation et à des modifications du Règlement, que cela bafouera en quelque sorte les droits des sénateurs individuels. Pourtant, sans le moindre doute, c’est ce que font bon nombre des procédures et certains articles du Règlement : ils bafouent les droits des sénateurs individuels.

J’ai quelques exemples. À mon arrivée au Sénat, je me souviens qu’un certain sénateur d’en face, qui était président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration à l’époque — et il a depuis déclaré publiquement qu’il a eu tort d’agir comme il l’a fait, ce qui signifie que je ne le critique pas et que je ne fais que me souvenir —, en a passé une petite vite au comité avec de nouveaux sénateurs naïfs, non formés et non renseignés sur la façon dont les choses se déroulent ici. Au lieu de choisir de qualifier ces sénateurs individuels d’« indépendants », il a décidé de tous les qualifier de « non affiliés ». C’était intéressant à l’époque, car je ne comprenais pas très bien ce que cela signifiait par rapport au Règlement et à son application. Je pensais qu’en tant que sénatrice, j’avais droit à tous les droits et privilèges.

J’ai rapidement découvert que je n’avais pas le droit de siéger à un comité tant que je ne faisais pas partie d’un groupe — et il n’y avait qu’un duopole à ce moment-là, jusqu’à ce que nous établissions le Groupe des sénateurs indépendants. Si on examine le Règlement et les procédures, on pourrait penser que j’en avais le droit, mais je ne disposais d’aucun mécanisme pour exercer ce droit, puisque nous sommes organisés davantage en fonction des procédures que du Règlement, et nous avons privilégié le processus par lequel les groupes proposent des noms.

Un autre élément était aussi très intéressant. J’étais de ceux qui réclamaient l’instauration d’un principe de proportionnalité et qui se battaient très fort afin qu’il y ait en quelque sorte un lien entre le nombre de sièges à un comité et la provenance des sénateurs. J’y crois profondément, mais nous avons constaté très rapidement que, si nous ne faisions pas partie d’un groupe, le principe de proportionnalité ne s’appliquait pas à nous et, en tant que sénateurs non affiliés, nous ne pouvions pas siéger à un comité.

Je me souviens que le Groupe des sénateurs indépendants a tenté de régler le problème. Nous avons mis en place un processus où les sénateurs soumettaient leur candidature — et il y a encore un processus semblable en place —, mais ils donnaient leur premier choix de comité, puis leur deuxième choix et ainsi de suite. Ils n’allaient pas nécessairement obtenir un siège au comité de leur choix, mais ils allaient en obtenir un quelque part. Nous avons ouvert les comités aux sénateurs non affiliés et en avons invité quelques-uns. Je me souviens qu’à l’époque, la sénatrice Bellemare s’était jointe au bureau du représentant du gouvernement. Rien n’interdisait aux sénateurs du bureau du représentant du gouvernement de siéger à des comités, mais, quand le principe de proportionnalité a été appliqué, ces sénateurs ont eux aussi été écartés du processus.

Il n’y avait pas d’interdiction à cette époque, et la sénatrice Bellemare est venue et a participé tandis que nous inscrivions nos noms sur des papillons adhésifs que nous collions sur des tableaux, et tout ça. Nous nous sommes efforcés de faire des compromis. Nous avions l’impression que c’était la responsabilité du Groupe des sénateurs indépendants — et il y en a maintenant deux de plus, alors je ne parle pas uniquement de celui-là; c’était simplement la situation à l’époque — et nous avons tous réclamé une répartition proportionnelle.

Pour un sénateur non affilié, le seul moyen de faire partie d’un comité — ce qui devrait être un droit absolu —, compte tenu de la procédure, consiste à quémander un siège aux dirigeants de chacun des autres groupes, ce qui comprend un caucus et trois groupes. Lorsque cela répond aux besoins de ces groupes parce qu’ils ne peuvent occuper un siège et que les chiffres sont en baisse, ils accordent un siège, mais selon ce que je comprends, c’est toujours — et d’autres vont en parler — à la condition que ce siège continue d’appartenir à ce groupe. C’est en raison de la proportionnalité.

Comment s’attaquer à la proportionnalité tout en la respectant? Je pense qu’il s’agit d’un principe fondamental, mais comment assurer des sièges aux non affiliés? Je n’ai pas la réponse à cette question, mais il faut en trouver une. En toute conscience, nous ne pouvons continuer ainsi.

J’aimerais dire rapidement qu’il y a d’autres enjeux, comme la capacité de savoir exactement ce qu’il y a dans les notes du greffier. Pour le public qui nous écoute, lorsque je suis arrivée ici, les notes du greffier servaient à déterminer ce sur quoi nous allions travailler cette journée-là. Nous nous tenons mutuellement au courant des sénateurs qui prendront la parole. L’accès aux notes n’est ni libre ni transparent pour les sénateurs non affiliés. Des personnes ont essayé de s’adapter en exprimant leurs points de vue ou en manifestant leur volonté d’intervenir, mais qu’en est-il du droit d’être pris en considération au même titre que tous les autres membres d’un groupe organisé ou d’un caucus pour poser une question pendant la période des questions ou faire une déclaration?

(1620)

Lorsque je siégeais à l’Assemblée législative de l’Ontario, le Président avait l’entière responsabilité de gérer l’ordre d’intervention. Nous proposions des noms, mais si un député indépendant demandait la parole — ce qui arrivait de temps à autre, habituellement quand quelqu’un avait été expulsé d’un caucus —, le Président avait le droit de la lui accorder. Il essayait de trouver un équilibre entre le nombre de questions posées et la possibilité d’en poser. Encore une fois, c’est une question de procédure, mais il faut examiner la situation et la comprendre. Comment peut-on faire en sorte que le droit de faire son travail, de représenter sa région et de faire valoir les intérêts de groupes reconnus par la Charte, de groupes en quête d’équité, de groupes régionaux et ainsi de suite soit respecté, de façon à ce que chaque sénateur ait le droit de défendre les principes en cause et de soulever les questions qui s’imposent?

Qu’en est-il du « marchandage » — un mot qui a souvent une connotation péjorative dans le monde des affaires et auquel je donne moi aussi un sens semblable — qui entoure les projets de loi d’initiative parlementaire provenant de la Chambre des communes ou les projets de loi d’intérêt public du Sénat, qui sont essentiellement des projets de loi d’initiative parlementaire? Comment un sénateur non affilié peut-il faire en sorte que le Sénat se penche sur son projet de loi quand les intérêts des divers groupes sont au cœur du marchandage sur la priorité des dossiers et la recherche d’une égalité? À titre d’exemple, depuis combien de temps la sénatrice McPhedran a-t-elle présenté son projet de loi sur l’âge de voter? Elle pourra probablement nous le dire. Elle pourra aussi nous dire depuis quand elle a présenté son projet de loi sur les accords de non-divulgation, un enjeu qui pique grandement ma curiosité et dont j’ai hâte que nous débattions. Comment soumettre ces mesures à l’examen du Sénat?

Bien sûr, faire partie d’un groupe ne garantit rien. Je pense à la sénatrice Pate, qui s’assoit directement derrière moi et dont le projet de loi est resté à l’étape du rapport pendant combien de temps déjà? Je pense qu’il a fallu huit ou neuf mois avant que le Sénat finisse par s’en occuper. Ce projet de loi a été longtemps exclu des opérations de marchandage en raison d’objections au sein d’un groupe.

Ce n’est pas ainsi que nous devrions travailler. Les projets de loi méritent d’être examinés et, s’ils ne sont pas bons, le comité devrait en rejeter l’examen. Il existe un processus pour cela. Cependant, l’issue de ce processus ne doit dépendre ni du marchandage, ni de ses amis, ni des sénateurs avec qui l’on s’entend ou qui partagent notre façon de penser. Il s’agit d’un processus qui doit respecter les droits individuels des sénateurs dans la présentation des projets de loi. Il y a beaucoup de choses qui, je l’espère, seront discutées en comité, mais je pense que c’est là qu’elles doivent être discutées.

Je ne continuerai pas à parler de cette question parce que ce n’est pas ma voix qui doit être entendue, mais celle des sénateurs non affiliés et de ceux, en particulier, qui détiennent ce statut depuis longtemps, qui ont acquis de l’expérience et qui sont en mesure d’éclairer le Sénat. Je sais, d’après les discussions que j’ai eues avec la sénatrice Bellemare et les membres du comité, que si cette motion est adoptée, ces sénateurs seront invités à venir témoigner devant le comité. C’est là que le dialogue doit avoir lieu.

Les groupes indépendants qui se sont battus pour la proportionnalité doivent trouver un moyen de conserver la proportionnalité, mais peut-être pas tous les sièges qu’ils détiennent au sein de chaque comité. Comment définir un processus et un droit pour les sénateurs indépendants? Nous entendrons peut-être des suggestions à ce sujet. Si ce n’est pas le cas, je pense que les débats parfois riches qui se déroulent au Comité du Règlement pourraient apporter des réponses.

Nous sommes saisis d’une motion qui nous donne l’occasion d’entamer une discussion qui s’inscrit dans le prolongement de certaines délibérations passées. Quels sont les droits et les privilèges de tous les sénateurs indépendants? Comment devrions‑nous nous organiser compte tenu des choix que nous avons faits jusqu’à présent? J’ai des suggestions pour l’avenir à cet égard, mais ce sera pour un autre débat. Comment s’organiser sans nier les droits inhérents des sénateurs non affiliés et les principes fondamentaux d’une participation entière?

Il y a un hic dans le processus. C’est comme un changement de culture. Le Sénat évolue — très lentement, devrais-je ajouter, ce qui convient à certains tout en suscitant l’impatience chez d’autres — pour devenir une institution différente, modernisée, où la manière d’interagir se teinte de sensibilités nouvelles. Le moment est venu d’assurer qu’au fur et à mesure que nous avançons, nous reconnaissons, comprenons, faisons valoir et respectons pleinement les droits et les privilèges de tous les sénateurs, qu’ils fassent partie d’un groupe ou d’un caucus ou qu’ils siègent en tant que sénateurs non affiliés.

Sur ce, puisque je sais qu’au moins trois sénateurs non affiliés ont l’intention de prendre la parole, je vous demande d’écouter et de réfléchir. Je sais qu’on a demandé aux différents groupes de s’informer mutuellement des personnes qui ont l’intention de s’exprimer. Je demande aux gens d’écouter les sénateurs non affiliés et d’adopter cette motion à l’unanimité aussi rapidement que possible afin de la renvoyer au comité pour que le vrai travail, le dialogue et, je l’espère, les progrès puissent commencer.

Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps. Je l’apprécie, chers collègues.

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Lankin, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Lankin : Oui.

L’honorable Denise Batters : Sénatrice Lankin, le groupe du gouvernement et vous avez rédigé une motion omnibus de huit pages qui visait à modifier le Règlement. Pourquoi les sénateurs non affiliés n’y étaient-ils pas mentionnés? Je présume que vous avez consulté dans une certaine mesure les leaders ou la direction des autres groupes. Avez-vous consulté des sénateurs non affiliés dans le cadre de ce processus? Si non, pourquoi?

La sénatrice Lankin : C’est une bonne question : si non, pourquoi? En réalité, je l’ai fait. J’apprécie beaucoup votre approche, sénatrice Batters, comme nous avons échangé à quelques reprises sur le Règlement. Nous avons siégé ensemble au comité directeur, et je comprends tout à fait où vous voulez en venir.

Oui, j’ai consulté les groupes. J’ai cherché à savoir s’il y avait un consensus sur ce qui pouvait être accompli. Plus précisément, j’ai demandé à tous les leaders s’ils voulaient que je rencontre leur groupe. On m’a dit dans quels cas une telle rencontre était souhaitée et quand elle ne l’était pas, parfois parce qu’elle n’était pas nécessaire. On ne m’a jamais invitée, si je peux m’exprimer ainsi.

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Lankin, le temps alloué au débat est écoulé.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je suis heureuse d’avoir recouvré la santé après une troisième attaque de COVID, qui m’a empêchée de participer à certains débats importants tenus récemment au Sénat. Je suis reconnaissante envers la sénatrice Lankin de m’avoir prévenue que cette motion serait présentée aujourd’hui, et je remercie la sénatrice Bellemare de m’avoir invitée à discuter de ce qui, d’après mon expérience, est une discrimination bien ancrée à l’égard des sénateurs non affiliés, qui a été exacerbée par les règles adoptées durant mon absence.

Après l’annonce d’aujourd’hui, je souhaite au sénateur David Richards la bienvenue dans notre petit coin non affilié du Sénat.

Une voix : Bravo!

La sénatrice McPhedran : Chers collègues, vous vous souviendrez peut-être que dans le cadre du débat sur les récentes modifications au Règlement du Sénat, j’ai posé au sénateur Plett une question sur l’égalité entre tous les sénateurs. En réponse, il m’a assuré que je suis égale, et cela m’a fait penser au grand philosophe Aristote, qui n’était pas partisan de la démocratie, et qui aurait dit : « Être égal, c’est avoir les mêmes droits; être différent, c’est être traité différemment. »

En tant que sénatrice non affiliée, je suis différente de vous, sénateur Plett, et je suis traitée différemment.

Si je me fie aux conversations que j’ai eues, il semble que de nombreux sénateurs ne réalisent pas que le système de gouvernance interne complètement clos au Sénat empêche dans les faits des sénateurs d’accéder aux droits garantis par la Charte dont ils jouissent en dehors de ce système. Je reviendrai là-dessus dans des discours ultérieurs. Néanmoins, la première fois qu’un sénateur apprend cette réalité, cela peut être un choc.

Peu de temps après que la Loi constitutionnelle de 1982, qui intègre la Charte canadienne des droits et libertés, soit devenue la loi suprême du pays, la notion aristotélicienne d’égalité formelle a été rejetée par la Cour suprême du Canada. Dans l’affaire Andrews c. Law Society of British Columbia, la cour a établi un précédent en exposant la hiérarchie sous le couvert de l’égalité comme jamais auparavant, rejetant l’ancienne théorie de l’égalité formelle — si chère au sénateur Plett et à Aristote — qui, dans les mots de Catharine A. MacKinnon, estimée professeure de droit de Yale produit bien peu de véritable égalité sociale et, en fait, protège l’inégalité.

(1630)

Le débat récent sur le Règlement a mis au jour ces interprétations contrastées de l’égalité. Devant le Comité du Règlement, le sénateur Tannas a expliqué ce qui suit :

[…] la motion propose une série de modifications au Règlement du Sénat visant à procurer l’égalité à tous les groupes du Sénat. Les modifications portent principalement sur des actions qui, à ce jour, sont exclusives au gouvernement et à l’opposition et les étend aux autres groupes en leur conférant des droits égaux et en leur confiant des responsabilités égales.

Mes collègues conservateurs ont soulevé des points pertinents en relation avec leurs préoccupations et avec l’argument qu’ils ont présenté en comité selon lequel la responsabilité et la fonction de l’opposition officielle nécessitent un rôle privilégié distinct de ceux d’autres groupes.

Même si j’espère pouvoir m’adresser au Comité du Règlement si la motion est adoptée, aujourd’hui, je souhaite vous parler à vous tous, honorables collègues, de l’égalité de sénateur à sénateur plutôt que de l’égalité des groupes qui confèrent un privilège uniquement aux sénateurs membres d’un caucus, une expérience très différente pour un sénateur qui est autonome et qui n’est affilié à aucun groupe.

Après plus de sept ans dans cette enceinte, j’ai perdu le compte du nombre de sénateurs et de fonctionnaires qui ont affirmé que « tous les sénateurs sont égaux. » La réalité est bien différente. Les sénateurs non affiliés sont désavantagés par les ordres sessionnels, les décisions des leaders, l’accès réduit aux ressources et l’absence de mesures de protection réservées aux groupes. Tous ces aspects diminuent la capacité des sénateurs non affiliés à exercer les mêmes droits et privilèges que les autres sénateurs. Les changements adoptés présentés par le bureau du représentant du gouvernement au Sénat renforcent les privilèges des sénateurs affiliés à un groupe, mais ils ne font rien pour améliorer l’égalité fonctionnelle entre ces derniers et les sénateurs non affiliés.

Veuillez noter, chers collègues, que le choix de siéger sans affiliation est une décision aussi politique, mûrement réfléchie et volontaire que le choix des autres sénateurs de se joindre à un caucus. Lorsque j’ai quitté mon caucus pour siéger sans affiliation, je savais que je renonçais aux avantages évidents qui découlent de l’affiliation à un groupe. J’étais assez bien préparée pour cela. Cependant, ce pour quoi je n’étais pas préparée — et ce que je ne peux pas accepter — c’est qu’en tant que sénatrice non affiliée, on s’attend à ce que j’accepte la discrimination quotidienne et à ce que je renonce, en pratique, à ma véritable égalité en tant que personne nommée à la Chambre haute. Si certains croient sincèrement que la véritable égalité entre les sénateurs est plus que de belles paroles, je dirais qu’effectivement cette motion offre une occasion importante d’accroître la transparence, la reddition de comptes et l’équité dans cette enceinte.

La sénatrice Saint-Germain, grande leader du plus grand groupe du Sénat et membre du Comité du Règlement, a dit ici même que les modifications au Règlement qui ont été proposées récemment visent à « respecter le principe de l’égalité des sénateurs » et à ce que « cette Chambre n’ait pas deux classes de sénateurs », ce qui, selon elle, est un principe fondamental de la démocratie. Je souscris entièrement à son affirmation sur l’égalité entre les sénateurs comme principe fondamental de la démocratie. Cependant, je dois dire, à regret et en tout respect, que je ne suis pas d’avis que ces modifications nous empêcheront de nous retrouver avec des sénateurs de second ordre à la Chambre rouge.

En réalité, il y a déjà différentes classes de sénateurs. En principe, tous les sénateurs sont égaux selon le Règlement. Or, la façon dont les dirigeants du Sénat appliquent les règles depuis longtemps a donné lieu à des inégalités structurelles qui subsistent encore aujourd’hui. Étant donné que les modifications apportées récemment au Règlement ne permettent pas de résoudre entièrement ce problème, cela ne peut que contribuer à accentuer les inégalités. Par conséquent, je remercie la sénatrice Lankin et le bureau du représentant du gouvernement d’avoir présenté la motion à l’étude, qui porte sur les sénateurs non affiliés. J’espère que cela nous aidera à nous pencher comme il se doit sur des mesures constructives pour moderniser le Sénat, un aspect qui, de toute évidence, n’a pas été pris en considération dans les modifications apportées récemment au Règlement.

Je ne souhaite pas revenir sur ce qui a été un débat difficile — bien que nécessaire — sur les récentes modifications du Règlement. Toutefois, pour illustrer mon propos concernant l’omission habituelle des préoccupations des sénateurs non affiliés, je crois qu’il sera utile de fournir quelques exemples concrets. Je remercie la sénatrice Lankin pour ses exemples; j’ai seulement le temps d’en citer deux.

Tout d’abord, le nouveau Règlement porte la période des déclarations à 18 minutes, sur la base de la proportionnalité actuelle des groupes sénatoriaux. Cette mesure a été saluée comme allant dans le sens d’une plus grande équité et d’une plus grande égalité. Cependant, elle m’a effacée de l’équation. Elle n’aide en rien à faire progresser l’égalité entre tous les sénateurs, car elle renforce d’autant la façon dont nous, les sénateurs non affiliés, sommes effectivement exclus et obligés, pour faire entendre nos voix dans cette enceinte, de faire appel directement à une espèce de noblesse oblige de la part des leaders de groupe qui est entièrement discrétionnaire.

Cependant, l’article 4-2(3) du Règlement du Sénat stipule simplement que « Le sénateur qui fait une déclaration ne peut prendre la parole qu’une seule fois pour une durée maximale de trois minutes. » Or, le Règlement du Sénat ne dit rien sur la distribution ou l’attribution de ces 18 minutes de temps de parole. La répartition actuelle des temps de parole entre les groupes est le résultat de décisions prises par les leaders en fonction d’une notion particulière d’efficacité et de privilège de groupe, que vous ne trouverez pas dans le Règlement.

Je remarque qu’à l’autre endroit, cela fait de nombreuses années qu’on a mis en place des dispositions afin de permettre aux députés non affiliés de faire une déclaration à chaque intervalle de quelques semaines. Un tel arrangement est modeste et proportionnel et respecte le principe d’égalité. Les leaders et les caucus du Sénat sont-ils prêts à le faire? J’espère que le Comité du Règlement examinera ces propositions équitables et sensées dans le cadre de son étude à venir. En l’absence d’une telle reconnaissance et d’une telle action, il serait peut-être plus juste que les sénateurs s’abstiennent de prononcer l’homélie sur « l’égalité des sénateurs » et s’en tiennent à l’affirmation plus précise de « l’égalité des groupes de sénateurs ».

Mon deuxième exemple est l’effacement automatique des membres non affiliés parce que le nouveau règlement part du motif selon lequel « il s’agit d’un domaine où les groupes parlementaires reconnus devraient faire partie du processus ». Le bureau du représentant du gouvernement a utilisé cet argument dans les documents d’information fournis aux sénateurs. Cet argument a été répétée pour élargir les pouvoirs et les rôles des leaders des caucus dans les sections 3-3, 9-5, 9-10, 12-3 et 12-26, par exemple. On favorise ainsi l’expansion des pouvoirs des groupes sous prétexte de servir les sénateurs, mais on ne tient pas compte du fait que les sénateurs non affiliés n’ont aucune représentation dans le processus, à moins que, je le répète, les leaders ne daignent exercer leur version de noblesse oblige.

Tandis que j’examine cette motion, je repense à une déclaration du sénateur Woo, qui répondait au cinquième rapport du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement en octobre dernier :

Il y en a [...] qui nous refuseraient la possibilité d’exercer pleinement nos droits en tant que sénateurs ne faisant pas partie du gouvernement. Ils voudraient que nous soyons des sénateurs de deuxième classe, autorisés de temps à autre à s’asseoir aux premières loges, mais uniquement avec leur consentement. On a proposé les modestes changements apportés au Règlement du Sénat et à la Loi sur le Parlement du Canada à contrecœur et avec condescendance, en se disant « noblesse oblige » [...]

Le sénateur Woo parlait de l’inégalité perçue entre les groupes et les caucus du Sénat. Cependant, chacun de ses mots s’applique également à la disparité fonctionnelle entre les sénateurs non affiliés et les sénateurs affiliés.

J’ai été encouragée par les propos percutants de certains collègues, notamment la sénatrice Batters qui s’est opposée aux récentes modifications du Règlement en partie parce qu’elles n’apportaient rien aux sénateurs non affiliés. La sénatrice Batters siège au Comité du Règlement et j’espère qu’elle y défendra les droits et privilèges des sénateurs non affiliés avec la même énergie et la même sincérité et, surtout, leur accès aux ressources nécessaires pour exercer pleinement leurs droits de sénateurs.

(1640)

En conclusion, je vous demande de faire comme s’il s’agissait de vous, comme si vous aviez fait le choix délibéré et fondé sur des principes de servir sans affiliation. Demandez-vous alors quel type d’égalité vous souhaiteriez pour vous-même afin de tenir votre promesse de faire de votre mieux pour servir votre région et représenter ceux qui n’ont pas d’accès privilégié au Parlement.

En tant que sénateurs non affiliés, nous comprenons que les accords intragroupes complètent et interprètent le Règlement du Sénat de manière à en améliorer l’efficacité. Nous reconnaissons également que la proportionnalité est une réalité.

Honorables collègues, nous ne cherchons pas à obtenir des droits spéciaux, mais seulement une répartition véritablement équitable des occasions et de l’accès, afin que nous puissions remplir le serment de servir que nous avons fait. Les accords qui, délibérément ou par voie de conséquence, refusent des occasions aux sénateurs non affiliés ou, à l’inverse, limitent les occasions aux seuls membres du groupe, ne peuvent être considérés comme équitables ni comme faisant progresser l’indépendance. Il s’agit d’une égalité de forme, mais non réelle.

Le Sénat peut-il honnêtement prétendre à l’égalité entre tous les sénateurs? Est-ce le Sénat que vous souhaitez? L’adoption des nouvelles règles donne aux groupes et aux leaders des pouvoirs supplémentaires et, à bien des égards, place la nouvelle réalité des caucus multiples sur un pied d’égalité en ce qui concerne les fonctions et les responsabilités opérationnelles, mais elle laisse les sénateurs non affiliés désavantagés par rapport à leurs collègues en ce qui concerne l’accès aux services du Sénat et à l’information nécessaires au fonctionnement de leur bureau et à la préparation pour remplir leurs obligations au sein du Sénat et des comités.

Honorables sénateurs, au nom de l’équité et de l’efficacité à long terme, je vous demande d’examiner de plus près la direction que nous prenons dans cette enceinte, de vous demander si cette inégalité renforce la démocratie, et d’examiner pourquoi une Chambre perpétuellement inéquitable serait le Sénat que nous voulons aujourd’hui et pour l’avenir.

Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

L’honorable David M. Wells : La sénatrice McPhedran accepterait-elle de répondre à une question?

Son Honneur la Présidente : Sénateur Wells, malheureusement, le temps de parole est écoulé.

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour participer au débat sur la motion d’initiative ministérielle no 167, qui charge le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement d’étudier, pour en faire rapport, le rôle des sénateurs non affiliés dans un Sénat modernisé.

Je vais répéter certaines choses que j’ai déjà dites, mais elles méritent d’être répétées.

Tout d’abord, soyons clairs : je ne suis pas devenue une sénatrice non affiliée uniquement par choix, mais plutôt à la suite de mon expérience au sein d’un groupe. Lorsque j’étais une sénatrice affiliée, j’ai éprouvé des problèmes que mes collègues n’ont pas rencontrés. Certaines situations, impliquant ou non un comité, ont prouvé que je ne pouvais pas rester au sein du groupe tout en étant traité de manière irrespectueuse et inéquitable.

J’ai pu me libérer de l’oppression que je subissais au sein d’un groupe, mais je subis maintenant une nouvelle forme d’oppression en tant que sénatrice non affiliée : l’oppression par omission. Il suffit d’examiner les récents changements adoptés dans la dernière série de modifications au Règlement du Sénat pour comprendre la dure bataille que notre petit collectif continue de livrer.

L’ensemble d’amendements adopté récemment n’a mentionné les sénateurs non affiliés à aucun moment. Il ne les a pas pris en compte et n’a pas servi à améliorer leur statut. Au contraire, il a servi à renforcer et à améliorer la vie de ceux qui sont déjà considérés comme les « nantis » du Sénat, c’est-à-dire ceux qui bénéficient d’un statut de groupe, avec toutes les ressources, les protections et la voix que cela leur procure. En favorisant les « nantis », le Sénat a marginalisé davantage les « démunis » et a empiré notre situation.

Je comprends que bon nombre des amendements précédents découlaient des changements apportés récemment à la Loi sur le Parlement du Canada, mais ce n’était pas le cas de tous. Je suis donc déçue qu’on n’ait pas saisi cette occasion d’améliorer la vie de tous les sénateurs — et pas seulement de ceux qui ont besoin d’équité et d’une plus grande considération — pendant que la porte était ouverte.

Honorables sénateurs, malgré l’irritation que m’a causée l’exclusion intentionnelle des sénateurs non affiliés lors de la récente série d’amendements — car c’était vraiment une occasion ratée —, je me réjouis de la rapidité avec laquelle la motion à l’étude a été présentée.

Vous êtes nombreux à savoir que la modification du Règlement du Sénat n’est pas chose courante, que les occasions d’opérer une réelle modernisation sont limitées et que cette modernisation ne peut se faire que de façon graduelle. Or, il convient de se poser la question : si nous vantons avec fierté le renouvellement et l’amélioration du Sénat qui en feraient une institution modernisée plus représentative digne du XXIe siècle, comment pouvons-nous, en toute conscience, continuer de permettre que certains sénateurs soient traités comme des sénateurs de deuxième classe?

Honorables sénateurs, quand j’ai accepté de devenir sénatrice, c’était pour porter la voix et les solutions des membres des Premières Nations avec qui j’avais travaillé depuis 40 ans. Quand je suis arrivée au Sénat, j’ai cru que, si j’informais les sénateurs du racisme institutionnel qui existe dans les communautés et qui détermine la vie des Autochtones, vous m’aideriez à apporter les changements qui s’imposent. En continuant de m’empêcher de m’exprimer, vous continuez de réduire au silence ces voix et ces communautés et de faire fi de leurs solutions. Je suis déçue de constater une telle discrimination. Ce n’est pas l’expérience à laquelle je m’attendais en arrivant ici.

J’ai demandé à être placée ici, dans le coin supérieur. Quelqu’un m’a demandé pourquoi. J’ai répondu que c’était pour que les gens constatent à quel point je suis marginalisée par les gens qui sont censés représenter les Autochtones qui n’ont pas de voix. Pensez à cela.

Procéder à une modernisation sans égalité, c’est faire preuve de complaisance. Or, la complaisance ne favorise pas la modernisation.

J’exhorte mes collègues des quatre coins de cette Chambre à réfléchir à cette réalité et au fait que, conformément au Règlement, certains sénateurs ne bénéficient pas du droit de siéger aux comités, ce qui est sans doute l’aspect le plus crucial du travail de sénateur. On ne leur accorde pas le droit de faire des déclarations de sénateurs, qui sont un élément essentiel de notre travail pour faire connaître un dossier ou souligner des événements importants et présenter des personnes remarquables. Ces sénateurs ne jouissent pas du droit de poser des questions pendant la période des questions avec un ministre, ce qui est pourtant primordial pour que les sénateurs puissent exercer leur mandat, qui consiste à demander des comptes au gouvernement. La liste est longue.

Honorables sénateurs, nous nous retrouvons à quêter des miettes dans l’espoir qu’un des groupes ou des caucus établis nous cède un siège à un comité ou un créneau pour faire une déclaration ou poser une question.

Ce qui est permis est pire que l’iniquité. Cette manière de procéder est humiliante, dégradante et déshumanisante. Vous avez décidé de siéger en tant que membre de votre groupe ou caucus actuel, mais moi, je n’ai d’autre choix que de siéger en tant que sénatrice non affiliée. J’ai pris la décision de demeurer non affiliée à ce stade-ci. Comment a-t-on pu minimiser notre importance ou nous marginaliser encore davantage en normalisant cette façon de nous considérer comme des sénateurs de second ordre? Les traditions ne peuvent justifier de traiter les autres de façon injuste.

(1650)

Honorables sénateurs, cette motion nous offre une possibilité extrêmement importante qui se fait attendre depuis longtemps. Après les modifications qui ont été apportées récemment au Règlement du Sénat afin de mieux tenir compte de la composition actuelle du Sénat, il est grand temps que nous nous penchions de près et de façon responsable sur le rôle et les fonctions des sénateurs non affiliés. J’accueille favorablement cette étude. Il me tarde de voir les recommandations et les améliorations qui pourraient en découler afin que tous les sénateurs soient traités plus équitablement. J’exhorte tous mes honorables collègues à appuyer le renvoi rapide de cette question au comité.

Kinanâskomitinâwâw. Merci.

[Français]

L’honorable Patrick Brazeau : Chers collègues, étant donné que cette motion va probablement se retrouver devant le comité, on nous a demandé de nous y présenter pour aller de l’avant. Je voudrais vous adresser quelques mots sur cette motion.

[Traduction]

Honorables sénateurs, lorsque je suis arrivé ici il y a 15 ans, il y avait cinq sénateurs non affiliés : la sénatrice McCoy, la sénatrice Cools, le sénateur Rivest, la sénatrice Dyck, qui était une sénatrice indépendante néo-démocrate à l’époque, et le sénateur Prud’homme.

J’étais un gamin qui regardait ces sénateurs non affiliés et je me disais « pauvres eux ». Je me disais « pauvres eux », car, à l’époque, il y avait deux partis. Il y avait le Parti libéral et le Parti conservateur, et quelques sénateurs indépendants, et je me disais — en tant que jeune arrivant au Sénat — « pauvres eux », parce qu’ils n’étaient pas traités sur un pied d’égalité. Ils n’avaient pas les mêmes pouvoirs que les autres sénateurs. Ils étaient peu nombreux à être présidents ou vice-présidents. Ils étaient peu nombreux à pouvoir faire des déclarations de sénateurs ou poser des questions, et ils n’avaient pas de ressources financières parce qu’ils ne faisaient pas partie d’un groupe.

Cela étant dit, je veux axer mon intervention sur la perception que nous sommes tous égaux dans cette enceinte. J’ai toujours dit que — et vous aussi j’en suis sûr —, peu importe le siège que nous occupons au Sénat, c’est un sacré bon siège, et il ne faut pas l’oublier. Cela dit, nous sommes tous égaux. Nous sommes tous égaux à partir du moment où nous sommes nommés jusqu’à ce que l’on décide de se joindre à un groupe. C’est à ce moment-là que tout change. La même chose se produit lorsqu’un sénateur décide de ne pas se joindre à un groupe, parce que, chers collègues, je vais vous le dire : on se sent parfois très seul. Depuis 2018, j’ai vu un sénateur après l’autre nommé dans cette enceinte — assis derrière moi — et j’espère pouvoir créer un jour le groupe non affilié, mais, malheureusement, il y a de meilleurs recruteurs que moi au Sénat. Il est très intéressant de voir les recruteurs des différents groupes essayer de convaincre ces personnes de se joindre à leur groupe. C’est un processus très intéressant.

Chers collègues, lorsqu’on décide de joindre ou non un groupe, c’est là que l’égalité prend fin. D’abord, avant de poursuivre, je tiens à remercier le sénateur Tannas; la sénatrice Saint-Germain; la sénatrice Cordy, qui dirige le Groupe des sénateurs indépendants; le bureau du représentant du gouvernement ainsi que le sénateur Plett et les conservateurs parce que j’ai l’impression que, la plupart du temps, on m’a permis de prendre la parole lorsque je l’ai demandé. Ce n’est toutefois pas toujours le cas. Parfois, comme ma collègue, j’ai dû quémander. Parfois, des nouvelles dans les médias donnent envie de faire une déclaration de sénateur, mais, malheureusement, lorsqu’on est non affilié, il faut non seulement aller voir les libéraux et les conservateurs, mais il y a maintenant cinq dirigeants de groupes, ce qui inclut le bureau du représentant du gouvernement. Le processus devient donc un peu plus difficile.

Je pense que nous devons garder tout cela à l’esprit parce qu’il n’est pas normal que des sénateurs doivent quémander pour avoir la possibilité de prendre la parole à propos de quelque chose. Parfois — je parle encore une fois en mon nom —, il faut attendre trois ou quatre semaines avant d’avoir l’occasion de faire une déclaration au Sénat ou de poser une question. Parfois, la question ou la déclaration n’est plus pertinente parce qu’un mois s’est écoulé, mais je ne m’en plains pas parce que je suis fier d’être ici et de travailler avec vous tous. À titre individuel, je n’ai pas besoin de me joindre à un groupe pour pouvoir travailler avec vous. Je suis non affilié. Je me considère comme une des personnes les plus chanceuses au Canada parce que je travaille avec des personnes exceptionnelles ici, peu importe qu’elles soient conservatrices, libérales, avec un « l » majuscule ou avec un « c » minuscule, cela n’a pas d’importance. Cependant, l’impression que nous sommes tous égaux n’est pas vraie.

Je ne me lancerai pas dans une discussion à propos de ce que nos prédécesseurs avaient en tête parce que nos prédécesseurs avaient en tête deux partis politiques et une institution partisane, à l’image de l’autre.

Voilà ce que les Pères de la Confédération avaient en tête. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons rien y changer. Au contraire, je crois que nous devons changer cela, parce qu’il y a 15 ans, les sénateurs non affiliés n’étaient pas sur un pied d’égalité avec les autres sénateurs. Ils ne le sont d’ailleurs pas plus aujourd’hui, en 2024. Si nous ne faisons rien aujourd’hui pour remédier au problème, je serai le premier à vous garantir que dans 10 ou 15 ans, il sera toujours là.

Nous avons le devoir collectif de déterminer si les sénateurs non affiliés méritent un traitement équitable. Selon le site Web du Sénat, il y a actuellement 11 sénateurs non affiliés. Évidemment, cela inclut les 3 membres du bureau de représentant du gouvernement au Sénat, ce qui, en soi, est un problème, car pour former un groupe, il faut au moins 9 sénateurs. Nous sommes 11, mais nous ne pouvons pas nous regrouper parce qu’il faut soustraire trois sénateurs de ces 11, si bien qu’il en reste 8. Par conséquent, les sénateurs non affiliés ne peuvent pas former de groupe pour l’instant.

Sénateur Richards, je vous remercie de vous joindre à nous. Nous sommes peut-être en voie de former notre propre groupe. Toutefois, même si nous n’y arrivons pas, la seule chose que je demande à tous les sénateurs, c’est de garder l’esprit ouvert quant au fait que nous ne sommes pas égaux. Je comprends que certaines personnes — peut-être les plus âgés d’entre nous — puissent être d’avis que pour être traité sur un pied d’égalité, il faut se joindre à un groupe.

Dans mon cas, je l’ai fait, et cela n’a pas si bien tourné. Je suis fier d’être là où je suis. Je suis fier de travailler avec vous tous. Toutefois, il faut prendre cette motion au sérieux et régler le problème. Nous sommes des adultes. Ici, il n’y a pas de place pour les enfantillages, même s’il y a parfois de petits jeux dignes de Passe-Partout. Réglons cette question une fois pour toutes. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi sur la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public

Projet de loi modificatif—Motion tendant à autoriser le Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants à étudier la teneur du projet de loi—Ajournement du débat

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 9 mai 2024, propose :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants soit autorisé à étudier la teneur du projet de loi C-20, Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires, déposé à la Chambre des communes le 19 mai 2022, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir, même si le Sénat siège à ce moment-là ou est alors ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard;

Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 13 juin 2024;

Que le comité soit autorisé à déposer son rapport auprès de la greffière du Sénat si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, à condition que l’étude de ce rapport soit ensuite inscrite à l’ordre du jour de la séance qui suit celle où le dépôt est consigné aux Journaux du Sénat.

— Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion no 172, qui vise à ce que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants effectue une étude préalable du projet de loi C-20. Ce projet de loi créerait une nouvelle Commission d’examen et de traitement des plaintes du public pour la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC.

Le projet de loi renforcerait de façon significative la surveillance indépendante et le traitement des plaintes pour la GRC en établissant des échéances claires, des exigences en matière de rapports, notamment en ce qui concerne les données désagrégées, et des sanctions si la procédure d’examen n’est pas respectée. De plus, le projet de loi créerait pour la première fois un processus d’examen de traitement des plaintes indépendant pour l’ASFC.

(1700)

[Traduction]

Le projet de loi C-20 comblerait une lacune flagrante et de longue date dans le milieu canadien de l’application de la loi en offrant enfin un véritable recours indépendant aux personnes qui s’estiment lésées par un agent frontalier.

De nombreux sénateurs savent qu’un tel mécanisme est réclamé depuis longtemps au Sénat. Il a notamment été recommandé par un rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants en 2015 et il a fait l’objet d’un projet de loi présenté par l’ancien sénateur Wilfred Moore, une première fois en 2014 et une deuxième en 2016.

En 2017, l’ancien greffier du Conseil privé Mel Cappe a rédigé un rapport pour Sécurité publique Canada analysant les options et les considérations relatives à la création d’un organisme de surveillance pour l’Agence des services frontaliers du Canada. L’une de ses principales recommandations était qu’un seul organisme couvre à la fois cette agence et la Gendarmerie royale du Canada, la GRC.

Conformément à cette recommandation, le gouvernement a présenté l’ancien projet de loi C-98 en 2019. Ce projet de loi a été adopté par l’autre endroit en juin de cette année-là, mais il est mort au Feuilleton du Sénat.

Après les élections de 2019, le gouvernement a présenté de nouveau la mesure législative, mais elle a été mise de côté lorsque la COVID-19 a frappé et que la lutte contre la pandémie est devenue la priorité de tous.

En mars 2022, lorsque le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Marco Mendicino, était ici pour la période des questions, la sénatrice Cordy a mis en lumière une partie de cette histoire, y compris le travail de l’ancien sénateur Moore. Elle a demandé quand le Parlement allait enfin adopter « cette politique que j’estime extrêmement importante ».

Un début de réponse est apparu deux mois plus tard, en mai 2022, lorsque le gouvernement a présenté son projet de loi une troisième fois. La nouvelle version avait été modifiée — je dirais même améliorée — à plusieurs égards, notamment pour renforcer les mécanismes d’examen de la GRC et exiger la communication de données démographiques et raciales désagrégées. C’est ce projet de loi, le projet de loi C-20, qui fait l’objet de la présente motion.

Nos collègues de l’autre endroit ont terminé l’étude en comité du projet de loi C-20 et ils en débattent actuellement à l’étape du rapport. Il semble en bonne voie de nous parvenir en juin, ce qui signifie que, cinq ans après que les sénateurs ont été saisis pour la dernière fois d’un projet de loi visant à établir un examen indépendant de l’Agence des services frontaliers du Canada, nous aurons enfin une autre occasion d’atteindre cet objectif de longue date. Je pense que nous sommes tous conscients que si nous attendons de recevoir cette mesure législative pour commencer à l’étudier, nos chances de l’adopter avant l’été seront faibles.

Ma motion propose donc que le Comité de la sécurité nationale entame immédiatement une étude préalable. Cela nous donnerait la meilleure chance d’adopter le projet de loi C-20 avant les vacances d’été.

Chers collègues, cela nous amène naturellement à nous demander pourquoi nous ne devrions pas attendre à l’automne pour examiner le projet de loi C-20. Je pense que la réponse à cette question comporte deux volets : la substance du projet de loi et l’histoire de ce dossier.

[Français]

En ce qui concerne la substance, ce projet de loi concerne les droits et les libertés fondamentales, et surtout l’autorité que possède l’ASFC de les enfreindre avec relativement peu de responsabilités. Chers collègues, plus de six millions de personnes entrent au Canada chaque mois. Certains mois, ce nombre double. Ces millions de personnes de partout au Canada et du monde entier interagissent avec un agent frontalier sans bénéficier de la protection d’un quelconque mécanisme de surveillance indépendant ou de plainte.

La plupart de ces interactions se déroulent sans incident et la plupart des agents sont des professionnels compétents, mais les voyageurs qui se présentent à la frontière sont dans une position vulnérable. Ils renoncent nécessairement à certains de leurs droits à la vie privée et à la mobilité au profit d’un agent qui exerce un grand pouvoir dans cette situation. Les voyageurs qui s’estiment maltraités ont besoin d’une meilleure option que de se plaindre auprès de l’ASFC elle-même ou d’aller en cour.

[Traduction]

Un mécanisme d’examen est nécessaire pour protéger les millions de voyageurs qui se soumettent à des interrogatoires et à des contrôles lorsqu’ils cherchent à entrer au Canada. Des milliers de personnes sont également expulsées ou détenues par l’Agence des services frontaliers du Canada chaque année. Ces personnes sont encore plus vulnérables que les voyageurs à la frontière. Certaines de leurs libertés les plus fondamentales, notamment la liberté de mouvement et la liberté d’être au Canada, se trouvent en grande partie entre les mains de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Chaque jour passé à attendre l’adoption du projet de loi C-20 est un jour de plus où les gens vulnérables à ce déséquilibre de pouvoir n’ont personne à qui se plaindre de mauvais traitements ou de discrimination, si ce n’est l’Agence des services frontaliers du Canada elle-même.

D’une part, puisque ce problème existe depuis des années, nous pourrions dire que ce n’est pas grand-chose d’attendre quelques mois de plus. D’autre part, si l’on a l’occasion de régler un problème de longue date qui touche aux libertés et aux droits fondamentaux, on peut choisir simplement de le régler maintenant.

Cela m’amène à l’historique des efforts déployés pour mettre en place un mécanisme de reddition de comptes indépendant pour l’Agence des services frontaliers du Canada. L’agence a été créée en 2003. Au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis, des appels à un contrôle indépendant ont été lancés de toutes parts.

Comme je l’ai dit au début de mon intervention, ces appels ont souvent été lancés par le Sénat du Canada. Les sénateurs ont plus d’une fois formulé des recommandations et présenté des projets de loi à cet égard.

[Français]

Cependant, ces demandes viennent aussi d’experts et de groupes de pression qui, depuis des années, demandent au Parlement de traiter cette question de façon urgente. En effet, dans les témoignages et les mémoires présentés au comité qui étudie le projet de loi C-20 à l’autre endroit, on a vu un thème récurrent, soit qu’un mécanisme de surveillance indépendant pour l’ASFC doit être mis en œuvre sans délai. Amnistie internationale a écrit : « Amnesty se félicite du dépôt du projet de loi C-20 » et a rappelé également qu’une « surveillance indépendante de l’Agence des services frontaliers du Canada » était « nécessaire depuis longtemps ».

Le Conseil canadien pour les réfugiés a écrit ceci : « Nous accueillons favorablement ce projet de loi comme une mesure attendue depuis longtemps. »

Selon l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : « L’établissement d’un mécanisme de surveillance indépendant pour l’ASFC est désespérément nécessaire et s’impose depuis longtemps. »

[Traduction]

Le grand chef du Conseil des Mohawks d’Akwesasne a déclaré qu’il appuyait le projet de loi C-20 tout en soulignant qu’il avait également appuyé la première tentative du gouvernement en ce sens il y a cinq ans. Le Conseil national des musulmans canadiens a déclaré ceci au comité :

[...] depuis une vingtaine d’années, l’une de nos principales batailles consiste à réclamer la surveillance de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Autrement dit, de nombreuses personnes font pression depuis longtemps pour concrétiser ce projet.

Il est également vrai que de nombreuses personnes au sein des gouvernements et des législatures qui se sont succédé ont laissé passer des occasions de concrétiser ce projet bien plus tôt. À mon avis, faire de notre mieux pour adopter rapidement le projet de loi est une question de respect pour les intervenants qui ont travaillé très fort pendant très longtemps.

En toute justice, de nombreux intervenants, dont certains que j’ai cités, ont recommandé des amendements au projet de loi C-20. Après avoir entendu leur témoignage, le comité de l’autre endroit a effectivement amendé le projet de loi de plusieurs façons. Une étude préalable permettrait aux sénateurs d’entendre des intervenants pour comprendre dans quelle mesure les amendements de la Chambre des communes répondent à leurs préoccupations et d’être capables de procéder rapidement s’ils sont satisfaits.

Essentiellement, mon argument se résume à ceci : le projet de loi C-20 concerne la protection des droits et libertés fondamentaux. C’est la troisième fois en cinq ans que le Parlement tente d’apporter le changement proposé, et les parties prenantes nous disent depuis des années qu’il est urgent d’agir. Il se peut que nous ne parvenions pas à adopter le projet de loi d’ici l’été même si le Comité de la sécurité nationale réalise une étude préalable, mais nous devrions au moins commencer, au lieu d’abandonner toute possibilité d’une adoption rapide.

Chers collègues, cela m’amène à faire quelques remarques sur ce que cette motion ne fait pas. Elle n’empêche pas une étude approfondie. Le comité pourrait entendre les mêmes témoignages que lors d’une étude ordinaire. Cela est d’autant plus vrai que le comité de la Chambre des communes a déjà procédé à l’examen article par article, ce qui signifie que, selon toute probabilité, la version actuelle du projet de loi sera exactement celle que nous recevrons.

(1710)

Cette motion ne lie pas les mains des membres du comité. Si, après l’étude préalable, les sénateurs qui siègent au Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants estiment qu’ils ont encore du travail à faire — plus de témoins à entendre, plus d’analyses à entreprendre ou plus d’amendements à apporter —, ils seront libres de le faire lorsque nous recevrons le projet de loi.

Cette motion ne nous engage pas à adopter le projet de loi avant l’été, ni même jamais. Dans un mois, si un nombre suffisant de sénateurs estiment que nous ne sommes pas prêts à nous prononcer et que le projet de loi C-20 doit être amendé ou faire l’objet de plus de débats, c’est ce qui se produira. Cette motion ne fait que nous donner des options. Sans une étude préalable, nous nous priverions essentiellement de la possibilité d’adopter le projet de loi avant l’été. Avec une étude préalable, nous garderions cette option ouverte. C’est aussi simple que cela.

Permettez-moi d’aborder un dernier point. Certains sénateurs m’ont dit — et je suis sûr que nous l’entendrons au cours du débat — que le projet de loi C-20 est à l’autre endroit depuis deux ans. Ils se demandent pourquoi nous devrions le traiter avec urgence alors que nos collègues de l’autre endroit, de l’autre côté de la rue, ne semblent pas l’avoir fait. C’est une question légitime à laquelle je vais donner deux réponses.

Premièrement, je ne parle pas au nom de tous les parlementaires, alors je ne sais pas exactement pourquoi le projet de loi C-20 leur a pris autant de temps, si ce n’est qu’un gouvernement minoritaire est une institution compliquée et qu’il n’est pas rare que les projets de loi avancent plus lentement que le gouvernement ne le souhaiterait. Cependant, du point de vue du gouvernement, le projet de loi C-20 est la troisième tentative en cinq ans de faire aboutir ce dossier, et c’est probablement la meilleure indication de l’engagement du gouvernement à cet égard.

Deuxièmement, et surtout, en tant que sénateurs, nous pouvons et nous devons nous faire rapidement. Sénateurs, vous avez le droit d’être agacés par nos collègues de notre propre opinion sur ce qui mérite d’être traité l’autre endroit parce qu’ils progressent trop lentement. Vous êtes libres de rejeter la responsabilité des retards sur le gouvernement, sur l’opposition, sur aucun des deux ou sur les deux, mais notre principale considération doit être ce qui est dans l’intérêt des Canadiens.

Depuis des années, on nous dit qu’il est urgent de mener un examen indépendant de l’Agence des services frontaliers du Canada et un examen plus efficace de la GRC. On nous dit que cela est particulièrement important pour les communautés les plus touchées par le racisme et la discrimination systémiques.

Nous avons vu des mesures législatives prometteuses être bloquées, d’abord par des élections, puis par une pandémie.

Les appels à l’action ont été lancés par des experts et des groupes d’intervenants, ainsi que dans nos rangs, ici au Sénat, notamment par l’ancien sénateur Wilfred Moore, qui a travaillé très fort pour faire avancer cette cause; par les sénateurs qui ont rédigé le rapport de 2015 du Comité de la sécurité nationale et de la défense, y compris le sénateur Dagenais, qui siégeait au comité à l’époque, comme il le fait encore aujourd’hui; des sénateurs Jaffer et Oh, qui ont cosigné un article en 2017 demandant une surveillance indépendante adéquate des pratiques de l’Agence des services frontaliers du Canada en matière de détention des immigrants; de la sénatrice Cordy, qui a soulevé cette question auprès du ministre en 2022; et de la sénatrice Omidvar, qui a défendu cette cause pendant longtemps et qui poursuit son action en tant que marraine du projet de loi C-20.

Le chemin pour arriver au point où nous en sommes a été long et sinueux, mais nous y sommes. Aussi agacés ou frustrés que vous puissiez être au sujet des diverses causes de retard au cours des 20 dernières années ou des 20 derniers mois, le choix qui s’offre à nous est très clair. C’est tout simplement celui-ci : adoptons-nous la motion afin de préserver la possibilité d’adopter le projet de loi C-20 avant la suspension des travaux, ou rejetons-nous la motion, concédant dès maintenant que le projet de création d’un mécanisme d’examen indépendant pour l’Agence des services frontaliers du Canada sera de nouveau retardé de trois mois ou plus?

J’exhorte les sénateurs à faire le premier choix. Je vous encourage à adopter cette motion, à garder nos options ouvertes et à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour instituer dès que possible un examen indépendant pour l’Agence des services frontaliers du Canada et un examen amélioré pour la GRC.

Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Je me demande si le sénateur Gold accepterait de répondre à une question.

Le sénateur Gold : Bien entendu.

Le sénateur Plett : Merci, sénateur Gold. Vous avez déjà répondu en partie à ma question, mais pas entièrement. En guise d’introduction à ma question, je vais reprendre une partie de ce que vous avez déjà dit.

Vous avez raison de dire que ce projet de loi a été déposé le 19 mai 2022, il y a deux ans. La deuxième lecture a été effectuée en novembre 2022 après deux jours de débat. Le comité a mis six mois rien que pour commencer son étude. Le comité a tenu 13 réunions sur le projet de loi. Le gouvernement a ensuite pris sept mois supplémentaires pour entamer le débat à l’étape du rapport. Le projet de loi a fait l’objet d’une seule journée de débat à l’étape du rapport. Vous dites que c’est urgent.

Le projet de loi entrera en vigueur à la date fixée par décret. S’agit-il d’un autre projet de loi que l’on nous demande d’adopter à la hâte, sans résultat?

Vous nous avez dit que nous sommes maintenant pressés. Vous avez dit qu’un projet de loi comme celui-ci a été déposé il y a cinq ans. Le gouvernement est au pouvoir depuis neuf ans. Vous n’avez pas dit aujourd’hui que c’est la faute de l’opposition si le projet de loi n’a pas été adopté. Vous n’en avez pas attribué la responsabilité à qui que ce soit. Je suis sûr que, si vous aviez quelqu’un à qui faire porter la responsabilité, vous le feriez. C’est ce que je ferais. Je n’en attribue pas la responsabilité au gouvernement moi non plus. C’était peut-être l’opposition, mais, jusqu’à présent, nous n’avons entendu personne faire de l’obstruction dans cette enceinte. Pourtant, aujourd’hui, nous sommes pressés, tellement pressés que nous devons faire une étude préalable alors que nous savons que, au bout du compte, vous pouvez simplement imposer la fixation de délai si l’envie vous en prend. Vous nous l’avez montré très clairement.

Nous n’avons pas la certitude que le projet de loi nous sera soumis comme nous le pensons ou comme nous l’espérons. Nous aurons peut-être autre chose.

Où est l’urgence? Je ne veux pas mettre des mots dans votre bouche, mais vous avez mentionné qu’il nous restait encore cinq semaines — quelque chose comme ça; j’ai entendu cela ce matin —, que nous avions encore pas mal de temps. Si le projet de loi C-20 nous est renvoyé la semaine prochaine, il nous restera encore quatre semaines. Pourquoi n’aurions-nous pas assez de temps pour ce projet de loi? Tout le monde semble adorer ce projet de loi et être prêt à l’appuyer. Pourquoi aurions-nous besoin de plus de quatre semaines? Qu’est-ce qui justifie la tenue d’une étude préalable?

Votre objectif serait-il de donner au gouvernement l’occasion d’attendre la dernière semaine avant de nous renvoyer le projet de loi et de pouvoir alors dire que, puisque nous avons fait une étude préalable, à quoi bon étudier davantage le projet de loi? Vous ne l’avez pas expliqué dans vos observations aujourd’hui.

C’est la seule question que j’ai à poser, parce que, évidemment, je présenterai mes observations, comme vous l’avez déjà supposé. Je le ferai d’ici peu, mais j’aimerais que vous répondiez au moins à cette question, s’il vous plaît.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. J’ai essayé d’être très clair dans mon discours.

Ce projet de loi est important. Il vise à mettre en place d’importantes mesures de protection des libertés et des droits fondamentaux pour les personnes qui ont été prises dans des procédures de l’Agence des services frontaliers du Canada ou qui ont tout simplement eu du mal à entrer au pays.

Ce que j’ai dit, aussi clairement que je le pouvais, c’est qu’une étude préalable nous donne la possibilité de mener une étude approfondie de manière à ce que nous puissions, une fois que nous aurons reçu le projet de loi, régler ce dossier avant l’ajournement, si le Sénat ou le comité le souhaite. Comme je l’ai dit très clairement, il n’y a rien dans cette motion pour fixer un délai ou imposer des contraintes au comité. Il s’agit tout simplement de nous donner la possibilité de faire ce que nous sommes censés faire ici, c’est-à-dire nous efforcer de soumettre les importants projets de loi du gouvernement à un examen rigoureux, et il s’agit là d’un important projet de loi.

Je n’ai pas employé le mot « urgent ». J’offre simplement au Sénat la possibilité d’autoriser l’un de nos comités — qui est actuellement en mesure d’étudier ce projet de loi, car il n’a pas de projet de loi du gouvernement à l’étude — à faire le travail que nous sommes censés faire au Sénat, c’est-à-dire soumettre les importants projets de loi du gouvernement à une étude rigoureuse. Comme je l’ai dit aux leaders ce matin, je ne sais pas exactement quand nous recevrons le projet de loi, car il est coincé à l’autre endroit, et le gouvernement est minoritaire. Certes, cette situation de gouvernement minoritaire rend difficile de savoir avec précision quand les projets de loi finiront par nous parvenir, mais il s’agit simplement de nous donner l’occasion de mener l’étude.

(1720)

Si je savais que nous recevrions le projet de loi dans deux jours, je ne serais pas ici en train de faire une telle suggestion. Cependant, je ne sais pas quand nous allons le recevoir et je voulais vous offrir — la décision vous appartient — la possibilité de faire avancer ce dossier le plus efficacement possible.

Le sénateur Plett : Je me demande pourquoi nous n’effectuons pas d’étude préalable des projets de loi C-49 et C-58. Nous ne savons pas quand nous les recevrons. Faisons des études préalables de tous les projets de loi, car vous ne pouvez pas nous préciser quand nous les obtiendrons.

Votre Honneur, j’interviendrai sur cette question. Je voudrais que le débat soit ajourné à mon nom.

(Sur la motion du sénateur Plett, le débat est ajourné.)

La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’honorable Kim Pate propose que le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur les territoires non cédés du peuple algonquin anishinaabe pour entamer la troisième lecture du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

Cette mesure législative vise à éliminer des obstacles inutiles à l’intégration dans la communauté des personnes qui ont un casier judiciaire et qui ont été tenues responsables de leurs actes, qui ont purgé la totalité de leur peine et qui tentent de contribuer à la société.

Le projet de loi S-212 propose trois grandes mesures.

Premièrement, le projet de loi S-212 propose de rétablir les délais pour l’expiration du casier judiciaire qui étaient prévus dans la Loi sur le casier judiciaire lorsqu’elle a été adoptée initialement, soit un délai de deux ans pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et un délai de cinq ans pour les infractions punissables par mise en accusation. En ce moment, ces délais sont respectivement de 5 et 10 ans, et plusieurs types de condamnations ne sont jamais admissibles à l’expiration du casier judiciaire.

Deuxièmement, le projet de loi S-212 conférerait au gouvernement la responsabilité de veiller à ce que les casiers expirent sans frais à la fin des délais, à la condition qu’il n’y ait pas d’accusations ou de condamnations subséquentes. Les personnes n’auraient plus à naviguer dans des processus de demande coûteux et fastidieux qui, trop souvent, vont à l’encontre de l’objectif primordial de favoriser la sécurité publique au moyen d’une intégration communautaire réussie.

Troisièmement, le projet de loi S-212 prévoit l’expiration du casier judiciaire, plutôt que sa suspension. Comme pour les suspensions de casier, les personnes ne seraient pas tenues de communiquer l’existence de casiers expirés, ce qui devrait limiter la prolifération des vérifications de casier pour les demandes de logement, d’éducation, d’emploi, de bénévolat et même de placement dans des établissements de soins de longue durée.

Sauf dans le cas de condamnations pour agression sexuelle, l’expiration du casier serait permanente, et les personnes n’auraient pas à craindre sa révocation ou son annulation.

Toutefois, les casiers expirés demeureraient accessibles dans les bases de données policières à des fins d’enquête légitimes.

Le projet de loi S-212 maintiendrait également le système actuel de vérification dans les secteurs vulnérables, de sorte que les casiers expirés liés à des agressions sexuelles continueraient à figurer dans les vérifications spéciales des casiers exigées lorsque des personnes demandent à travailler ou à faire du bénévolat auprès d’enfants, de personnes âgées ou d’autres personnes jugées vulnérables.

Chers collègues, au cours de la discussion sur le projet de loi S-212 aujourd’hui, vous entendrez parler des quatre thèmes suivants.

Premièrement, l’expiration des relevés automatisés n’est pas une idée nouvelle. Le gouvernement actuel a passé près d’une décennie à l’envisager et à s’en rapprocher progressivement.

Deuxièmement, l’engagement du gouvernement à réformer le système des casiers judiciaires doit être considéré comme un élément crucial du travail du Canada pour corriger les séquelles laissées par son héritage colonial, car les casiers judiciaires ont systématiquement prolongé et renforcé l’inégalité et les injustices engendrées par l’incarcération massive des Noirs et des Autochtones.

Troisièmement, l’expiration du casier judiciaire est faisable et pratique. Le Canada a un régime d’expiration automatique du casier judiciaire pour les jeunes contrevenants et, avant la fin de cette année, mettra en œuvre l’expiration automatique des casiers judiciaires liés à d’anciennes infractions de possession de drogue. Nous avons l’infrastructure nécessaire pour faire du projet de loi S-212 une réalité.

Quatrièmement, comme le soulignent les amendements apportés à ce projet de loi par le comité en réponse aux préoccupations soulevées par les représentants de certains services de police, l’expiration du casier judiciaire et la sécurité publique vont de pair. Tout le monde bénéficie lorsque les gens réussissent à s’intégrer de manière sûre dans la communauté.

Notre travail collectif à l’égard du projet de loi S-212 s’appuie sur près d’une décennie d’initiatives du gouvernement visant à réformer les casiers judiciaires. À la 42e législature, le gouvernement a publié les résultats de deux consultations publiques sur le régime actuel de suspension du casier judiciaire, l’une menée par la Commission des libérations conditionnelles du Canada en 2016, l’autre par le ministère de la Sécurité publique en 2017.

En 2018, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de l’autre endroit a publié un rapport sur la suspension du casier judiciaire qui contenait des recommandations que tous les partis ont appuyées. Les conclusions de toutes ces études que les frais sont prohibitifs, les délais d’attente sont trop longs et il faut examiner les options d’expiration automatique sans demande.

Deux projets de loi du gouvernement reconnaissent également l’injustice et l’inaccessibilité du régime actuel de suspension du casier judiciaire. Le projet de loi C-66 présentait un processus simplifié et sans frais de demande d’expiration de tout casier judiciaire attribuable à la criminalisation discriminatoire des membres des communautés 2ELGBTQIA+.

Après la décriminalisation de la possession de cannabis, le projet de loi C-93 avait prévu un processus similaire pour les personnes ayant déjà été condamnées pour possession de cannabis, d’autant plus que les politiques de type « guerre contre la drogue » ont ciblé et criminalisé de manière disproportionnée les Noirs et les Autochtones.

Ces projets de loi ont été jugés nécessaires précisément parce que le système de suspension du casier judiciaire actuel est à la fois déconnecté de la réalité et insensible. Des dizaines de milliers de personnes ont vécu pendant des années avec la stigmatisation et les obstacles qui viennent avec un casier judiciaire, même si leurs condamnations discriminatoires et désormais décriminalisées n’avaient pas leur raison d’être. Leurs comportements n’ont jamais présenté de risque pour la sécurité publique, mais le système canadien des casiers judiciaires a continué à les marginaliser et s’est révélé incapable de leur apporter une aide efficace.

Combien de personnes sont actuellement incapables de trouver un emploi ou un logement sûr ou de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille à cause d’un casier judiciaire qui n’a rien à voir avec un risque pour la sécurité publique, mais tout à voir avec un accès inégal aux ressources financières et juridiques requises pour obtenir la suspension de ce casier judiciaire, sans parler d’éviter les circonstances qui les rendent vulnérables à la criminalisation dès le départ?

L’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry a déclaré ce qui suit au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles :

Par exemple, une personne de notre réseau a fini de purger sa peine il y a quelques années. Elle a trouvé un emploi dans la prestation d’un service de première ligne qui aide les autres membres de son milieu. Elle a récemment appris qu’elle devait quitter son appartement. Cependant, elle n’a pas pu trouver un nouveau logement sécuritaire en raison de la vérification du casier judiciaire lors de ses demandes de logement. Elle nous a confié craindre de devoir travailler pendant qu’elle vit dans son véhicule.

La Coalition Nouveau Départ, un regroupement de plus de 85 organisations de la société civile œuvrant auprès de personnes judiciarisées, a communiqué avec beaucoup d’entre nous pour plaider en faveur d’un régime où le casier judiciaire d’une personne est automatiquement effacé, à l’instar de ce qui est proposé dans le projet de loi S-212. La coalition amplifie la voix et l’expérience vécue de gens tels que Kimberly, dont le casier judiciaire résulte de trois décennies de violence physique et d’exploitation sexuelle. Kimberly a réussi à échapper à un partenaire violent, mais demeure piégée dans des emplois précaires peu rémunérés. Une fois, elle a trouvé un bon emploi, mais elle a fait partie, quelques semaines plus tard, du congédiement de masse de tous les employés récemment embauchés qui avaient un casier judiciaire. Elle a tenté de se recycler, suivant des cours en ligne le soir tout en travaillant à plein temps le jour, pour apprendre après un an qu’elle ne pouvait pas passer son examen d’accès à la profession en raison de son casier judiciaire. Je cite Kimberly :

Aussitôt, ou presque, qu’il est question de mon casier judiciaire par rapport à un emploi [...] je sais que je dois raconter ma vie personnelle encore une fois. Je suis obligée de parler de ces choses que j’ai travaillé si fort à surmonter sur les plans social, mental et physique. Chaque fois, c’est à recommencer.

Tout le monde dit: « Tu sais, tout le monde a un squelette dans le placard. » Moi, je traîne le mien juste derrière moi, comme un boulet. Il me suit partout où je vais, à longueur de journée.

(1730)

Qui bénéficie d’un tel système? À qui assure-t-il la sécurité? Si les deux mesures législatives présentées par le gouvernement pour améliorer l’accès à la suspension du casier judiciaire pour certains types de condamnations sont louables, elles sont aussi beaucoup trop limitées. En mai 2024, plus de quatre ans et demi après l’instauration des pardons accélérés relatifs au cannabis, seulement 1 331 personnes avaient demandé la suspension de leur casier judiciaire, ce qui représente tout au plus 10 % des 10 000 personnes qui devaient bénéficier du projet de loi selon les estimations du gouvernement. En soi, cela ne représente qu’une petite fraction des gens ayant un casier judiciaire pour possession de cannabis.

Parmi ces 1 331 demandeurs, 476 ont vu leur demande rejetée pour des raisons techniques. Autrement dit, plus d’une personne sur trois ayant présenté une demande de suspension de son casier judiciaire pour possession de cannabis a essuyé un refus parce que même un processus de demande gratuit conçu pour être aussi simple et efficace que possible s’est avéré trop complexe.

On dit parfois à tort que la suspension du casier judiciaire équivaut à excuser des actes criminels ou à faire fi de la sécurité publique. C’est faux dans les deux cas. Autoriser l’expiration d’un casier judiciaire après un certain laps de temps pendant lequel une personne n’a commis aucun crime augmente ses chances d’intégration dans la collectivité, ce qui contribue à la sécurité publique.

En effet, au comité, l’Association canadienne des chefs de police et de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels faisait partie des témoins qui appuyaient le projet de loi S-212 pour ces motifs. Leur position fait écho à de nombreuses données et preuves empiriques démontrant que le fait d’obliger les gens à remplir une demande pour obtenir la suspension de leur casier judiciaire n’améliore pas les résultats en matière de sécurité publique. Les meilleurs indicateurs d’une intégration réussie dans la collectivité sont plutôt l’accès à un emploi et la capacité de vivre quelques années sans nouvelle accusation ou déclaration de culpabilité.

Des recherches et des données gouvernementales ont révélé qu’après un nombre relativement faible d’années sans criminalité, les personnes ayant un casier judiciaire ne sont pas plus susceptibles que quiconque de commettre un crime. Cela signifie que nous pouvons soutenir la sécurité publique et l’intégration communautaire des personnes ayant un casier judiciaire en éliminant les obstacles à l’expiration du casier judiciaire et, en particulier, aux possibilités d’emploi et à d’autres liens significatifs.

Si nous voulons un système juste, qui respecte ses promesses de rendre les collectivités plus sûres et qui ne fait pas de discrimination contre les pauvres, les personnes racialisées et les personnes les plus marginalisées, l’expérience canadienne nous dit — comme l’ont fait de nombreux témoins au comité — que nous devons éliminer les lourdeurs du processus de demande actuel. Nous devons encourager le gouvernement à mettre en œuvre le projet de loi S-212.

En 2021, au cours de la 43e législature, le gouvernement a présenté le projet de loi C-31, mais il n’a pas été adopté avant la prorogation. Ce projet de loi proposait d’éliminer quelques-unes des nombreuses exigences pour les demandes présentées dans le cadre de ce régime, d’accorder le pardon pour certaines condamnations actuellement inadmissibles à une suspension du casier judiciaire et de réduire le délai à cinq ans dans le cas des condamnations pour une infraction punissable par mise en accusation et à trois ans dans le cas des condamnations pour une infraction punissable par procédure sommaire.

Ensuite, en 2022, au cours de la 44e législature, le gouvernement a réduit les frais de demande, qui s’élevaient à plus de 658 $, pour les porter à 50 $. C’était un progrès important, mais cela n’a pas éliminé les obstacles liés aux coûts. La somme de 50 $ peut sembler modeste, mais pour les plus marginalisés, ce prix à payer pour la suspension de leur casier judiciaire peut être suffisamment important pour qu’ils n’aient pas les moyens de manger à leur faim, d’avoir un endroit sûr où se loger, de se procurer un manteau ou des bottes ou de répondre aux besoins fondamentaux de leurs enfants, y compris en ce qui a trait à la sécurité alimentaire. Même si les frais de demande sont maintenant plafonnés à 50 $, d’autres étapes du processus de demande entraînent des coûts qui peuvent rapidement atteindre des centaines de dollars, voire des milliers, que ce soit pour des vérifications policières, la prise des empreintes digitales, les déplacements pour récupérer les dossiers ou la consultation d’un avocat ou, trop souvent, d’une entreprise qui arnaque les gens en exigeant des frais déraisonnables et en ne faisant pas grand-chose pour les aider à faire suspendre leur casier judiciaire.

Comme la Société Saint-Léonard du Canada nous l’a dit en comité, en plus de ces coûts cachés, il y a des gens « [...] qui sont passés par les premières étapes de la demande et ont été bloqués par des amendes en souffrance [en lien avec leur peine] qu’ils n’avaient pas les moyens de payer. Ils ont renoncé. »

En supprimant l’obligation de présenter une demande, le projet de loi S-212 éliminerait les coûts cachés et trop souvent punitifs et prohibitifs. L’inscription de ce processus dans la loi pourrait faire en sorte que si un gouvernement souhaite créer des frais supplémentaires ou augmenter les coûts à l’avenir, il devra présenter cette mesure dans un projet de loi aux fins d’un débat transparent au Parlement au lieu de pouvoir prendre de telles mesures à huis clos.

Ensuite, en août 2022, le gouvernement a publié les résultats de nouvelles consultations publiques axées sur l’expiration automatisée des casiers judiciaires. Il a indiqué que presque tous les participants « […] appuient fermement la mise en place d’un système automatisé ».

À l’automne 2022, le gouvernement a inclus une forme d’expiration automatisée dans le projet de loi C-5. Je n’ai pas besoin de rappeler à mes collègues que la majorité du Sénat, soit près des trois quarts, a voté en faveur de cette mesure. En vertu du projet de loi C-5, d’ici novembre 2024, tous les casiers judiciaires pour possession simple de drogues expireront automatiquement deux ans après la fin de la peine du contrevenant.

Au cours du débat sur le projet de loi C-5, le représentant du gouvernement au Sénat a expliqué pourquoi cette mesure était particulièrement importante dans un projet de loi visant à lutter contre la discrimination systémique à l’égard des Noirs et des Autochtones dans le système de justice pénale. Il a dit ce qui suit :

Lorsqu’un individu est reconnu coupable de simple possession de drogue, ses condamnations passées et futures doivent être conservées séparément des autres condamnations pénales deux ans après la fin de sa peine, c’est-à-dire que son casier judiciaire sera suspendu. Il ne sera pas nécessaire de soumettre une demande ou de payer les frais.

Il a ajouté :

Cela permettra aux individus ayant été condamnés pour possession de drogue de continuer à vivre leur vie, que ce soit en faisant des études, en profitant de perspectives d’emplois ou en s’engageant au sein de leur communauté, sans être freinés par un dossier lié à une condamnation antérieure pour possession simple.

Par le truchement de cet ajout, le projet de loi fournit ainsi un mécanisme permettant de réduire la stigmatisation associée aux condamnations pour simple possession de drogue.

Chers collègues, le fardeau d’un casier judiciaire pèse de manière disproportionnée sur les communautés autochtone, noire et racisée, et il amplifie et exacerbe des strates de racisme systémique dans le système de justice pénale, du profilage racial à la surveillance excessive en passant par l’incarcération de masse. Aujourd’hui, les Afro-Canadiens représentent 3 % de la population, mais 9 % des personnes incarcérées dans les prisons fédérales. Les Autochtones représentent 5 % de la population générale, mais 32 % de la population carcérale fédérale. Plus de la moitié des détenues dans les prisons fédérales sont maintenant des Autochtones.

Il est facile de parler de la nécessité de la réconciliation. Beaucoup ont déjà tracé le parallèle entre l’incarcération de masse et un trop grand nombre d’autres usages racistes comme l’institutionnalisation ou le déracinement, des pensionnats jusqu’à la prise en charge de force par le système d’aide à l’enfance. Il est évident que nous devons faire mieux, mais qu’est-ce que cela signifie quand les personnes que nous rencontrons dans les prisons sont encore en grande majorité des Noirs et des Autochtones, d’autant plus que même après avoir purgé leur peine, ces personnes n’arrivent pas à obtenir une deuxième chance d’apporter leur contribution à leur famille et à la société parce que l’existence d’un casier judiciaire constitue une sanction perpétuelle?

La voie vers la réconciliation est longue pour le Canada et elle nous oblige à composer avec les injustices du système de justice pénale et le fait que la détermination d’une peine criminelle est un exercice à géométrie variable. Le projet de loi S-212 est un petit pas dans la bonne direction. Ce n’est pas le fruit du hasard si, au Sénat comme ailleurs, les personnes qui nous exhortent à faire bouger les choses sont souvent celles qui travaillent auprès des communautés racisées ou qui défendent leurs droits, car c’est de là que sont issus les gens qui ont le plus de problèmes à cause de leurs antécédents criminels et qui ont le moins les moyens de mener à bon terme une procédure de suspension de casier judiciaire dans le système actuel. Il suffit de porter attention aux habitudes de vote dans cette enceinte. En tant que femme blanche, il y a une vérité fondamentale que je ne peux pas m’empêcher de souligner : ce sont surtout nos collègues noirs et autochtones qui reconnaissent l’importance vitale des mesures législatives comme ce projet de loi et qui votent en conséquence. Je demande à tous les sénateurs de passer à la vitesse supérieure.

En raison du projet de loi C-5, le gouvernement est actuellement tenu de créer un régime d’expiration automatique du casier judiciaire pour certains types d’infractions, l’infrastructure même nécessaire pour que le projet de loi S-212 devienne une réalité facile à mettre en œuvre et rentable pour la plupart — et pas seulement quelques-unes — des personnes qui ont besoin d’être libérées immédiatement de leur casier judiciaire et qui le méritent. Alors, qu’attendons-nous?

Des 3,8 millions de Canadiens détenant un casier judiciaire, neuf sur 10 n’ont pas de pardon ou de suspension de leur casier. La Commission des libérations conditionnelles du Canada a dit au comité :

Pour l’exercice 2022-2023, nous sommes en voie d’avoir reçu près de 15 500 demandes de suspension du casier, ce qui représentera une [...] augmentation de 29 %.

Ce nombre représente seulement 0,4 % des Canadiens ayant un casier judiciaire. À ce rythme, il faudrait 221 ans pour traiter tous les casiers judiciaires qui existent à l’heure actuelle.

(1740)

Entretemps, chaque personne dont le casier judiciaire n’est pas suspendu voit les conséquences de sa condamnation se prolonger indéfiniment au-delà de sa peine et ses efforts pour s’intégrer et contribuer concrètement à la vie de sa collectivité être entravés.

Le gouvernement reconnaît que le système des casiers judiciaires est injuste et indéfendable. Il verse 18 millions de dollars à des groupes communautaires pour aider leur clientèle à s’y retrouver dans le processus complexe de demande de suspension de casier.

Le gouvernement fait également des progrès graduels vers un système automatisé d’expiration des casiers judiciaires. Cependant, ce sont les gens qui ont un casier judiciaire qui peuvent le moins se permettre d’attendre longtemps d’obtenir un répit. Tony Paisana, de l’Association du Barreau canadien, a déclaré ceci au Comité des affaires juridiques :

[...] nous consacrons des efforts au problème depuis assez longtemps pour penser qu’un changement plus révolutionnaire soit nécessaire. Le système de suspension du casier ou de réhabilitation fait l’objet de nombreux débats depuis près de 25 ans, et nous ne semblons pas l’améliorer d’une manière appréciable aux yeux des Canadiens.

Les obstacles financiers introduits il y a une dizaine d’années ont en fait constitué un pas en arrière plutôt qu’un pas en avant, et nous sommes aujourd’hui pratiquement revenus au point où nous en étions il y a 10 ans en ce qui concerne les obstacles financiers. Le processus lui-même est inchangé. Les problèmes demeurent les mêmes.

À mon humble avis, le moment est venu de procéder à un changement plus important, compte tenu des difficultés que cause le problème depuis près de trois décennies.

L’expiration automatisée des casiers judiciaires n’a rien de nouveau. Elle fait partie du système de gestion de dossiers de pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et la Nouvelle‑Zélande. Au Canada, cela fait presque 20 ans que l’expiration automatisée des dossiers est utilisée dans le cadre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada et auparavant avocate chargée de l’élaboration de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents au ministère de la Justice, a témoigné devant le comité. Questionnée au sujet du système de dossiers de cette loi et de la manière dont il est devenu le premier système au Canada à intégrer les données provenant des systèmes fédéral et provinciaux d’une manière suffisamment harmonieuse pour permettre l’expiration automatisée des casiers judiciaires, elle a répondu ceci :

Nous avons eu de nombreuses et longues discussions avec des gardiens de casiers judiciaires dans les provinces [...] avec la police, des administrateurs de tribunaux, etc. Nous avons aplani les difficultés et trouvé une solution efficace. Franchement, personne, vraiment, ne s’est plaint du système de gestion des dossiers sous le régime de cette loi qui est en vigueur depuis maintenant 20 ans. Le ministre [de la Sécurité publique] et d’autres pourraient examiner ce précédent peut-être correct pour obtenir l’accord des provinces. Ce devrait être assez facile.

Grâce à l’obligation du gouvernement prévue dans le projet de loi C-5, les rouages d’un système automatisé d’expiration des casiers judiciaires sont déjà en marche. Le projet de loi S-212 constitue la prochaine étape progressiste pour remédier à l’injustice et à l’inégalité dans le système des casiers judiciaires. Il s’appuie sur des décennies de preuves et de réflexion approfondies et répond à la recommandation 69 du rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral, que la Chambre a appuyé non pas une, mais deux fois.

Grâce aux amendements apportés par le Comité des affaires juridiques, le projet de loi S-212 répond également aux préoccupations soulevées par certains collègues et témoins représentant les services de police. Le projet de loi S-212 fait de l’effacement du casier judiciaire la norme plutôt que l’exception prévue dans le système actuel de suspension du casier. L’Association canadienne des chefs de police et la Police provinciale de l’Ontario, en particulier, ont soulevé des préoccupations quant à la perte d’un accès rapide à des données centralisées sur les antécédents judiciaires sur lesquelles elles se fient actuellement pour leurs enquêtes si des dossiers étaient éliminés de la base de données du Centre d’information de la police canadienne à leur expiration. Le comité a réagi en acceptant mon amendement visant à créer une exception qui permettrait à la police de continuer d’avoir accès à des dossiers expirés, à des fins limitées d’enquête.

Inspiré du système actuel de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, cet amendement signifie que les casiers expirés seront conservés à part des autres casiers dans la base de données du Centre d’information de la police canadienne, comme c’est actuellement le cas pour les dossiers visés par une réhabilitation et les casiers suspendus. La police aurait un nouveau pouvoir qui lui permettrait d’accéder à ces casiers expirés sans formuler la demande individualisée d’approbation ministérielle qui est actuellement requise, à condition que cet accès soit à des fins d’enquête légitimes.

Par ailleurs, le projet de loi S-212 garantit que les individus ne sont pas obligés de divulguer le fait qu’ils ont un casier judiciaire expiré et maintient fermement les mesures de protection du projet de loi qui empêchent que des casiers judiciaires expirés soient inclus dans des vérifications de dossiers à des fins civiles non policières, y compris les demandes pour un logement, un emploi ou un poste bénévole et, à l’exception de cas très limités, celles liées à des vérifications des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables.

Le projet de loi S-212 maintiendrait le processus actuel de vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables, de sorte que les dossiers expirés concernant spécifiquement les infractions qui figurent à l’annexe 1 ou à l’annexe 2, qui concernent la violence faite aux enfants et les agressions sexuelles. Ces infractions seraient encore incluses dans les vérifications des antécédents que les gens peuvent devoir compléter lorsqu’ils postulent, par exemple, à un emploi ou à un poste de bénévole auprès de personnes considérées comme vulnérables, que ce soit en raison de leur âge, de leurs capacités ou de leur situation.

Les amendements du Comité des affaires juridiques répondent aux préoccupations concernant le maintien de la sécurité publique, puisqu’ils garantissent que la police continuera d’avoir accès aux outils d’enquête qu’elle a l’habitude d’utiliser. Les amendements reconnaissent toutefois qu’il serait mauvais pour les objectifs de sécurité publique que la police utilise les casiers expirés non pas pour des motifs d’enquête légitimes, mais dans le cadre de pratiques discriminatoires, ou que des personnes soient marginalisées, stigmatisées et isolées parce qu’elles ne peuvent pas avoir accès à un allégement significatif de leur dossier.

Cela m’amène à parler, chers collègues, de ce que nous risquons de perdre si nous n’adoptons pas le projet de loi S-212. Pendant les travaux du comité, les témoins ont souvent souligné que les personnes qui ont dû répondre de leurs actes et ont purgé leur peine ont besoin d’un emploi, d’un logement et de possibilités de formation et de bénévolat. Leur casier judiciaire nuit à leur intégration et à leur capacité d’apporter une contribution positive à leur famille et à leur collectivité. Des témoins ont souligné que ce projet de loi était vital pour la sécurité, la santé et le bien-être de ces personnes, de leur famille et de leur communauté.

Pendant son témoignage, Rachel Fayter a utilisé sa propre expérience pour illustrer ce point. Mme Fayter est actuellement doctorante en criminologie. Elle a 10 ans d’expérience en travail social et une maîtrise en psychologie. Voici ce qu’elle a dit :

[...] Malgré ces atouts, je n’ai pas pu trouver de travail dans mon domaine, après avoir envoyé plus de 100 curriculum vitæ et m’être prêtée à des dizaines d’entrevues. Après plusieurs mois, j’ai été obligée de prendre deux emplois à temps partiel au salaire minimum, le premier pour vendre des burritos le jour et le second pour remplir les tablettes d’une épicerie la nuit.

[...] j’ai eu une difficulté extrême à me trouver un appartement, et j’ai dû demander à mes professeurs des lettres de recommandation pour m’aider à obtenir un logement.

Mme Fayter a dit au comité :

Le système actuel et le fait d’avoir un casier judiciaire [...] favorisent la stigmatisation et la discrimination et excluent les gens de la société. Des gens sont dans la rue parce qu’ils ne peuvent pas trouver de logement. Ils sont frustrés parce qu’ils n’ont pas accès à l’éducation. Ils ne sont pas en mesure d’obtenir un emploi régulier et intéressant. Je connais de nombreuses personnes qui ont été forcées de se prostituer, ou de faire du strip-tease.

Chers collègues, Mme Fayter et bien d’autres personnes ont beaucoup à offrir à la collectivité. Les personnes qui n’ont pas accès à la suspension de leur casier judiciaire portent le fardeau d’un système injuste et inaccessible qui empêche les gens de reprendre leur vie en main et ne rend pas nos collectivités plus sûres. J’ai servi de référence à beaucoup trop de personnes qui se voient refuser l’accès non seulement à l’emploi ou au bénévolat, mais aussi à l’éducation, au logement, à des soins de santé mentale et même à des soins aux personnes âgées en raison de leur casier judiciaire.

Ce sont les personnes les plus marginalisées, c’est-à-dire les Autochtones, les Noirs et autres personnes racisées, les personnes ayant des problèmes de santé mentale invalidants et les personnes démunies, qui sont les moins à même de bénéficier d’une suspension du casier judiciaire. Les inégalités systémiques signifient que ces groupes sont déjà susceptibles d’être judiciarisés et désavantagés de manière disproportionnée, tant avant qu’après l’établissement d’un casier judiciaire. La plupart des Canadiens à faible ou à moyen revenu ont du mal à accéder aux services de soutien, notamment pour trouver un logement et un emploi. Les casiers judiciaires ne font pas qu’ajouter une nouvelle couche de discrimination, ils multiplient les obstacles.

Le projet de loi S-212 ne résoudra pas à lui seul tous les problèmes actuels liés au système de casiers judiciaires. Il s’agit toutefois d’une véritable bouée de sauvetage qui appuie l’intégration des gens qui ont purgé leur peine et qui ont travaillé fort pour tourner la page sur la criminalité.

Honorables sénateurs, au cas où ce ne serait pas parfaitement clair, permettez-moi de dire les choses simplement. D’abondantes données probantes indiquent que, sans un système d’expiration des casiers judiciaires au Canada, nous faisons de la discrimination à l’endroit des personnes les plus marginalisées. Le gouvernement est de plus en plus conscient de cette réalité. Il mène des consultations publiques et il prend des mesures en vue d’une certaine automatisation de l’expiration des casiers. Néanmoins, les personnes qui ont des besoins criants doivent être soutenues. Alors qu’elles cherchent à réintégrer la société, à s’y réinsérer, à assurer leur sécurité et leur santé ainsi qu’à prendre soin de leur famille, elles ne peuvent pas se permettre d’attendre. Travaillons ensemble à revoir le système des casiers judiciaires au Canada en y apportant des modifications qui sont fondées sur des données probantes et qui sont attendues depuis longtemps. J’espère pouvoir compter sur votre soutien alors que nous nous efforçons de faire des progrès dans ce dossier et bien d’autres domaines interreliés. Meegwetch, merci.

Des voix : Bravo!

(1750)

L’ajournement

Rejet de la motion

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente : L’honorable sénateur Plett, avec l’appui de l’honorable sénateur Housakos, propose que le Sénat s’ajourne maintenant. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Les whips, les agents de liaison ou les sénateurs désignés à l’article 9-5(1) du Règlement se sont-ils entendus au sujet de la sonnerie?

Il n’y a pas d’entente. Par conséquent, la sonnerie retentira pendant une heure. Le vote aura lieu à 18 h 50.

Convoquez les sénateurs.

(1850)

La motion, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Batters Manning
Black Marshall
Boehm Martin
Busson Plett
Carignan Richards
Coyle Seidman
Downe Simons
Housakos Sorensen
MacAdam Tannas
MacDonald Wells—20

CONTRE
Les honorables sénateurs

Aucoin Lankin
Bellemare Loffreda
Bernard Massicotte
Boniface McBean
Cardozo McCallum
Clement McPhedran
Cotter Mégie
Cuzner Miville-Dechêne
Dalphond Moodie
Dean Osler
Forest Oudar
Gerba Pate
Gold Ravalia
Harder Ross
Hartling Saint-Germain
Jaffer Varone
Kingston White
LaBoucane-Benson Woo—36

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Al Zaibak Robinson—2

La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénatrice Moodie, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, tel que modifié.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, vise à mettre en place un système d’expiration automatique du casier judiciaire afin de contribuer à l’élimination des obstacles à l’obtention d’un emploi, d’un logement et des autres mesures de soutien nécessaires à la réinsertion dans la communauté.

Le Comité des affaires juridiques a travaillé fort dans son étude du projet de loi. Nous avons reçu 29 témoins au cours de huit réunions étalées sur cinq mois. Cette étude exhaustive a abouti à un amendement proposé par la sénatrice Pate pour répondre aux préoccupations de certains services de police concernant le maintien de l’accès aux casiers judiciaires expirés aux fins des enquêtes.

Je tiens à souligner que le comité a entendu des personnes qui ont vécu des expériences de victimisation et de judiciarisation et qui ont subi les effets de l’existence d’un casier judiciaire, ainsi que leurs défenseurs. J’aimerais notamment partager l’histoire de Rachel Fayter, une candidate au doctorat qui a purgé une peine de cinq ans dans une prison fédérale. Bien qu’elle ait purgé sa peine et sa période de libération conditionnelle sans commettre d’infraction, Mme Fayter s’est heurtée à des obstacles persistants en matière de logement, d’emploi et de voyage à l’étranger. Après des mois de recherche d’emploi, Mme Fayter a été contrainte de cumuler deux emplois, ce qui a eu un impact considérable sur sa santé physique et mentale. En outre, elle a expliqué que son casier judiciaire la rendait vulnérable au harcèlement policier.

Comme de nombreux autres témoins nous l’ont rappelé, les Noirs et les Autochtones ont subi de manière disproportionnée les injustices des inégalités associées au système actuel de casiers judiciaires. L’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels fais partie des témoins qui ont expliqué que les casiers judiciaires sont un cercle vicieux. Les prisons sont remplies de personnes parmi les plus marginalisées et les plus pauvres du Canada. Pour un trop grand nombre d’entre elles, la situation à l’origine de leur criminalisation et de leur incarcération est étroitement liée aux inégalités systémiques et au manque d’accès aux soins de santé, aux soins de santé mentale, au logement, aux services juridiques et à d’innombrables autres formes d’aide.

Pour ces personnes, tous les autres systèmes ont échoué. Celles qu’on a laissées passer entre les mailles du filet sont censées trouver les ressources juridiques et financières nécessaires pour naviguer dans un système de suspension du casier judiciaire d’une complexité punitive. Lorsqu’elles n’y parviennent pas, les vérifications du casier judiciaire deviennent un obstacle supplémentaire à leur intégration. Le cercle vicieux se poursuit, en particulier pour les personnes victimes de discrimination systémique, notamment les Noirs, les Autochtones et les personnes racisées, ainsi que les femmes, les personnes handicapées et les personnes pauvres qui vivent dans la rue.

Honorables sénateurs, personne n’a intérêt à ce que les personnes soient abandonnées au lieu d’être aidées à trouver des possibilités d’aller au-delà de leur condamnation afin de contribuer à la vie de leur communauté.

(1900)

Le projet de loi S-212 renforcera la sécurité publique et empêchera de nouvelles victimisations. Au comité, le gouvernement a déclaré :

Nous aimerions aller de l’avant avec un système de retrait automatisé des casiers judiciaires, le plus tôt possible.

Le projet de loi S-212 l’aidera à le faire.

Depuis les consultations publiques de 2017, le gouvernement a reçu des réactions...

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Jaffer, je suis désolée, mais je dois vous interrompre.

Honorables sénateurs, il est 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, si l’on remonte aux consultations publiques de 2017, le gouvernement avait reçu des commentaires du public démontrant un appui solide à l’expiration automatisée du casier. Le projet de loi C-5, adopté en 2022, exige que le gouvernement mette en œuvre l’expiration automatisée du casier pour les condamnations pour possession de drogue d’ici novembre 2024. Cependant, le gouvernement a versé 18 millions de dollars à des groupes communautaires pour aider les gens à naviguer à travers des processus de demande que nous savons injustes au lieu de mettre en œuvre des solutions automatisées.

Je vais vous faire part du témoignage de Samantha McAleese, professeure de recherche auxiliaire au Département de sociologie de l’Université Carleton, qui a raconté son expérience en première ligne à la Société John Howard d’Ottawa. Elle a notamment aidé une femme, Sabrina, à obtenir la suspension de son casier judiciaire, ce qui lui a permis de terminer son stage pratique et sa formation d’infirmière. Sabrina a dit que les gens ne devraient pas payer le prix de leurs erreurs du passé pour toujours, mais qu’on devrait plutôt leur fournir du soutien pour qu’ils puissent améliorer leur sort.

Sa déclaration met en évidence la structure de violence à laquelle sont confrontées les personnes qui ont un casier judiciaire, et qui est compliquée davantage par les obstacles bureaucratiques des processus de demande de suspension du casier.

Honorables sénateurs, j’aimerais que nous réfléchissions. Notre pays est très petit. D’après les statistiques que j’ai lues, une personne sur dix a un casier judiciaire, ce qui signifie qu’une personne sur dix dans un très petit pays n’est pas tout à fait en mesure d’être productive. Elles ne sont pas en mesure d’obtenir les emplois qu’elles méritent. Est-ce le pays que nous voulons? Je ne crois pas.

Honorables sénateurs, nous avons le devoir d’agir spécifiquement pour représenter les membres des groupes marginalisés, notamment ceux qui attendent depuis bien trop longtemps la mise en place d’un système de casiers judiciaires équitable. Le projet de loi S-212 est bien plus qu’un simple pas vers la justice; c’est un moyen nécessaire pour briser le cycle de la marginalisation et favoriser la réinsertion des individus dans la société.

Merci beaucoup, honorables sénateurs.

Son Honneur la Présidente : La sénatrice Moodie a la parole.

Rejet du recours au Règlement

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Votre Honneur, j’invoque le Règlement.

Je demande qu’on entende maintenant notre sénateur.

Son Honneur la Présidente : Lorsque vous dites « notre sénateur », à qui faites-vous référence?

Le sénateur Plett : Je suis désolé, Votre Honneur. Je pensais que ce serait évident, mais ce ne l’est peut-être pas. Cet intervenant est le sénateur Housakos, Votre Honneur.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, la motion qui vient d’être proposée est régie par les dispositions des articles 6-4(2) et 6-4(3) du Règlement. Normalement, le sénateur désigné par le Président a la parole. Si, toutefois, deux ou plusieurs sénateurs demandent la parole, un autre sénateur peut — avant que le sénateur désigné par le Président ne prenne la parole — invoquer le Règlement pour proposer qu’un autre sénateur prenne maintenant la parole, ou que la parole soit maintenant donnée à ce sénateur.

Cette motion ne peut être débattue. Si la motion est rejetée, le sénateur initialement désigné par le Président a la parole. Si la motion est adoptée, le sénateur nommé dans la motion a la parole.

Le sénateur Plett : Deux d’entre nous doivent-ils se lever maintenant?

Son Honneur la Présidente : Se lèvent la sénatrice Moodie et le sénateur Housakos.

Par conséquent, honorables sénateurs, il est proposé par l’honorable sénateur Plett, appuyé par l’honorable sénatrice Martin :

Que la parole soit maintenant donnée à l’honorable sénateur Housakos.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Les whips, les agents de liaison ou les sénateurs désignés aux termes de l’article 9-5(1) du Règlement ont-ils un avis sur la durée de la sonnerie?

Une voix : Quinze minutes.

Une voix : Une heure.

Son Honneur la Présidente : Il n’y a pas d’entente au sujet de la sonnerie. Le vote aura donc lieu à 21 h 7.

Convoquez les sénateurs.

(2100)

La motion, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Ataullahjan MacDonald
Batters Manning
Carignan Marshall
Forest Martin
Gerba Plett
Harder Richards
Housakos Seidman
Loffreda Wells—16

CONTRE
Les honorables sénateurs

Al Zaibak LaBoucane-Benson
Arnot Massicotte
Aucoin McBean
Bellemare McNair
Black McPhedran
Boniface Mégie
Busson Miville-Dechêne
Cardozo Moodie
Clement Pate
Cormier Ravalia
Cotter Ringuette
Coyle Robinson
Cuzner Ross
Dalphond Saint-Germain
Dean Simons
Francis Sorensen
Gold Varone
Jaffer White
Kingston Woo—38

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Downe Osler
MacAdam Oudar—4

(2110)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénatrice Moodie, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, tel que modifié.

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer nos collègues du Comité des affaires juridiques, qui ont travaillé avec diligence afin d’étudier le projet de loi S-212 sur l’expiration automatisée du casier judiciaire. Ils ont présenté leur rapport il y a presque sept mois. Je suis heureuse que le Sénat ait finalement adopté ce rapport et que nous en soyons maintenant à l’étape de la troisième lecture.

Chers collègues, il est maintenant temps d’aller de l’avant avec ce projet de loi.

Lorsque nous avons lancé le Groupe canado-africain du Sénat en décembre 2021, mes collègues et moi avons désigné le projet de loi S-212 comme une priorité liée à toute collaboration avec les membres de la communauté pour faire progresser les questions de justice, de santé et d’équité économique.

Au comité, les témoins — notamment l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, l’Association du Barreau canadien, l’Association des avocats noirs du Canada, Aboriginal Legal Services et même l’Association canadienne des chefs de police — ont tous souligné que les Noirs, les Autochtones et les personnes racialisées sont systématiquement surreprésentés dans le système de justice pénale et désavantagés systématiquement par le système actuel de suspension des casiers, qui est injuste et inaccessible.

Le projet de loi S-212 permet l’expiration des casiers judiciaires sans qu’il y ait de processus de demande, à condition que la personne dont le casier expire ne fasse l’objet d’aucune accusation ni condamnation subséquente avant une période pouvant aller de deux à cinq ans. Ce projet de loi aiderait les gens à surmonter les obstacles qui découlent de la vérification du casier judiciaire, qui les empêche d’accéder à des choses comme le logement, l’emploi, l’éducation, le bénévolat et d’autres nécessités pour s’intégrer en toute sécurité et avec succès dans leur collectivité.

Parallèlement, afin de répondre aux préoccupations soulevées par certains services de police, la sénatrice Pate a amendé le projet de loi au comité pour que la police puisse continuer à utiliser les informations contenues dans les casiers expirés dans le cadre d’un travail d’enquête légitime.

Les données transmises au comité et les témoignages que ce dernier a entendus montrent clairement que le projet de loi S-212 renforcera la sécurité publique. Il permettra aux gens de ne plus être piégés dans les mêmes situations de pauvreté, d’isolement et de marginalisation qui les ont menés sur la voie de la criminalité. Il constituera un petit pas vers la correction des échecs passés pour que justice soit rendue et vers l’équité pour les communautés autochtones, noires et de couleur. Il suscitera l’espoir et fournira des pistes pour l’avenir. Chers collègues, ce projet de loi devrait être une priorité urgente pour nous tous ici.

Grâce aux mesures du projet de loi C-5 visant à éradiquer le racisme systémique, le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre d’ici l’automne l’expiration automatique des casiers judiciaires pour possession de drogue. Il s’agit d’un premier pas important pour rendre justice à certaines personnes. Le projet de loi S-212 facilitera l’accès à ces mesures indispensables.

En demandant que nous agissions rapidement, je veux surtout mettre l’accent sur les conséquences des casiers judiciaires pour les enfants et leurs familles.

La majorité des femmes autochtones, noires et de couleur en prison sont des mères. La majorité de leurs enfants leur ont été retirés pour être pris en charge par l’État à la suite de leur incarcération, ce qui signifie que la séparation des enfants est une tragédie déchirante et cachée, ainsi qu’une punition supplémentaire non seulement pour les mères, mais aussi pour leurs enfants.

L’expiration du casier est essentielle pour les femmes qui ont un casier judiciaire et qui luttent pour retrouver leurs enfants ou pour empêcher qu’ils soient placés, pour celles qui cherchent un emploi afin de tenter de sortir leurs enfants et elles-mêmes de la pauvreté, ou pour celles qui ont besoin d’un logement sûr pour assurer la stabilité de leur famille.

Le projet de loi S-212 est une étape indispensable pour que la stigmatisation, l’injustice et la marginalisation associées aux casiers judiciaires ne durent pas toute la vie et ne se transmettent pas d’une génération à l’autre.

La sénatrice Pate a déjà raconté l’histoire d’un enfant qui a été exclu des sorties scolaires et des activités spéciales parce que personne ne pouvait lui apporter le soutien parental supplémentaire dont il avait besoin pour y participer. Sa mère aurait pu le faire — elle était présente et avait les capacités requises — mais, bien qu’elle ne présente aucun risque pour la sécurité publique, elle ne pouvait pas être bénévole dans une école parce qu’elle avait un casier judiciaire. Son enfant a souffert de cette situation, d’autres enfants aussi. Le système actuel exige que les personnes dans sa situation attendent dix ans avant que leur casier soit suspendu. Les enfants grandissent vite et leur jeunesse passe à toute vitesse; 10 ans, c’est long dans la vie d’un enfant.

Pendant sept mois, ce projet de loi a été en attente à l’étape du rapport. Sa première version a été présentée au Sénat il y a plus de cinq ans. Cette longue attente a nui à combien de parents qui s’efforcent de faire de leur mieux pour leurs enfants? Elle a privé combien d’enfants d’une meilleure vie?

Chers collègues, je vous exhorte à appuyer ce projet de loi.

(2120)

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, j’aimerais proposer un amendement à la portion de l’article 5 du projet de loi S-212 qui traite du délai. Cet amendement vise à rétablir les délais tels qu’ils sont prévus à l’heure actuelle dans la Loi sur le casier judiciaire.

Plus précisément, nous proposons les changements suivants : premièrement, remplacer le délai de cinq ans pour les infractions punissables par mise en accusation par un délai de 10 ans; deuxièmement, remplacer le délai de deux ans pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire par un délai de cinq ans. Nous estimons que les délais actuellement proposés dans le projet de loi S-212 — cinq ans et deux ans, respectivement — sont trop courts. En effet, ces périodes sont insuffisantes pour permettre la réadaptation d’une personne reconnue coupable.

La réadaptation personnelle et la réinsertion sociale prennent du temps et sont essentielles pour donner aux personnes suffisamment de temps pour manifester un changement durable dans leur comportement et leur mode de vie. En prolongeant les délais à 10 ans et cinq ans, nous encourageons une réadaptation plus complète et donnons à ces personnes l’occasion de prouver qu’elles sont prêtes à être pleinement réinsérées dans la société.

Cela protège également la sécurité publique en veillant à ce que seules les personnes qui ont véritablement changé leur comportement puissent profiter de l’expiration de leur casier judiciaire. L’expiration du casier judiciaire concerne également l’annexe 1 de l’actuelle Loi sur le casier judiciaire, qui comprend des infractions graves. Ces infractions comprennent les contacts sexuels avec un mineur, la bestialité en présence d’un enfant de moins de 16 ans, l’incitation d’un enfant de moins de 16 ans à commettre un acte de bestialité, la corruption d’enfants, la pornographie juvénile et la traite de personnes âgées de moins de 18 ans. Ces deux derniers crimes, soit la pornographie juvénile et la traite de personnes de moins de 18 ans, sont ceux qui connaissent actuellement la plus forte augmentation au Canada.

N’oublions pas que, dans le contexte de ce projet de loi, nous ne parlons plus de suspension, où le contrevenant doit présenter une demande à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Il s’agit maintenant d’une expiration automatique du casier judiciaire. Par conséquent, pour des crimes aussi graves que ceux que je viens d’énumérer, il ne semble pas prudent de permettre l’expiration d’un casier judiciaire après seulement cinq ans.

Comme l’a dit Dave Blackburn, ancien commissaire de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, au comité lors de l’étude du projet de loi :

À mon humble point de vue, la suspension automatique des casiers judiciaires après deux ou cinq ans m’apparaît problématique et contribuera directement à affaiblir le filet de protection et à préconiser une approche universelle. Il vient contrecarrer deux notions essentielles dans le processus d’une réintégration sociale réussie et durable, c’est-à-dire l’autonomisation et la responsabilisation des personnes.

La réintégration sociale est un processus d’adaptation individuel, multidimensionnel et à long terme. Dans tous les cas, ce processus ne se termine pas à la fin d’une sentence et ne devient pas de facto pleinement réalisé deux ou cinq ans plus tard. La commission d’un acte criminel est le résultat d’une multitude de facteurs contributifs sur lesquels la personne doit cheminer et s’accomplir. Ce cheminement et cet accomplissement peuvent prendre du temps en fonction des personnes et sont directement influencés par le degré d’autonomisation et de responsabilisation.

En proposant l’expiration automatique du casier judiciaire, ce projet de loi élimine cette dernière étape d’autonomisation et de responsabilisation pour les personnes qui ont commis des actes criminels. Pire encore, le projet de loi transfère la responsabilité et le fardeau de la preuve de l’individu, qui devait auparavant faire la démonstration qu’il est un citoyen respectueux des lois, vers la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui en a déjà plein les bras avec les dossiers de libération sous condition. D’un point de vue mécanique et opérationnel, il est déjà prévisible que l’adoption de ce projet de loi mettra du sable dans l’engrenage.

J’ai entendu nos collègues qui sont en faveur du projet de loi parler longuement des droits des criminels, des droits des personnes qui ont violé le code de conduite de notre société. Cependant, il a été très peu question de la défense des victimes et de l’empathie que l’on devrait manifester envers elles — envers les enfants, envers leurs familles et envers ceux qui subissent des comportements odieux. Nous sommes tous des êtres humains empathiques qui veulent voir les gens s’amender et assumer la responsabilité de leurs actes, mais nous devons également faire preuve d’empathie pour ceux dont la vie a été détruite et qui dans certains cas — malgré la thérapie et malgré le soutien émotionnel — ne se relèveront jamais.

Certes, notre société est fondée sur des droits et des privilèges inhérents, mais il existe également des responsabilités inhérentes que chacun doit respecter. C’est pourquoi on nous enseigne dès le plus jeune âge — indépendamment de la race, de la couleur, de l’origine, du statut économique — qu’il faut travailler dur, respecter les règles et s’efforcer d’être un citoyen respectueux de la loi et de faire de bonnes choses dans la société, faute de quoi il doit y avoir des conséquences. Si ces conséquences peuvent être effacées en 24 mois, trois ans ou cinq ans, je suis d’avis que c’est insuffisant. Je ne pense pas qu’il y ait assez de preuves cliniques montrant que c’est même possible avec les personnes qui enfreignent les lois de la manière la plus horrible qui soit.

Nous vous exhortons à examiner sérieusement cet amendement visant à assurer une meilleure sécurité publique et une réadaptation plus efficace des personnes qui ont commis des infractions graves.

Motion d’amendement—Ajournement du débat

L’honorable Leo Housakos : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi S-212, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau, à l’article 5, à la page 3 :

a) par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« a) dix ans pour l’infraction qui a fait l’objet d’une »;

b) par substitution, à la ligne 14, de ce qui suit :

« b) cinq ans pour l’infraction qui est punissable sur ».

Le sénateur Plett : Bravo!

Le sénateur Housakos : Merci pour votre attention, chers collègues.

(Sur la motion de la sénatrice McBean, le débat est ajourné.)

(2130)

Le Code criminel
La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Tannas, appuyée par l’honorable sénatrice Verner, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens.

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénatrice Martin, et je demande le consentement du Sénat pour qu’il reste ajourné à son nom après mon intervention d’aujourd’hui.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Cotter : Honorables sénateurs, j’avoue que j’étais à la fois excité et surpris d’avoir l’occasion de prendre la parole ce soir. J’avais pensé que nous allions peut-être passer d’une pause‑repas de deux heures à deux pauses-repas d’une heure, au lieu d’une seule pause-repas d’une heure. Le sénateur Plett voulait manger son dessert, je suppose.

J’ai également été quelque peu surpris lorsque le sénateur Tannas, sachant que j’interviendrais sur un projet de loi qu’il a parrainé, a voté en faveur de l’ajournement du Sénat — il redoutait manifestement ce que je pourrais dire ce soir.

Cependant, j’ai été encouragé lorsque j’ai vu que le sénateur MacDonald avait toujours le podium devant lui pour son discours de 45 minutes, ce qui m’a réjoui énormément.

Alors, allons-y. Je vais parler brièvement du projet de loi S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens.

En termes simples, le projet de loi propose une modification de l’article 207 du Code criminel afin d’établir un parallèle avec l’autorisation accordée aux provinces de mener et de gérer des jeux sur leur territoire. La modification étendrait cette compétence en matière de jeux à toute Première Nation qui souhaiterait saisir l’occasion.

Je suis d’accord pour que le projet de loi soit renvoyé à un comité, vraisemblablement au Comité des affaires juridiques, et mon intervention portera donc essentiellement sur ce que je décrirai comme huit points qui, à mon avis, doivent être étudiés en ce qui concerne le projet de loi S-268. Mes observations constituent ce que j’appellerais des réserves de principe à l’égard du projet de loi plutôt que des réserves d’opposition, et j’espère qu’elles seront étudiées.

Je voudrais commencer par exprimer — à titre de parenthèse, du moins — une réserve générale que j’ai, comme d’autres, sur cette approche de la modification du Code criminel du Canada, une approche essentiellement fragmentaire, rarement assortie d’une étude ou d’une analyse suffisante du contexte. Nous procédons souvent ainsi dans cette enceinte, toujours avec les meilleures intentions du monde. Toutefois, en ce qui me concerne, je pense que ce n’est pas la bonne façon de modifier l’une des lois les plus importantes de notre pays. Je ferme maintenant la parenthèse.

Revenons aux points principaux. Dans cette enceinte, je pense qu’il est possible de parler franchement des lois proposées et des lois existantes, et d’émettre parfois des réflexions négatives sur le rôle que joue le droit criminel dans certains segments de notre société : je le ferai brièvement à cette occasion.

Dans ces circonstances, le Code criminel érige en crime les jeux ou les loteries, à moins que ces derniers ne soient pratiqués conformément aux dispositions du Code criminel, et plus particulièrement de l’article 207.

J’ai une assez bonne idée de la manière dont cela fonctionne. En tant que sous-procureur général de la Saskatchewan, j’ai participé aux négociations qui ont rendu possible l’autorisation des jeux de hasard pour les Premières Nations conformément aux pouvoirs accordés aux provinces au titre de l’article 207 au milieu des années 1980. J’ai siégé au conseil d’administration de la première autorité provinciale, la Société des jeux de hasard de la Saskatchewan, qui a lancé ce projet, en partenariat, avec la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan, comme on l’appelait à l’époque. Je reviendrai sur cette initiative, souvent considérée comme un modèle national en matière de jeux de hasard pour les Premières Nations.

Pour être exact au sujet du Code criminel — et, plus précisément, un de ses éléments —, le droit pénal du Canada en la matière établit et réglemente les monopoles actuellement accordés aux provinces pour mettre sur pied et exploiter des jeux de hasard. C’est un endroit étrange pour instaurer un monopole canadien ou de toute autre compétence. Ce résultat a été obtenu à la suite d’un marchandage entre Ottawa et les provinces dans les années 1980, en essence pour partager le marché national des jeux de hasard entre les deux ordres de gouvernement.

Pour ce qui est du principe de base, un projet de loi comme celui‑ci, qui propose que les Premières Nations exercent un contrôle plus direct sur les jeux de hasard et qu’elles participent à l’action, pour ainsi dire, n’est pas illégitime; il élargit pour ainsi dire le partage du gâteau; il élargit peut-être le gâteau, peut-être judicieusement, peut‑être pas.

Maintenant, les modifications apportées en 1985 constituaient le fruit d’une étude et de négociations minutieuses. Je n’ai pas connaissance de quoi que ce soit qui ressemble à une étude similaire des conséquences de la mise en œuvre de ce projet de loi, une question qui nécessite elle-même une étude approfondie, une étude qui, semble-t-il, incombera à cette chambre.

En ce qui concerne ces points, dimensions ou réserves, premièrement, quelles sont les implications économiques et fiscales de la création d’une nouvelle forme d’accès aux jeux de hasard?

Deuxièmement, y a-t-il une base solide, comme l’affirme le préambule, pour considérer cette nouvelle autorité en matière de jeux comme un droit inhérent ou un droit issu de traités pour les Premières Nations?

Le préambule du projet de loi stipule, en partie :

que ces droits intrinsèques et issus de traités englobent le droit des peuples autochtones de réglementer des activités telles que les jeux, les paris et les loteries sur leurs terres;

Il s’agit là, bien franchement, d’une ingérence. Sans disqualifier de quelque façon l’initiative, puisqu’elle peut toujours être considérée comme une bonne politique publique, nous devons être clairs et précis sur les fondements de cette initiative législative.

Bien qu’il soit de loin préférable de trouver des solutions plutôt que de lancer des procédures, je pense qu’il est juste de dire, au minimum, que la question des jeux de hasard en tant que droit inhérent ou issu de traités pour les Premières Nations est contestée. En effet, cette contestation fut un élément important qui a amené la province de la Saskatchewan et la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan à négocier dans les années 1990 afin de trouver un accord.

Cependant, nous devons mettre les choses au clair. Il est utile de se pencher sur cette partie du préambule et de faire une comparaison avec ce qu’a dit la Cour suprême du Canada à cet égard. Je me permets de citer de nouveau le préambule :

Attendu [...] que ces droits intrinsèques et issus de traités englobent le droit des peuples autochtones de réglementer des activités telles que les jeux, les paris et les loteries [...]

Voici ce qu’a dit la Cour suprême. Dans l’arrêt R. c. Pamajewon, la Cour suprême du Canada a refusé de reconnaître qu’il y a des droits garantis par le paragraphe 35(1) à l’égard des jeux ou de la réglementation de telles activités, affirmant que de tels droits n’existent pas. Dans cette décision majoritaire, la Cour a convenu que les loteries commerciales sont des « phénomènes du XXe siècle » qui n’existaient pas chez les peuples autochtones et que rien de cela « ne faisait partie des moyens traditionnels de socialisation et de subsistance de ces sociétés ».

Dans l’arrêt Lovelace c. Ontario, rendu en 2000, la Cour suprême a indiqué que, dans l’arrêt Pamajewon, la Cour avait déterminé que la réglementation des jeux de hasard ne faisait pas partie des droits autochtones. Ces positions ont été de nouveau adoptées par la Cour divisionnaire de l’Ontario dans la décision qu’elle a rendue en 2019 dans l’affaire Wauzhushk Onigum Nation v. Minister of Finance (Ontario). J’espère que le comité traitera de cette question.

Comme je l’ai dit, même s’il n’est pas clairement établi que cela fait partie des « droits intrinsèques et issus de traités », ce n’est pas nécessairement une raison pour ne pas reconnaître le bien-fondé d’une telle politique publique.

Le troisième point porte sur une question connexe : une disposition inhabituelle dans le projet de loi prévoit que, lorsqu’une Première Nation fait part au gouvernement fédéral et au gouvernement provincial de son intention d’établir un régime de jeu conformément aux dispositions sur le jeu du Code criminel, cette Première Nation est réputée ne pas faire partie de la province dans laquelle elle est située. J’ai longuement réfléchi à cette disposition. Je ne comprends pas son objectif. Ce sera peut-être expliqué en détail dans le cadre des débats au Sénat ou des discussions au comité. Il est possible qu’il y ait une très bonne raison. Cependant, l’idée qu’une Première Nation soit réputée, pour quelque raison que ce soit, ne pas faire partie de la province dans laquelle elle est située me semble un mauvais précédent.

Je passe au quatrième point. Comment les questions comme la saturation du marché seront-elles traitées et par qui? De telles stratégies touchant à l’examen des marchés existent en ce moment dans certaines provinces. Ce fait entraîne une autre question : qui seront les acteurs qui prendront ces décisions?

Il y a une autre question connexe : qui sera responsable des initiatives de jeu responsable liées à ces nouvelles possibilités afin de protéger les personnes qui pourraient être vulnérables ou être dépendantes du jeu? Dans ces circonstances en particulier, on peut s’attendre à ce que, pour être économiquement viables, les possibilités de jeu dans les réserves que le projet de loi crée devront attirer des gens de l’extérieur des réserves, que ce soit dans des emplacements de jeu en personne ou par l’intermédiaire de jeux en ligne.

(2140)

Sixièmement — nous approchons de la fin —, il y a une autre question connexe : au fil du temps, le cadre réglementaire en matière de jeux, tant pour les Premières Nations que pour les provinces, est devenu professionnel et complexe. Vu la nature diffuse des compétences en matière de jeux, ce qui est l’une des choses que causerait ce projet de loi, combinée à la pression potentielle de la concurrence sur des marchés sursaturés, un modèle de réglementation professionnel délégué aux entités mêmes qui subissent ces pressions concurrentielles peut-il être maintenu?

Septièmement, quel serait le point de vue des autorités provinciales, qui perdront une partie de leur compétence en matière de réglementation des jeux dans leurs provinces respectives et — elles n’aiment pas qu’on le leur rappelle — qui perdront probablement des recettes liées aux jeux et hériteront probablement des conséquences générées par les joueurs compulsifs?

Huitièmement, nous et les citoyens de nos provinces respectives, qu’ils soient Autochtones ou non, sommes-nous à l’aise avec l’idée d’autoriser les Premières Nations à mettre en place unilatéralement des établissements de jeux qui reverseront la totalité ou la quasi‑totalité des revenus à des Premières Nations désignées situées à proximité de marchés de jeux viables, s’éloignant ainsi des approches plus distributives et communautaires adoptées dans certaines régions, comme la mienne en Saskatchewan?

Permettez-moi de développer cette idée.

En Saskatchewan, la Fédération des nations autochtones souveraines et la province ont conclu un accord de partage du marché et des revenus des jeux de hasard. Après quelques ajustements et des investissements locaux et communautaires, la part des revenus de la Fédération est répartie proportionnellement entre toutes les Premières Nations de la province, qu’elles se trouvent à proximité d’un marché de jeux de hasard viable ou dans des régions beaucoup plus éloignées de la province où une entreprise de jeux de hasard viable ne pourrait jamais exister. Ces revenus, qui se chiffrent à des centaines de milliers de dollars chaque année pour ces Premières Nations, sont là pour répondre aux besoins économiques et sociaux de tous les bénéficiaires des Premières Nations.

Le modèle proposé dans le projet de loi prévoit que les revenus de la province seront concentrés dans les Premières Nations les plus proches des marchés des jeux de hasard, les plus à même d’attirer une clientèle et des investissements. Ce ne sont pas forcément de mauvaises choses; au contraire, ce sont peut-être de bonnes choses. Cependant, elles risquent d’avoir un coût, du moins dans ma province, pour l’aide financière qui est maintenant versée aux communautés qui ne pourraient jamais appuyer une initiative de jeux de hasard par elles-mêmes. Si je peux m’exprimer ainsi, il s’agit d’un abandon du modèle de jeux de hasard de la Saskatchewan au profit du modèle de jeux de hasard de Phoenix.

Il est vrai que je dois être conscient du parti pris que j’ai en faveur du modèle de jeux des Premières Nations que j’ai contribué à concevoir. Si nous prenons vraiment au sérieux la réconciliation économique avec les Premières Nations, rien ne devrait être exclu, y compris les occasions qui sont créées grâce aux jeux.

Même si ce qui est proposé dans le projet de loi est la meilleure approche, cette dernière doit tout de même être examinée attentivement par le comité. Il se peut que de nombreuses autres questions se posent. J’espère que, quand le projet de loi sera renvoyé au comité — ce que j’appuie —, des témoins seront invités pour éclairer le comité sur les questions que j’ai soulevées et sur d’autres questions soulevées par d’autres sénateurs.

Merci.

Des voix : Bravo!

(Le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le cadre régissant les relations entre le Canada et Taiwan

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Michael L. MacDonald propose que le projet de loi S-277, Loi concernant un cadre visant à renforcer les relations entre le Canada et Taiwan, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre la parole aujourd’hui pour entamer les discussions sur le projet de loi S‑277, Loi sur le cadre régissant les relations entre le Canada et Taiwan, que j’ai déposé au Sénat à la fin de l’année 2023.

Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui est une avancée importante dans nos relations avec la République de Chine, ou Taïwan, comme on l’appelle de plus en plus souvent, en établissant un cadre général plus clair et plus solide pour notre politique étrangère afin de mieux refléter et prendre en compte les réalités de notre partenariat grandissant.

Il n’y a rien de particulièrement controversé au sujet de ce projet de loi, à moins d’être un partisan de Pékin qui insiste que Taïwan n’a pas le droit souverain de décider de son propre avenir. L’existence de Taïwan en tant que nation autodidacte, indépendante, autonome et démocratique est depuis longtemps une évidence. C’est une réalité qui devrait rallier toutes les démocraties et les partisans de la liberté. Taïwan est un pays libre qui devrait rester libre de choisir son propre avenir et son propre gouvernement.

Une voix : Bravo!

Le sénateur MacDonald : Le Canada entretient avec Taïwan des relations économiques mutuellement bénéfiques qui ne cessent de se développer. Aujourd’hui, Taïwan est le douzième partenaire commercial du Canada, son sixième partenaire en Asie, et le total des échanges bilatéraux annuels dépasse désormais les 12 milliards de dollars. En cette troisième décennie du XXIe siècle, il est tout simplement juste et approprié d’officialiser et de normaliser autant que possible les relations mutuelles entre les deux pays.

Il est opportun que le Canada prenne des mesures pour moderniser ses relations avec Taïwan, notamment en raison de l’évolution des relations entre Taïwan et notre grand ami, voisin, partenaire et allié, les États‑Unis d’Amérique.

Les États‑Unis ont fait preuve d’un grand leadership pour assurer le maintien de l’indépendance de Taïwan, et j’applaudis toutes les administrations américaines depuis Harry Truman pour le rôle décisif que leurs promesses de sécurité pour Taïwan ont joué dans l’établissement de cette grande démocratie de la zone pacifique.

Avant de parler des initiatives américaines concernant Taïwan, de mon projet de loi et de ce que nous devrions faire en tant que Canadiens, je crois qu’il convient d’examiner l’histoire sociale et politique de cette nation insulaire subtropicale unique du Pacifique située à 100 milles de la côte continentale de l’Asie du Sud‑Est.

L’histoire est importante et instructive, mais il est devenu douloureusement évident que de nombreux Canadiens connaissent mal la véritable histoire de leur pays, une histoire essentiellement noble et distinguée qui, malheureusement, a été systématiquement dénaturée et calomniée sous le régime actuellement en place à Ottawa.

Nos institutions, en particulier nos écoles et nos universités, sans parler de Parcs Canada et de notre soi-disant ministère du Patrimoine canadien, ne servent pas les intérêts des Canadiens en ne respectant pas l’histoire de notre pays et en véhiculant tant de faussetés à son sujet.

Pour avoir de véritables connaissances, il faut connaître la véritable histoire. Étant donné que tant de Canadiens semblent ne plus apprécier notre propre histoire, je suis sûr que leur connaissance de l’histoire de Taïwan est encore plus faible.

Cependant, je pense que si nous comprenons mieux l’histoire et l’évolution politique de Taïwan, nous comprendrons pourquoi Taïwan mérite notre soutien continu, pourquoi elle a le droit à l’autodétermination et pourquoi nous devrions soutenir le projet de loi à l’étude.

Taïwan est entrée dans la conscience du monde occidental lorsqu’elle a été repérée en 1517 par des marins portugais, qui l’ont inscrite sur leurs cartes de navigation sous le nom d’Ilha Formosa, ce qui signifie « la belle île » en portugais.

Bien que les Portugais ne s’y soient jamais installés, ils lui ont donné un nom qui a perduré pendant des siècles, et ce, à juste titre. En effet, ayant visité Taïwan à quatre reprises, je peux assurer à tous ceux qui n’y sont pas allés que c’est vraiment un bel endroit.

Sur le plan topographique, du nord au sud, environ deux tiers de l’île est montagneux et domine le côté est. L’autre tiers, les plaines fertiles de l’Ouest, abrite environ 90 % de la population.

Au début du XVIIe siècle, Formose avait une population estimée à plus de 100 000 personnes originaires de l’île. Les Espagnols ont tenté d’établir des colonies permanentes à cette époque, mais leurs efforts n’ont jamais abouti. Ils ont finalement été expulsés par les Néerlandais, qui avaient leurs propres ambitions.

C’est à cette époque que des Chinois hans du continent ont émigré à Taïwan, nombre d’entre eux amenés par les Néerlandais en tant qu’ouvriers. La Hollande s’est retirée de l’île en 1660.

En 1683, l’île a été officiellement annexée par la Chine continentale et est passée sous le contrôle de la dynastie Qing, la dernière des nombreuses dynasties royales qui ont régné sur la Chine continentale de 2100 avant Jésus‑Christ à 1911, une période de plus de 20 siècles. De la fin du XVIIe siècle à la fin du XIXe siècle, Formose a été de plus en plus peuplée par des Chinois hans venus du continent.

Après la fin de la première guerre sino-japonaise en 1895, la souveraineté reconnue de la Chine continentale sur Taïwan a pris fin avec la signature du traité de Shimonoseki, par lequel la Chine a cédé la péninsule coréenne et Taïwan au Japon « à perpétuité ».

(2150)

J’espère que nous comprenons tous ce que signifie l’expression « à perpétuité », bien que la dictature communiste de Pékin ignore cette déclaration et cette obligation juridiques de manière égoïste et opportuniste.

En 1911, après 10 ans de soulèvements, l’histoire de la Chine s’est irrémédiablement transformée avec l’effondrement et le renversement de la dynastie Qing et l’établissement de la République de Chine sous la direction de Sun Yat-sen, universellement considéré comme le fondateur de la Chine post‑impériale, tant sur le continent qu’à Taïwan.

Malheureusement, Sun Yat-sen est mort relativement jeune, une dizaine d’années plus tard, et ce fut le début de près de 40 ans de conflits perpétuels en Chine continentale entre les républicains et les communistes. Bien que cela fasse maintenant 129 ans que la Chine continentale a renoncé à sa souveraineté sur Taïwan et 75 ans que les républicains y ont établi leur souveraineté, les communistes veulent toujours régler de vieux comptes. Toutefois, Taïwan a tourné la page, mettant le passé derrière elle, et Pékin devrait en faire de même.

Imaginez que la Chine ou le Japon prétendent soudainement que la Corée leur appartient aujourd’hui parce qu’ils l’ont déjà gouvernée ou qu’ils en ont revendiqué la propriété territoriale à un moment donné. Aucun pays démocratique occidental n’accepterait une telle revendication, et pour cause. La situation de Taïwan mérite les mêmes conclusions. Rappelez-vous que, de 1895 à 1945, Taïwan était légalement un territoire japonais, et que le droit, les écoles et le gouvernement japonais ont dominé l’île pendant cette période.

Au cours de cette période, le Japon a intensifié ses efforts en vue de créer une société japonaise, mais avec peu de réussite dans l’ensemble. Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement républicain de la Chine a pris le contrôle de Taïwan et a déclaré l’île province du continent. Cependant, Taïwan était un territoire souverain du Japon depuis 1895; elle n’avait pas été conquise par l’expansion du Japon impérial pendant la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, la revendication de souveraineté sur Taïwan par la Chine continentale n’a jamais été appuyée en droit international par ses alliés, quelles que soient les forces politiques qui surveillaient le gouvernement de la Chine continentale au début de l’après-guerre, entre 1945 et 1950.

Malheureusement, la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie du Sud-Est a également signifié la reprise de la guerre civile en Chine entre les forces anticommunistes du Kuomintang, sous le général Chiang, et les communistes, sous Mao, ce qui a mené au renvoi du gouvernement nationaliste à Taïwan en 1949 et à l’établissement de la dictature communiste sur le continent.

En 1950, la guerre de Corée a commencé. La Corée a fini par être divisée principalement en raison du soutien de Pékin aux communistes en Corée du Nord. Des Canadiens se sont battus et sont morts dans cette guerre pour sauver la liberté en Corée, comme ils l’ont fait à Hong Kong.

Si vous avez l’occasion d’aller en Corée, je vous recommande vivement de visiter le cimetière commémoratif des Nations unies situé à Busan, où sont enterrés les militaires canadiens morts au combat. C’est une magnifique oasis au milieu de cette grande ville portuaire très animée, et le respect des Coréens à l’égard des sacrifices que d’autres personnes ont faits pour eux est tout à fait évident. Comme 70 ans ont passé, il se peut que le souvenir du rôle qu’a joué le Canada dans cette guerre s’estompe, mais je peux vous assurer que les Coréens n’oublient pas notre sacrifice.

L’Asie du Sud-Est actuelle a été en grande partie forgée pendant cette période de quatre ans entre la prise de contrôle de la Chine par les communistes en 1949 et la fin de la guerre de Corée en 1953. À l’heure actuelle, il y a encore un État voyou au pouvoir héréditaire en Corée du Nord et une dictature communiste à Pékin. Ces deux États policiers, ces deux dictatures, aiment menacer, intimider et brimer tant leurs propres citoyens que d’autres pays sans vraiment faire de distinction.

On estime que, sous le règne de terreur de Mao, de 40 à 80 millions de personnes sont mortes à cause de la faim, d’exécutions massives et de travaux forcés dans les prisons. L’assassinat de millions de personnes en Corée du Nord par des moyens similaires est également bien documenté.

En fin de compte, que peut-on apprendre de ce qui s’est passé dans cette région du globe, au cours des 75 dernières années? Eh bien, en 1952, la dictature de Pékin a également envoyé des troupes au Tibet et elle a annexé le pays contre la volonté du peuple tibétain. Bien que les communistes la désignent toujours comme une « région autonome », ils ont complètement aboli le gouvernement tibétain en 1959.

Cela fait écho à l’une des conduites dont le monde entier a été témoin à la fin des années 1930, avant l’invasion de la Pologne, quand des troupes ont envahi l’Autriche et la Tchécoslovaquie et annexé ces nations indépendantes. C’était inacceptable à l’époque, tout comme en 1952 au Tibet, et c’est toujours inacceptable aujourd’hui.

Les communistes ont détruit plus de 6 000 monastères au cours du Grand bond en avant de Mao, détruisant le magnifique patrimoine culturel et architectural du Tibet et tuant près de 1 million de Tibétains en cours de route. Ils auraient probablement aussi détruit la majorité de leurs propres trésors culturels, sauf que les nationalistes ont eu la prévoyance de les envoyer à Taïwan, en 1949. Ils sont d’ailleurs exposés cycliquement et en permanence au Musée national de Taïwan — un arrêt incontournable lorsqu’on visite ce pays pour la première fois.

Par ailleurs, en 1952, le traité de San Francisco a mis fin à l’occupation du Japon d’après-guerre par les Alliés et a rendu le contrôle et la souveraineté au peuple et au gouvernement du Japon. Il est important de noter que, dans ce traité, le Japon a renoncé à toute revendication légale sur Taïwan. Après cette renonciation, Taïwan s’est retrouvée seule, comme une enfant orpheline, pendant trois ans. Mais cela fait maintenant près de 75 ans qu’elle est seule, et l’enfant orpheline a grandi.

D’autres changements politiques importants sont intervenus plus tard dans les années 1990, lorsque la colonie britannique de Hong Kong et la colonie portugaise de Macao sont passées sous le contrôle de Pékin, selon la formule « un pays, deux systèmes », par laquelle les communistes promettaient une large autonomie à ces deux colonies prospères et florissantes. Les développements ultérieurs, en particulier à Hong Kong, ont mis en évidence la duplicité et le manque de sincérité inhérents aux relations avec les dirigeants actuels de la dictature communiste.

La promesse d’un Pékin plus raisonnable, représentée par Deng Xioping et Zhao Ziyang dans les années 1980, a été perdue et remplacée par un autoritarisme mesquin et oppressif. N’est-il pas révélateur que Pékin attende du Royaume-Uni et du Portugal qu’ils respectent leurs obligations découlant de traités concernant Hong Kong et Macao, alors qu’ils refusent d’honorer leurs propres promesses? Le Pékin communiste n’a pas d’honneur. Cependant, Taïwan, la Corée du Sud et le Japon ont tous connu de magnifiques transformations sociale, économique et politique depuis le début des années 1950. Aucun de ces pays n’avait de racines démocratiques. En effet, la Corée et Taïwan ont été pendant des siècles coincés entre les ambitions de la Chine impériale et du Japon impérial. Mais ces trois pays sont devenus des nations modernes et prospères du monde industrialisé, dotées d’une économie dynamique et d’un niveau de vie élevé. Ce sont de grands amis et alliés du monde occidental. En fait, ils font tous partie intégrante du monde occidental.

Ces trois nations sont libres et prospères, un archipel de démocratie juste au-delà du continent où se trouvent la Chine communiste, la Corée du Nord et la Russie. Dans une partie du monde où la liberté est encore refusée à tant de personnes, elles sont un exemple de ce qui peut être accompli lorsque les valeurs démocratiques sont sincèrement recherchées et adoptées.

L’organisme sans but lucratif étatsunien Freedom House — fondé en 1941 sous la présidence d’honneur du républicain Wendell Willkie et de la démocrate Eleanor Roosevelt — est mieux connu pour sa défense de causes politiques qui ont trait notamment à la démocratie, à la liberté politique et aux droits de la personne. Cet organisme se base sur la conviction profonde qu’on peut promouvoir la liberté dans les pays démocratiques où les gouvernements doivent rendre des comptes à la population. Selon son système de cote de réputation, Taïwan obtient une note de 94 % au chapitre de la liberté. C’est une note semblable à celle du Canada et du Japon et même plus élevée que celle obtenue par les États‑Unis et par une grande partie de l’Europe. En revanche, la Russie, la Chine communiste et la Corée du Nord obtiennent respectivement les notes de 13 %, de 9 % et de 3 %.

Avant d’aller plus loin, je tiens à mentionner que dans mon discours d’aujourd’hui, lorsque je parle de l’attitude de la Chine continentale à l’égard de Taïwan, je fais délibérément référence aux actions des pouvoirs autoritaires de Pékin — le Parti communiste chinois et ses dirigeants — et non au peuple chinois en général. Cela n’a rien à voir avec le peuple de cette grande et ancienne civilisation, qui se trouve piégé dans son propre pays par cette dictature monolithique de Pékin. Il n’en reste pas moins que depuis 1949, Pékin n’a joué absolument aucun rôle politique ou économique dans l’évolution et le développement de la Taïwan moderne. La suzeraineté régionale sur Taïwan doit être considérée comme une chose qu’il vaut mieux laisser dans les livres d’histoire, une circonstance qui disparaît rapidement et à juste titre dans le rétroviseur.

(2200)

Je pense simplement qu’il est triste et malheureux pour la paix et la stabilité du monde que le gouvernement de Pékin soit menaçant et que le monde occidental ait de plus en plus de mal à lui faire confiance. Pendant un certain temps, à la fin du XXe siècle, les relations ont semblé s’améliorer, mais elles se sont détériorées dernièrement, et la dictature communiste en est responsable.

Si vous voulez imaginer à quoi pourrait ressembler une Chine démocratique, il vous suffit de regarder Taïwan. Je n’ai pas trouvé de meilleure illustration. La Taïwan moderne compte aujourd’hui environ 96 % de Chinois appartenant à l’ethnie han, ce qui, fait intéressant, la rend ethniquement plus chinoise que la Chine continentale elle-même, qui compte un peu plus de 91 % de Chinois appartenant à l’ethnie han et qui est beaucoup plus diversifiée sur le plan culturel.

Alors que la croissance et l’économie de la Chine s’essoufflent, celles de Taïwan restent fortes, sa croissance ayant dépassé celle de la Chine au cours des dernières années. Je pense que Pékin éprouve un certain ressentiment à l’égard de la grande réussite sociale et économique qui se manifeste aujourd’hui à Taïwan. Nous sommes bien conscients qu’ils la convoitent.

Le monde, y compris les habitants de la Chine continentale, constate également la réussite de l’État démocratique chinois de Taïwan, et Pékin craint que la population de la Chine continentale n’en prenne de plus en plus conscience. Si Taïwan peut faire foi du potentiel de la Chine, et je crois que c’est le cas, un gouvernement démocratiquement élu en Chine pourrait accomplir de grandes choses pour ses citoyens et pour le monde. Elle pourrait être une force universelle pour le bien. J’espère que cela se produira de mon vivant, de notre vivant à tous.

Entretemps, Taïwan reste un grand ami, un allié et un partenaire commercial du Canada. En outre, Taïwan ne vole pas notre technologie et ne détruit pas de grandes entreprises canadiennes comme Nortel, ne pirate pas les communications des députés canadiens, ne s’ingère pas dans les élections canadiennes, n’intimide pas sa diaspora au Canada en la menaçant et en persécutant sa parenté restée à Taïwan. Elle n’enlève pas non plus des citoyens canadiens pour les prendre en otage.

Pourtant, en dépit de tous ses progrès et de son autonomie, Taïwan se trouve toujours injustement marginalisée par la communauté internationale. Comment et pourquoi cela se produit‑il? Comme on pouvait s’y attendre, la situation tire ses origines des Nations unies. En 1971, les Nations unies, qui étaient de plus en plus activistes et anti-occidentales, ont voté en faveur du transfert du siège réservé à la Chine de la République de Chine, c’est-à-dire Taïwan, à la République populaire de Chine sur le continent. Pour être juste, comme la République populaire de Chine dirigeait la Chine continentale depuis 22 ans à cette époque, sa souveraineté était fonctionnellement indéniable. Toutefois, cela soulève la question suivante : pourquoi ignore-t-on alors près de 75 ans de souveraineté nationale ininterrompue à Taïwan? La souveraineté de Taïwan est bien établie par tout critère raisonnable en vertu du droit international.

Lorsque le Canada a tenu les Jeux olympiques en 1976, le gouvernement Trudeau, qui avait rompu ses relations diplomatiques avec Taïwan avant même que les Nations unies ne le fassent, a refusé de laisser Taïwan participer sous son nom légal de République de Chine, se rangeant ainsi du côté des Nations unies et de la Chine plutôt que du côté de nos alliés américains et taïwanais. Ce n’était pas la bonne chose à faire. Apparemment, l’amour de la dictature de Pékin est un trait de caractère de la famille Trudeau.

Cependant, lorsque les États-Unis ont finalement reconnu la République populaire de Chine comme le représentant légitime de la Chine en 1979, ils ne voulaient pas isoler complètement Taïwan sur la scène mondiale. Les Américains ont fait preuve de courage et de leadership en adoptant simultanément la loi sur les relations avec Taiwan, une loi qui a mis en place une politique délibérément ambiguë envers Taïwan afin de préserver la stabilité politique dans la région. Bref, ils n’étaient pas prêts à l’abandonner socialement ou économiquement ni à voir son existence paisible compromise.

De nos jours, la relation de travail entre le Canada et Taïwan ressemble beaucoup à celle entre les États-Unis et Taïwan, à l’exception de la présence militaire notable de la 7e flotte américaine dans le Sud-Ouest du Pacifique. Cependant, nous n’avons pas de loi équivalente, ni même de simulacre, pour renforcer notre relation avec Taïwan et réitérer notre engagement à l’égard de sa capacité à choisir sa propre voie. Le temps est venu de légiférer afin d’améliorer nos relations bilatérales avec Taïwan. Non seulement il s’agit de la bonne chose à faire, mais les sondages indiquent que les Canadiens seraient d’accord pour que nous renforcions cette relation.

Pendant les quatre premières décennies sous sa propre administration, Taïwan a connu une existence difficile. C’était un État à parti unique soumis à la loi martiale. Je ne minimise pas les excès de l’État à cette époque, je ne les excuse pas et je ne prétends pas qu’ils n’ont pas existé, mais regardez ce qui est apparu au XXIe siècle. Le pays qui a été créé au cours de notre vie est une Taïwan qui mérite d’être célébrée et imitée. Aujourd’hui, Taïwan est une démocratie multipartite et un pays prospère et développé ayant un taux d’alphabétisation de plus de 99 %, soit la population la plus alphabétisée au monde.

En tant que cheffe de file mondiale dans la production de semi‑conducteurs, Taïwan est très importante sur le plan technologique pour la société occidentale. Taïwan est une société avancée selon toutes les mesures du progrès social, et la force et la vitalité de ses établissements médicaux, de son secteur des transports, de ses établissements d’enseignement et de ses institutions scientifiques sont sans égales.

Taïwan est également une cheffe de file régionale en matière de droits individuels, et une grande partie de ses progrès est attribuable aux libertés qu’elle a mises à profit : la liberté de parole, la liberté d’expression, la liberté de se réunir, la liberté de la presse, la liberté économique et la liberté de choisir ceux qui les gouvernent.

Je crois qu’il y a plusieurs bonnes raisons pour lesquelles la situation actuelle exige que le Canada renforce ses liens avec Taïwan à l’aide d’une mesure législative qui reflète l’approche proactive adoptée par les législateurs des États-Unis, du Royaume‑Uni et d’autres démocraties aux vues similaires ces dernières années pour renforcer et moderniser les relations.

D’abord, à cet égard, le Congrès américain a adopté une série de mesures législatives au cours des dernières années en ce qui concerne les relations avec Taïwan, y compris l’adoption de plusieurs lois, notamment l’initiative États-Unis-Taiwan sur la première loi de mise en œuvre de l’accord commercial du XXIe siècle de 2023; le projet de loi ordonnant au secrétaire d’État d’élaborer une stratégie visant à faire en sorte que Taïwan retrouve le statut d’observateur au sein de l’Organisation mondiale de la santé, et à d’autres fins, en 2022; l’initiative internationale de protection et de renforcement des alliés de Taïwan de 2019; et, enfin, en 2018, l’adoption de la loi sur les voyages à Taïwan, encourageant les visites bilatérales par des représentants de tous les échelons.

De nombreuses autres initiatives ont été entreprises ou font actuellement l’objet d’un examen par le Congrès, y compris la loi de 2023 sur le conflit de dissuasion à l’égard de Taïwan; la loi de 2023 sur la protection de Taïwan, qui a été adoptée; la loi de 2023 sur la non-discrimination de Taïwan concernant son inclusion au sein du Fonds monétaire international, qui a été adoptée; un projet de loi modifiant la loi sur l’assurance de Taïwan, qui a été adoptée; et la loi de 2023 sur la solidarité internationale à l’égard de Taïwan, qui a également été adoptée par le Congrès américain.

Comme vous pouvez le constater, les législateurs aux États-Unis sont exceptionnellement proactifs pour moderniser leurs politiques étrangères relatives à Taïwan. Je félicite les Américains pour leur prévoyance, leur loyauté et leur engagement.

De même, les commissions parlementaires du Royaume-Uni ont étudié la situation dans l’Indo-Pacifique et demandent de plus en plus à leur gouvernement de renforcer les relations avec Taipei. La commission de la défense de la Chambre des communes du Royaume-Uni a publié un rapport pour 2023, intitulé UK Defence and the Indo-Pacific: Government Response to the Committee’s Eleventh Report of Session 2022–23, qui exhorte le gouvernement à se préparer à une série d’actions de la Chine à l’égard de Taïwan.

Dans son rapport, la commission a déclaré que si l’Indo-Pacifique est une région économiquement fertile, elle est également un creuset essentiel de la concurrence géopolitique entre la Chine et l’Occident, la mer de Chine méridionale et Taïwan étant les points de friction les plus préoccupants. Le rapport indique :

[...] Il semble que la Chine ait l’intention de confronter Taïwan, que ce soit par une action militaire directe ou par des attaques dans la « zone grise » dans les années à venir. Tout conflit à Taïwan aura des conséquences redoutables dans le monde entier et mettra en péril l’ordre international fondé sur des règles [...]

De même, la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes du Royaume-Uni a également publié un rapport en 2023 qui accorde une attention particulière aux relations entre le Royaume-Uni et Taïwan. Le rapport, intitulé Tilting Horizons : the Integrated Review of the Indo-Pacific, indique :

[...] L’accent mis sur Taïwan par notre commission reflète notre conviction résolue de l’importance de protéger le droit à l’autodétermination et de choisir son propre gouvernement, sans menace ni coercition [...]

(2210)

Le rapport dit ensuite ceci :

Taïwan est déjà un pays indépendant, sous le nom de République populaire de Chine. Taïwan possède toutes les qualités requises pour un État, y compris une population permanente, un territoire défini, un gouvernement et la capacité d’établir des relations avec d’autres États; il ne lui manque qu’une reconnaissance accrue à l’échelle internationale.

Le rapport fournit également une longue liste de recommandations, y compris : que le gouvernement encourage les visites ministérielles au Royaume-Uni et à Taïwan; que l’on appuie la campagne du Royaume-Uni pour que Taïwan soit incluse dans l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, mieux connu sous le nom de PTPGP; qu’il soit mieux établi que la politique d’une seule Chine adoptée par le Royaume-Uni, à l’instar de celle du Canada, n’est pas la même que celle adoptée par la Chine, une reconnaissance qui empêcherait les décideurs de se montrer trop prudents dans leurs interactions avec les représentants taïwanais; que le Royaume-Uni renforce ses efforts de coopération actuels avec Taïwan; que le Royaume-Uni adopte une politique efficace de diplomatie dissuasive pour contribuer à la protection du droit à l’autodétermination du peuple de Taïwan; que le Royaume‑Uni favorise davantage les investissements dans les industries de Taïwan; et, enfin, que le Royaume-Uni insiste pour que l’on inclue Taïwan au sein d’organismes internationaux, y compris l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Agence internationale de l’énergie et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, dans l’intérêt de tous les pays.

Je vous présente ces initiatives récentes prises par des législateurs aux États-Unis et au Royaume-Uni comme un exemple des efforts proactifs entrepris dans le monde entier par des démocraties aux vues similaires pour renforcer et moderniser les relations avec Taïwan.

Les Américains continuent de faire preuve d’un grand leadership relativement à cet état insulaire, et notre approche devrait autant que possible leur apporter un soutien.

J’estime, chers collègues, que le projet de loi S-277 est conforme aux efforts de maintien et de renforcement d’une relation mutuellement bénéfique.

Une autre raison de nous rapprocher de Taïwan, c’est la précieuse relation commerciale bilatérale entre le Canada et cet État, dont l’épanouissement profiterait à nos deux pays. Je peux également attester que, lors de mes visites à Taïwan, je vois les valeurs canadiennes se refléter dans la société taïwanaise et je pense que la plupart des Canadiens ressentiraient la même chose après avoir passé un peu de temps dans ce pays. C’est un pays formidable. Taipei, la capitale, est l’une des grandes villes les plus sûres au monde, un endroit très accueillant et agréable. Je ressens toujours une affinité réelle avec ce pays lorsque j’y suis. Les Taïwanais traitent bien leurs amis et leurs alliés. Ils apprécient leurs amis.

Malheureusement, le comportement de plus en plus provocateur de Pékin à l’égard de Taïwan, y compris l’intimidation militaire, n’est pas justifié, mais exige que ceux qui veulent la paix et la stabilité dans la région signalent que Taïwan n’est pas seule au monde. La création et la militarisation d’îles artificielles dans la région et l’organisation manifeste d’exercices militaires à proximité de Taïwan, y compris le franchissement délibéré de la ligne médiane du détroit de Taïwan, sont des exemples clairs de provocations diplomatiques de la part de la dictature communiste qui sont devenues beaucoup trop courantes ces dernières années.

Taïwan se fait constamment intimider, mais il est clair qu’elle ne disparaîtra pas. Son peuple est courageux, résistant et déterminé à choisir son propre avenir, mais elle a besoin du soutien de ses amis et elle le mérite.

En réalité, la relation bilatérale actuelle ne favorise pas la pleine réalisation du partenariat. Elle ne tient pas compte des réalités des relations actuelles que nous, ainsi que la plupart des démocraties occidentales modernes, entretenons avec Taïwan.

C’est pourquoi le projet de loi S-277 codifie en termes clairs et directs la politique du gouvernement du Canada visant à préserver et à promouvoir des relations étroites entre le peuple canadien et le peuple taïwanais, dans les domaines économique, culturel et juridique.

Je tiens à souligner une nouvelle fois que ce projet de loi n’est en aucun cas un document radical. Il ne demande pas la reconnaissance de Taïwan en tant qu’État souverain et ne modifie pas non plus le statu quo dans nos relations avec Pékin, de sorte qu’il est conforme à la politique d’une seule Chine menée par le Canada. Le projet de loi stipule explicitement que le Canada doit mener ses relations étrangères en se fondant sur le fait que la paix et la stabilité dans la région indo-pacifique sont dans l’intérêt politique, sécuritaire et économique du Canada et constituent des questions d’intérêt international. La paix et la stabilité sont dans l’intérêt de tous. La meilleure façon de protéger le statu quo consiste à s’assurer que les relations avec Taïwan sont solides et durables et que l’indépendance de Taïwan est respectée et défendue.

Bien que notre politique d’une seule Chine reconnaisse la République populaire de Chine comme le seul gouvernement de la Chine, elle ne fait que prendre acte de la revendication de la République populaire de Chine selon laquelle Taïwan fait partie de la Chine. Elle n’accepte ni ne soutient la position de Pékin, pas plus que nos alliés les plus proches.

Telle a toujours été notre position. Elle doit rester ainsi. Comme l’ont déclaré les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada devant les comités parlementaires, notre politique d’une seule Chine est délibérément souple et stratégiquement ambiguë afin de permettre la poursuite de relations non officielles, du commerce et des investissements avec le peuple taïwanais.

Néanmoins, je pense que notre politique étrangère doit reconnaître la nouvelle réalité, à savoir que l’État de Taïwan est devenu l’un nos partenaires commerciaux à la croissance la plus rapide, qu’il fait partie des plus grandes économies du monde et qu’il est un allié d’une importance stratégique considérable pour le Canada et ses alliés dans la région indopacifique. Il est grand temps d’adopter une politique étrangère qui nous permettra d’exprimer clairement notre soutien à nos alliés, en particulier face à des manifestations aussi flagrantes d’intimidation et de coercition.

Je ne vais pas m’aventurer à commenter plus longuement la position de Pékin sur Taïwan; ce n’est pas là l’objectif du projet de loi. Toutefois, il faut reconnaître que la Chine a déclaré ouvertement qu’elle n’écarterait pas la possibilité de recourir à la force pour réunifier le pays ou annexer Taïwan. Il est essentiel que l’Occident démocratique traite ces menaces illégitimes comme des provocations inutiles et inacceptables.

Honorables sénateurs, l’autodétermination d’une nation n’est pas une question d’opinion subjective. C’est un droit et un principe fondamental du droit international. Il est reconnu dans l’article 1 de la Charte des Nations unies.

Bien que le Canada, et une grande partie de la communauté internationale n’aient pas reconnu Taïwan comme un État souverain, nous devons certainement accepter et soutenir son droit à l’autodétermination.

Dans ce contexte, et dans l’intérêt de la paix et de la sécurité, le projet de loi S-277 précise que le Canada considérera tout effort visant à déterminer l’avenir de Taïwan par des moyens non pacifiques, ou au moyen de boycottages ou d’embargos, comme une menace à la paix et à la sécurité de la région indopacifique et comme très préoccupant pour le Canada.

En outre, bien que Taïwan s’associe déjà régulièrement à des alliés tels que les États-Unis et le Canada dans le cadre d’opérations de sécurité, le projet de loi propose que le Canada continue de favoriser une coopération concrète en matière de sécurité et de défense entre le Canada et Taïwan, notamment en appuyant la participation de Taïwan aux dialogues sur la sécurité et aux exercices militaires dans la région.

Le projet de loi propose de déclarer que le gouvernement du Canada soutient la participation de Taïwan aux organisations internationales multilatérales, notamment l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation de l’aviation civile internationale et Interpol, et d’encourager d’autres États et organisations non gouvernementales à soutenir cet objectif de façon que Taïwan puisse jouer un rôle correspondant à sa position dans la région indopacifique. Taïwan a une contribution à apporter qui améliorera les choses au sein de ces organisations internationales, et il est certes temps qu’elle y participe pleinement.

En outre, le projet de loi charge le gouvernement de soutenir la participation de Taïwan aux accords commerciaux internationaux, notamment l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste.

Enfin, le projet de loi contient des dispositions supplémentaires qui visent à renforcer la coopération internationale entre le Canada et Taïwan, notamment en soustrayant le président ou les hauts fonctionnaires de Taïwan à l’exigence d’obtenir un visa lorsque le but premier de leur visite ne s’inscrit pas dans le cadre d’une visite officielle. Cette mesure permettra simplement de multiplier les possibilités de « diplomatie d’escale ».

Le projet de loi permettra aussi de désigner le bureau du représentant du gouvernement de Taïwan au Canada comme le Bureau du représentant de Taïwan et de désigner le Bureau commercial du Canada à Taipei comme le Bureau du représentant du Canada à Taïwan.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-277 propose des dispositions rédigées en langage clair relatives à des initiatives pleines de gros bon sens pour renforcer les relations entre le Canada et l’un de nos principaux partenaires commerciaux et alliés stratégiques dans la région indo-pacifique. Cette initiative est pleinement soutenue par les représentants de Taipei ici, à Ottawa.

Comme je l’ai dit, les déclarations de politiques énumérées dans le projet de loi ne sont ni radicales ni nouvelles dans leur reconnaissance de la nécessité de renforcer les relations.

Outre les efforts, dont j’ai parlé, qui sont déployés dans d’autres démocraties aux vues similaires, en mars 2023, le Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine de la Chambre des communes a publié un rapport intérimaire intitulé Le Canada et Taïwan : une solide relation en des temps agités.

(2220)

Il s’agit d’un excellent rapport et je félicite les membres du comité spécial pour leur initiative opportune. Le rapport présente finalement 12 recommandations relatives aux relations entre le Canada et Taïwan. Il indique :

Le comportement agressif de la [République populaire de Chine] à l’égard de Taïwan rappelle avec brutalité que le statu quo pacifique entre les deux acteurs reste précaire.

Il conclut que, dans un contexte où la République populaire de Chine se montre de plus en plus agressive, il est important de favoriser les échanges entre le Canada et Taïwan afin d’assurer le maintien de la paix et de la stabilité.

Pour des raisons de temps, je ne citerai pas toutes les recommandations, mais parmi ses conclusions, le comité spécial recommande :

Que le gouvernement du Canada offre et déclare son engagement clair et inébranlable [à ce] que l’avenir de Taïwan doi[ve] être décidé uniquement par le peuple de Taïwan.

En outre, le rapport recommande que « le gouvernement du Canada appuie le renforcement des relations entre le Canada et Taïwan en encourageant les visites de délégations parlementaires ».

Il recommande également :

Que le gouvernement du Canada se penche sérieusement sur les retombées positives des visites diplomatiques à Taïwan.

Que le gouvernement du Canada collabore avec ses alliés afin de favoriser les possibilités d’une véritable participation de Taïwan aux organisations multilatérales [...]

Que le gouvernement du Canada cherche à bénéficier de l’expérience acquise par Taïwan dans la lutte contre la désinformation et l’ingérence étrangère [...]

Que le gouvernement du Canada explore des façons possibles de collaborer avec l’industrie taïwanaise des semiconducteurs afin d’encourager l’innovation au Canada.

[Qu’]Affaires mondiales Canada travaille [...] pour promouvoir le rôle du Canada en tant que fournisseur clé de minéraux essentiels à des partenaires aux valeurs semblables, y compris Taïwan [...]

Que le gouvernement du Canada donne priorité à l’examen de la demande de Taïwan d’adhérer à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste.

Le rapport recommande par ailleurs ceci :

Que le gouvernement du Canada collabore avec ses alliés, y compris le G7, afin de faire connaître son appui au maintien du statu quo pacifique dans le détroit de Taïwan et d’envisager l’adoption de pratiques exemplaires sur la coopération avec Taïwan concernant la paix et la sécurité.

Et il recommande aussi :

Que le gouvernement du Canada, en réponse aux exercices militaires dans le détroit de Taïwan, demande publiquement à la République populaire de Chine de s’abstenir d’intensifier ses menaces militaires.

Ce que propose ce projet de loi n’a rien de nouveau ni de déraisonnable. Il s’agit, à bien des égards, de propositions qui correspondent aux recommandations d’un comité parlementaire, un comité qui a entendu de nombreux experts du domaine. Je dirais que les initiatives stratégiques proposées dans ce projet de loi sont cohérentes avec les valeurs de notre pays.

Le projet de loi est également conforme à la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique et il s’appuie sur celle-ci, qui précise que le Canada doit continuer à travailler avec ses partenaires pour repousser toute action unilatérale menaçant la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan, et qu’il doit resserrer sa relation économique avec Taïwan ainsi que les liens entre les populations des deux pays tout en favorisant sa résilience.

Chers collègues, je suis arrivé au Sénat du Canada il y a plus de 15 ans. Au cours de ma première année ici, j’ai participé ici, sur la Colline, à la célébration de la fête nationale organisée par le Bureau économique et culturel de Taipei. La salle était aux trois quarts vide. Au cours des années suivantes, les participants se sont faits de plus en plus nombreux, et l’attachement à Taïwan est devenu de plus en plus évident.

Cette année, l’activité était bondée de parlementaires de tous les horizons politiques et d’invités soutenant Taïwan avec enthousiasme. En tant que sénateur engagé dans la promotion de la liberté et des principes démocratiques dans le monde, je dois dire que c’était un magnifique spectacle.

Les Canadiens préfèrent toujours entretenir des relations positives et mutuellement bénéfiques avec le gouvernement de Pékin, s’il en manifeste la volonté, mais celui-ci ne peut pas nous dire qui sont nos amis. C’est à nous seuls de le déterminer. À ce titre, personne au Canada ne dit que Taïwan et la Chine continentale ne peuvent pas former un seul et même pays. Nous pensons simplement que c’est aux Taïwanais de décider.

En octobre dernier, j’ai eu le privilège de diriger une délégation de sénateurs qui s’est rendue à Taïwan. Il ne s’agissait pas de ma première visite en République de Chine, mais ce l’était pour les collègues sénateurs qui m’accompagnaient, et ils ont été incontestablement émus et impressionnés par ce qu’ils ont vu et vécu. Nous avons eu d’excellentes réunions pendant près d’une semaine et nous avons terminé par un excellent dîner de travail et une discussion avec Joseph Wu, ministre des Affaires étrangères. Bien sûr, le point culminant de notre visite a été une audience d’une heure dans le bureau présidentiel avec la présidente Tsai Ing-wen. Je sais que mes collègues qui ont participé à cette audience conviendront que nous avons eu un échange merveilleux avec la présidente. Elle tenait à ce que nous disions à tous les Canadiens à quel point notre amitié est importante pour le peuple de la République de Chine.

Au cours de notre audience, j’ai également eu le privilège de présenter à la présidente une copie du projet de loi à titre de souvenir personnel.

Honorables sénateurs, il est important que le Parlement du Canada, au moyen d’un projet de loi comme celui-ci, appuie une déclaration visant à renforcer les relations entre le peuple canadien et le peuple taïwanais. C’est important pour les Taïwanais et pour les Canadiens, car le projet de loi concerne autant le Canada que Taïwan, la façon dont nous nous considérons comme un allié, comme un ami et comme un pays qui se soucie de ses amis.

Je vous demande instamment d’accorder une attention particulière à ce projet de loi. Je pense qu’il présente un cadre conforme aux conclusions d’un comité parlementaire, à notre stratégie pour l’Indo-Pacifique et à notre politique d’une seule Chine. Le Canada devrait toujours défendre les valeurs liées aux droits de la personne et aux principes démocratiques, et notre politique étrangère devrait refléter le fait que nous nous rangeons, ouvertement et sans équivoque, aux côtés des démocraties aux vues similaires aux nôtres, en particulier celles qui sont injustement menacées et intimidées.

Taïwan a connu une naissance et une enfance douloureuses en tant que nation. À partir de 1971, elle a été abandonnée et marginalisée par une grande partie de la communauté internationale, mais le peuple taïwanais a tenu bon malgré les obstacles qui se dressaient devant lui. Pratiquement livrés à eux‑mêmes, les Taïwanais ont néanmoins créé une nation prospère, démocratique et industrialisée où la primauté du droit est primordiale, et les libertés démocratiques, profondément ancrées. En bref, ils ont accompli quelque chose de très rare sur le plan politique : ils ont accepté la défaite et l’ont transformée en victoire.

Les peuples épris de liberté applaudissent partout à leur réussite, et il incombe au Canada de contribuer à faire en sorte, dans la mesure de ses possibilités réalistes, que cette nation libre, démocratique et autonome reste libre et indépendante.

Taïwan a besoin de notre soutien. Taïwan mérite notre soutien, et j’encourage tous mes collègues à soutenir le renvoi de ce projet de loi au comité dès que possible. À cette heure tardive, je vous remercie du temps et de l’attention que vous avez consacrés à cette question complexe et très importante.

Des voix : Bravo!

L’honorable Yuen Pau Woo : Sénateur MacDonald, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur MacDonald : Sénateur Woo, je suis très étonné que vous souhaitiez poser une question.

Le sénateur Woo : Est-ce un oui?

Le sénateur MacDonald : Bien sûr, allez-y.

Le sénateur Woo : Je vous remercie de promouvoir des liens plus étroits entre les habitants de Taïwan et du Canada, une initiative que j’appuie.

J’ai été frappé par la référence, dans le préambule de votre projet de loi — et à plusieurs reprises dans votre discours —, à la distinction entre la politique d’une seule Chine du Canada et le « principe d’une seule Chine » adopté par la République populaire de Chine. Cela correspond beaucoup à ce qui est connu comme le consensus de 1992 entre Pékin et Taipei, qui a été négocié entre les gouvernements de Taïwan et de la République populaire de Chine de l’époque. Cela a mené à l’épanouissement des relations de part et d’autre du détroit et à des liens plus étroits entre le continent et Taïwan.

Êtes-vous en train de proposer que le consensus de 1992 serve de base à notre poursuite de liens plus étroits entre le Canada et Taïwan?

Le sénateur MacDonald : Non, je ne pense pas avoir parlé de cela dans mon discours. Ce que je dis, c’est que nous sommes en 2024 et non en 1992, que les choses évoluent et que les habitants de Taïwan ont très clairement fait savoir qu’ils voulaient décider eux‑mêmes de leur avenir, et je pense que nous devrions les soutenir.

Le sénateur Woo : Pourtant, le préambule de votre discours fait spécifiquement référence à ce que j’interprète comme le consensus de 1992. Vous avez répété à plusieurs reprises que vous souteniez la distinction entre la politique d’une seule Chine et le principe d’une seule Chine. C’est l’essence même du consensus de 1992. Si vous souteniez cette base, cela nous aiderait à comprendre comment nous pouvons effectivement renforcer les liens entre le Canada et Taïwan d’une manière qui soit cohérente avec le principe que votre propre discours et votre propre projet de loi semblent proposer.

Le sénateur MacDonald : C’est peut-être ce que vous avez compris de mon discours, mais ce n’est certainement pas ce que mon discours disait. J’appuie le droit de Taïwan de décider de son propre avenir.

Une voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Omidvar, appuyée par l’honorable sénatrice Dasko, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-279, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (données sur les organismes de bienfaisance enregistrés).

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-279, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (données sur les organismes de bienfaisance enregistrés).

(2230)

[Traduction]

Je remercie la sénatrice Omidvar d’avoir présenté ce projet de loi qui vise à promouvoir la diversité aux échelons supérieurs des organismes du secteur caritatif canadien en pleine croissance en recueillant et en diffusant des données sur la diversité des administrateurs, des fiduciaires, des dirigeants et d’autres responsables d’organismes de bienfaisance enregistrés. Il s’agit de l’une des nombreuses recommandations formulées dans le rapport précurseur du Sénat sur le secteur caritatif à partir de 2019.

Ce n’est qu’une fois que nous aurons accès à ces données que nous pourrons brosser un tableau plus clair du degré de diversité dans le secteur caritatif. Les Canadiens seront alors mieux placés pour promouvoir, encourager et défendre davantage une plus grande diversification des dirigeants. Nous saurons où il y a des lacunes, où il y a de la place pour la croissance et où concentrer nos efforts.

Vu que les données apportent des connaissances, comment pouvons-nous améliorer le monde dans lequel nous vivons sans connaissance?

Toutefois, nous avons d’abord besoin des données.

[Français]

Si les entreprises sous réglementation fédérale doivent fournir ces données à l’Agence du revenu du Canada, je ne vois aucun inconvénient à ce que les organismes caritatifs et à but non lucratif fassent de même.

La promotion de la diversité dans le leadership des organismes caritatifs canadiens aura de nombreux effets positifs sur les millions de Canadiens qu’ils servent.

Nous sous-estimons souvent la contribution de ce secteur à notre économie. Les organismes de bienfaisance comblent souvent un vide que le gouvernement n’est pas en mesure de combler, ce qui en fait un élément essentiel du bien-être et de la prospérité de notre pays.

On estime à plus de 170 000 le nombre d’organismes de bienfaisance et d’organisations à but non lucratif enregistrés au Canada. Le secteur représente 8,7 % du PIB et emploie environ 2,5 millions de personnes. De plus, 13 millions de Canadiens environ donnent de leur temps à des organisations caritatives.

Ces chiffres sont étonnants et nous devons en être fiers.

[Traduction]

Je crois sincèrement que la diversité organisationnelle peut grandement améliorer le rendement. Lorsque les équipes de gestion et de direction des entreprises sont constituées en tenant compte de la diversité de genre et de la diversité raciale, elles sont beaucoup plus susceptibles de surpasser les équipes qui ne sont pas aussi diversifiées.

Le Canada est de plus en plus diversifié et nous avons besoin de dirigeants qui le sont tout autant pour mieux répondre aux besoins de notre population. Le sommet doit refléter la réalité sur le terrain.

En outre, plus une organisation est diversifiée, plus le taux de rétention des employés est susceptible d’être élevé. Il est essentiel de créer un lieu qui favorise la diversité des idées et des personnes pour mettre en place un environnement de travail sain. Cela commence par la diversification des dirigeants.

Un environnement de travail positif et sain est particulièrement important pour les organismes de bienfaisance qui dépendent des bénévoles et de la volonté des gens de donner de leur temps. Créer un espace où les employés et les bénévoles se sentent les bienvenus et soutenus par leurs dirigeants est essentiel pour les fidéliser pendant des années et ainsi réduire les coûts de formation et le roulement du personnel.

Enfin, comme nous le savons tous, les bonnes idées ne sont pas le fait d’individus intelligents; elles sont le fait d’un groupe de personnes, issues de milieux divers, qui travaillent ensemble pour trouver les bonnes solutions. Les organismes caritatifs canadiens sont plus que jamais sollicités et soumis à une pression accrue pour répondre aux besoins croissants de nos concitoyens. Leur succès dépendra fortement des idées intelligentes de nos individus les plus brillants et les plus diversifiés, et ces esprits brillants doivent occuper des postes de direction.

Comme je le dis toujours : gérer les résultats, c’est obtenir des résultats. Si l’on gère des activités, on obtient des activités. La gestion des résultats devrait toujours avoir la priorité sur la gestion des activités. Gérer la diversité aboutira à des résultats et il faut la gérer.

Si nous voulons faire des progrès réels et durables en matière de diversité dans ce pays, nous devons savoir avec quoi nous travaillons. Cela commence avec le projet de loi S-279 et l’obligation de publier des statistiques non spécifiques sur la diversité dans les postes de direction au sein du secteur caritatif.

Nous devons disposer de ces informations brutes pour favoriser la diversité à tous les niveaux du secteur caritatif. Le projet de loi S-279 est un premier pas modeste mais nécessaire pour placer des équipes diversifiées à la tête des organismes de bienfaisance du Canada. Naturellement, cela devrait aider les organismes de bienfaisance à mieux servir leur clientèle.

Lorsque la sénatrice Ratna Omidvar s’est exprimée sur le projet de loi en deuxième lecture en février, elle nous a rappelé un problème crucial auquel ce secteur est confronté. Elle a dit : « [...] le secteur peut se rallier à la diversité en théorie, mais il doit encore la mettre pleinement en œuvre dans la pratique. »

Comme l’a rappelé notre honorable collègue, il existe manifestement un fossé entre la rhétorique et la pratique qu’il convient de combler.

Les organisations, les fondations, les organismes sans but lucratif et les organismes de bienfaisance sont tous déterminés à diversifier leurs activités, mais je prédis que les données que nous finirons par recueillir — si ce projet de loi est adopté — nous montreront qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour que les organisations soient vraiment représentatives de la population canadienne. Ce projet de loi ne vise pas à humilier qui que ce soit. Il s’agit de s’améliorer.

Non seulement les efforts déployés dans le cadre de ce projet de loi sont significatifs, mais ils ont été bien accueillis par les dirigeants de l’industrie.

Avant d’être nommé au Sénat, j’ai siégé au conseil d’administration de nombreux organismes sans but lucratif. J’ai communiqué avec des amis, d’anciens collègues et des experts du secteur caritatif, et j’ai reçu des commentaires très positifs sur le projet de loi S-279.

Un expert de l’industrie a accueilli favorablement cette initiative et a estimé que les exigences supplémentaires en matière de rapports ne seraient probablement pas lourdes. C’est une bonne nouvelle, car nous ne voulons pas alourdir le fardeau administratif des organismes de bienfaisance, qui manquent souvent de personnel.

Un autre collègue estimait que le projet de loi S-279 contribuerait à rendre le Canada plus inclusif et considérait ce projet de loi comme un pas concret dans la bonne direction.

La diversité va de soi. En tant qu’ancien banquier et cadre supérieur à la Banque Royale du Canada, je peux dire que la diversité faisait partie de notre ADN. Nous avons rapidement reconnu l’incidence positive que la diversité pouvait avoir sur notre organisation à tous les niveaux, en particulier aux échelons supérieurs.

Diversifier la main-d’œuvre comporte de nombreux avantages. Cela permet d’élargir les possibilités qui s’offrent aux entreprises à l’échelle mondiale. Cela peut renforcer les relations avec les personnes servies par cette main-d’œuvre, qu’il s’agisse de clients, de patients, de fournisseurs ou d’autres intervenants importants. Cela peut améliorer la créativité, la capacité d’innovation et la prise de décision. Cela peut améliorer la réputation organisationnelle. Cela peut améliorer le recrutement et le maintien en poste de gens parmi les plus talentueux. Cela peut mener à une croissance et un rendement accrus. Cela peut améliorer la culture d’entreprise et l’image de marque. La liste est longue.

Les avantages de la diversité sont indéniables. Tous ces avantages sont rentables, que ce soit sur le plan des bénéfices, de la valeur des actions, de la satisfaction des clients, de l’efficacité des programmes et des services ou du nombre de nouveaux produits mis en marché.

Bien que ce projet de loi ne soit pas le remède à un manque de diversité au sein des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif, il nous aidera à confirmer le diagnostic.

La première étape dans la lutte contre un problème d’une telle ampleur consiste à déterminer où nous en sommes actuellement, car si nous ne savons pas où nous sommes, on ne pourra jamais savoir où aller.

Le projet de loi S-279 est vraiment avantageux pour toutes les parties concernées. Il devrait promouvoir de bonnes pratiques commerciales pour les organismes de bienfaisance, offrir plus de possibilités à des Canadiens talentueux issus de la diversité, et aider à mieux servir les Canadiens.

Un vote en faveur de ce projet de loi est un vote en faveur de la promotion de la diversité dans notre pays.

Si nous voulons mettre le pied sur l’accélérateur avec conviction et ambition, nous devons d’abord savoir ce qui se cache sous le capot. Ce n’est qu’alors que nous pourrons prendre la route, franchir la ligne d’arrivée et parvenir à un point où la diversité fera partie intégrante des équipes dirigeantes des secteurs caritatifs.

Je sais ce que vous pensez tous : encore des changements à la Loi de l’impôt sur le revenu? Cette loi n’est-elle pas déjà trop compliquée, alambiquée et contraignante pour les contribuables, les entreprises et les fiscalistes canadiens? Je reconnais que la loi a désespérément besoin d’être réformée et simplifiée. Après tout, elle ne fait que 3 400 pages.

Ajouter de nouvelles dispositions à la loi n’est pas idéal. Toutefois, s’il est adopté, le projet de loi n’ajoutera que quelques phrases supplémentaires à la loi. Je pense que cela en vaut largement la peine.

Chers collègues, je termine mon intervention en remerciant une fois de plus la sénatrice Omidvar d’avoir présenté ce projet de loi et d’avoir été une ardente défenseure du secteur caritatif. Comme nous le savons, notre collègue prendra bientôt sa retraite du Sénat.

En son honneur, en soutien aux organisations caritatives et en solidarité avec la population diversifiée du Canada, je pense qu’il serait merveilleux que nous acceptions de renvoyer son projet de loi en comité avant les vacances d’été, afin qu’il se rapproche un peu plus de la ligne d’arrivée. Nous devrions tous soutenir ce projet de loi.

Merci, meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

(2240)

L’étude des questions concernant les anciens combattants

Adoption du septième rapport du Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants et de la demande de réponse du gouvernement

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Richards, appuyée par l’honorable sénateur Downe,

Que le septième rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, intitulé Le temps est venu : Permettre un accès équitable aux thérapies assistées par les psychédéliques, qui a été déposé auprès du greffier du Sénat le 8 novembre 2023, soit adopté et que, conformément à l’article 12-23(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, le ministre des Anciens Combattants étant désigné ministre chargé de répondre à ce rapport, en consultation avec le ministre de la Santé.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

[Français]

Le Sénat

Motion tendant à demander au gouvernement de reconnaître l’effacement des femmes et filles afghanes de la vie publique comme étant un apartheid basé sur le genre—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ataullahjan, appuyée par l’honorable sénatrice Marshall,

Que le Sénat demande au gouvernement du Canada de reconnaître l’effacement des femmes et filles afghanes de la vie publique comme étant un apartheid basé sur le genre.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Chers collègues, je prends la parole à cette heure tardive pour appuyer avec conviction la motion présentée par la sénatrice Salma Ataullahjan, qui se lit comme suit :

Que le Sénat demande au gouvernement du Canada de reconnaître l’effacement des femmes et filles afghanes de la vie publique comme étant un apartheid basé sur le genre.

L’adoption de cette motion, bien que non contraignante, enverrait un signal fort aux talibans qui, en effet, veulent carrément effacer les femmes de l’espace public afghan. Nul doute que l’Afghanistan est le pire endroit où vivre quand on est une femme, et ce n’est pas peu dire.

Depuis le départ précipité du Canada de l’Afghanistan en 2021, les femmes sont les premières victimes des changements brutaux imposés par les religieux. À la séparation des sexes s’ajoute l’exclusion des femmes de l’espace public. Les filles sont bannies de l’école secondaire, de l’université et de la plupart des secteurs d’emplois. Le port de la burqa en public est obligatoire. Les parcs et les salles de sport leur sont interdits. De plus, leurs derniers refuges, les 12 000 salons de beauté qui employaient 60 000 femmes, ont été fermés par le régime.

« Fermer mon salon, cela veut dire affamer des familles entières », raconte une esthéticienne afghane déprimée qui dit qu’elle devient folle. D’ailleurs, le taux de suicide des femmes aurait explosé, selon des sources sur place. Dans ces circonstances, il est impossible de ne pas considérer les Afghanes comme des prisonnières, au sens propre comme au sens figuré, d’un régime totalitaire qui ne leur accorde aucun droit.

À première vue, il peut sembler contre-intuitif de vouloir utiliser l’expression « apartheid basé sur le genre » pour décrire ce qui se passe en Afghanistan. L’effacement des femmes n’est pas, à première vue, l’équivalent de l’apartheid, un terme lourd et codifié dans le droit international, qui renvoie automatiquement à l’apartheid racial qui a régné en Afrique du Sud — un racisme systémique, qui a été combattu par la communauté internationale et finalement aboli.

Regardons de plus près les similitudes qui existent entre les deux situations.

Le terme « apartheid », en langue afrikaans, signifie « séparation » ou « mise à part », selon la chercheuse Karima Bennoune, citée par le quotidien Le Devoir. La professeure américaine ajoute que, tout comme l’Afrique du Sud, l’Afghanistan a enchâssé la discrimination intentionnelle, systémique et omniprésente à l’encontre des femmes dans les lois du pays. Cette oppression est donc au cœur de l’idéologie politique des talibans, tout comme l’apartheid a été l’idéologie des gouvernements sud‑africains de 1948 à 1990.

Précisons d’emblée que le concept d’apartheid basé sur le genre n’est pas reconnu en droit international. C’est ce qui doit changer, selon des juristes expertes, car le droit international actuel n’est pas adapté pour sanctionner assez sévèrement la répression systémique contre les femmes qui sévit en Afghanistan. Par contre, la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, entrée en vigueur en 1976, criminalise l’apartheid. Vingt ans plus tard, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ajoutait que le crime d’apartheid était un crime contre l’humanité, ce qui le place parmi les crimes les plus graves en droit international. Malheureusement, l’apartheid basé sur le genre ne fait pas partie de cette liste.

[Traduction]

Selon la chercheuse Karima Bennoune, dont un article approfondi a été publié en 2023 dans la Columbia Human Rights Law Review :

Analogue à l’apartheid racial, l’apartheid de genre est un système de gouvernance basé sur des lois et/ou des politiques qui imposent une ségrégation systématique entre les femmes et les hommes et peuvent également exclure systématiquement les femmes des espaces et des sphères publics. Il codifie la subordination des femmes en violation des « principes fondamentaux reconnus par le droit international », tels que le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels caractérise le droit égal des hommes et des femmes au bénéfice de tous les droits de l’être humain.

Elle poursuit :

En fin de compte, comme l’apartheid racial l’a été pour les Sud-Africains noirs, l’apartheid de genre est un effacement de l’humanité des femmes. Tous les aspects de l’existence féminine sont contrôlés et passés au crible. L’apartheid de genre imprègne toutes les institutions et tous les espaces, publics et privés. Il n’y a pas moyen d’y échapper. Le départ de la moitié de la population du pays ne doit pourtant pas être la seule solution.

[Français]

Il faut ici retenir trois choses. Pour élargir le concept d’apartheid basé sur le genre, il faudrait modifier les textes onusiens faisant référence à l’apartheid racial, et une grande mobilisation des États représentés à l’ONU serait donc nécessaire. Ce serait, disons-le, une transformation féministe marquante du droit international. Or, il n’y a pas de consensus sur un tel changement, d’où l’importance de la motion dont nous débattons au Sénat comme premier jalon.

Ce qui se passe en Afghanistan est à un tout autre niveau que la discrimination entre les femmes et les hommes qui existe dans beaucoup de pays. Par exemple, au Sénégal, la loi interdit la violence contre les femmes. Pendant que j’y étais en mission en 2017 en tant que diplomate pour le Québec, il y avait très peu, sinon aucun refuge local pour les femmes victimes de violence conjugale.

Troisièmement, certains avancent encore que la discrimination fondée sur le sexe est un enjeu religieux ou culturel, contrairement au racisme. Pourtant, on le voit bien en Afghanistan, la répression des femmes est une question politique avant tout. Les talibans interprètent et instrumentalisent la religion musulmane pour justifier ces violations des droits de toutes les femmes.

Ce qui est intéressant, quand on fouille dans le passé, c’est de se rendre compte que, lors du premier régime taliban, au milieu des années 1990, il y avait déjà une campagne internationale lancée par des féministes américaines et afghanes pour qualifier d’apartheid basé sur le genre ce qui se passait en Afghanistan, notamment les séances publiques de fouettage de femmes et les punitions pour les Afghanes victimes de viols. Cela fait donc 30 ans que le débat est lancé, sans avoir abouti.

[Traduction]

En 1998, le service de la Commission européenne à la protection civile et aux opérations d’aide humanitaire a établi un parallèle avec l’Afrique du Sud pour lancer la campagne :

Nous sommes confrontés à une question de principe comparable à celle de l’apartheid en Afrique du Sud avant les réformes. Il s’agit d’un apartheid fondé sur le genre, qui prive les femmes afghanes de leur droit de choisir leur mode de vie. Il se peut que certaines femmes choisissent de vivre selon le code de conduite ultra-fondamentaliste imposé par les talibans. À l’heure actuelle, toutes sont contraintes de le faire.

(2250)

Revenons à aujourd’hui. De plus en plus de voix s’élèvent pour renommer la tragédie vécue par les Afghanes. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan a récemment déclaré ce qui suit :

[...] l’effet cumulatif de la discrimination systématique des talibans envers les femmes et les filles soulève des inquiétudes sur la perpétration de crimes contre l’humanité.

[...] l’effet cumulatif des restrictions imposées aux femmes et aux filles [...] équivaut à « un apartheid sexiste ».

Shaharzad Akbar, ancienne présidente de la Commission afghane indépendante des droits humains, est plus directe :

Si un gouvernement refuse de reconnaître la moitié de la population, nous devrions refuser de reconnaître ce gouvernement. Si on appliquait les mêmes restrictions aux hommes, ou en fonction de la race, que ferait-on?

Récemment, un groupe de sénatrices a aussi entendu le témoignage d’Afghanes réfugiées, à l’invitation de la sénatrice McPhedran. Elles nous ont implorés de ne pas les oublier et de soulever publiquement la question. On constate les mêmes pressions à la Chambre des communes, où des militantes de l’Afghanistan et de l’Iran exhortent le gouvernement du Canada à jouer un rôle central afin d’accroître la sensibilisation à l’échelle mondiale et d’obtenir du soutien d’autres pays pour éradiquer cette forme d’apartheid fondé sur le genre.

Si le Canada décide de donner suite à notre motion et de reconnaître l’existence de l’apartheid basé sur le genre en Afghanistan, il s’agira d’un puissant outil de mobilisation. Il pourrait convaincre d’autres pays de s’engager dans la même voie. Nous ne pouvons et ne devons pas oublier les femmes afghanes. Par conséquent, je vous encourage tous à soutenir cette motion parce que les droits des femmes sont des droits de la personne. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet de la motion no 139 afin d’ajouter ma voix à celles de mes collègues, dirigés par l’honorable sénatrice Salma Ataullahjan, qui demandent au gouvernement du Canada de reconnaître que l’effacement des femmes et des filles afghanes de la vie publique en Afghanistan est une forme d’apartheid fondé sur le genre.

Ottawa, comme nous le savons, est une ville de monuments commémoratifs remarquables, comme il sied à notre capitale nationale. Selon moi, l’un des plus poignants et des plus puissants d’entre eux ne se trouve pas dans le district parlementaire. Il s’agit de la salle commémorative de l’Afghanistan, à 30 minutes de route d’ici, au quartier général de la Défense nationale.

Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de visiter ce site, permettez-moi de vous en parler un peu. Niché au centre du vaste campus de Carling, le pavillon commémoratif est un bâtiment frappant : bas, aux arêtes vives. Ses murs avant sont constitués de dalles de marbre noir bien polies, à tel point qu’elles reflètent le ciel. Les mots « Nous nous souviendrons d’eux » y sont gravés. À l’intérieur, le pavillon est baigné de lumière. Des fenêtres allant du sol au plafond donnent sur une forêt sauvage, blanche en hiver, verdoyante, comme aujourd’hui, lorsque l’été arrive enfin. Le pavillon est un hommage aux Canadiens qui ont perdu la vie en Afghanistan : 158 militaires et sept civils. Elle rend également hommage aux militaires américains qui sont morts sous le commandement du Canada.

Au centre du mémorial, il y a un gros bloc rugueux, un rocher. Les combattants talibans ont utilisé ce même rocher comme barrage routier pour forcer un véhicule militaire canadien à quitter la route. L’attaque a fonctionné et a été fatale. Les soldats canadiens ont décidé que ce rocher ne serait plus jamais utilisé pour tuer un autre Canadien. Ils l’ont trimballé jusqu’à leur base de Kandahar, où il est devenu la base d’un monument commémoratif de fortune. Un cénotaphe terrible que les soldats ont construit pour eux-mêmes, pour les leurs. Le cénotaphe officiel est constitué de marbre blanc afghan et on y présente le nom et la photo, la date et le lieu de naissance, ainsi que la date et le lieu de décès des disparus.

J’ai eu le souffle coupé en traversant le hall lors de ma première visite, il y a cinq étés. Je reconnaissais et je me souvenais d’un grand nombre de noms et de visages datant de l’époque où j’écrivais pour l’Edmonton Journal.

Les premiers Canadiens morts : le sergent Marc Léger, le caporal Ainsworth Dyer, le soldat Richard Green et le soldat Nathan Smith. Tous les quatre étaient membres de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, établie à la base des Forces canadiennes d’Edmonton. Ils ont été tués par des Américains, et non par des Afghans, lors d’un incident de tir fratricide le 17 avril 2002. J’ai couvert l’immense service commémoratif public qui a eu lieu dans l’aréna qui hébergeait alors les Oilers d’Edmonton. Des milliers de résidants d’Edmonton et de l’Alberta se sont rassemblés en cette belle journée d’avril, choqués et frappés par l’horreur d’une perte accidentelle aussi inutile. Toutefois, ces quatre décès n’étaient que les premiers d’une longue série.

Au fil des ans, d’autres cas ont été rapportés dans les médias, mais les grandes commémorations publiques ont progressivement cessé. La mort de Canadiens en Afghanistan n’est peut-être pas devenue tout à fait routinière, mais elle a cessé de nous surprendre. À Kandahar, toutefois, ce mémorial communautaire a continué de prendre de l’ampleur.

En passant devant le cénotaphe, j’ai vu la plaque commémorative de la caporale Nichola Goddard, une jeune femme de Calgary qui était officière du Royal Canadian Horse Artillery et est décédée le 17 mai 2006. J’ai vu la plaque de Michelle Lang, ma collègue du Calgary Herald, qui a été tuée par un engin explosif improvisé taliban alors qu’elle était en mission à Kandahar en 2009. Ces deux Albertaines courageuses se sont sacrifiées pour servir non seulement le peuple canadien, mais aussi le peuple, et peut-être surtout les femmes d’Afghanistan.

Tous ces noms et ces visages albertains nous rappellent avec force que cette guerre, qui se déroulait dans une contrée lointaine, a profondément touché et marqué ma province et ma ville. Edmonton et l’Alberta ont pris la guerre en Afghanistan à cœur. De nombreux Albertains ont servi à Kandahar, en particulier. Bon nombre de mes collègues de la salle de rédaction de l’Edmonton Journal se sont rendus à Kaboul et à Kandahar pour témoigner des événements et pour rapporter non seulement les récits d’horreur et de mort, mais aussi les récits de courage, de compassion et d’espoir.

Le hall commémoratif d’Afghanistan est noir, blanc et gris. Au lendemain du 11 septembre, les problèmes nous semblaient noirs et blancs; ils nous semblaient toutefois davantage gris quand le Canada a quitté l’Afghanistan en 2011.

Par un étrange concours de circonstances, je suis devenue chroniqueuse à l’Edmonton Journal, plutôt que simple journaliste, le 10 septembre 2021. Le lendemain, les tours jumelles se sont effondrées et le monde que nous pensions connaître s’est écroulé. Soudain, on attendait de moi que j’aie beaucoup d’opinions sur des sujets dont je ne savais franchement pas grand-chose, notamment sur la nécessité pour le Canada de participer aux combats en Afghanistan.

Il me semblait relativement clair, même dans le brouillard de la guerre, que les efforts de guerre américains et britanniques en Irak n’étaient pas soutenables. Cependant, la situation en Afghanistan semblait très différente. Je n’ai jamais cru qu’il était logique que le Canada engage des milliers de soldats dans la mission afghane simplement pour punir les talibans de leur soutien à Oussama ben Laden. Par contre, en tant que jeune féministe, j’avais passé des années à lire sur l’oppression monstrueuse que les talibans avaient fait subir aux femmes et aux jeunes filles d’Afghanistan. Ces histoires étaient horribles et j’étais impressionnée par le courage des journalistes, souvent des femmes, qui les avaient révélées au monde entier.

Malgré le coût humain de la guerre et les dangers physiques et moraux d’une intervention dans les affaires d’un pays qui a défié et détruit les forces d’occupation de la Grande-Bretagne, de l’Union soviétique et des États-Unis au fil des ans, j’ai appuyé la mission du Canada en Afghanistan, non pas tant pour lutter contre le terrorisme international, mettre fin au commerce de la drogue ou même stabiliser la région, mais pour libérer les femmes et les filles afghanes de l’oppression des talibans.

C’était peut-être naïf. Mon optimisme quant au potentiel de la participation du Canada était peut-être empreint d’une bonne dose de complexe de sauveur blanc néocolonial; toutefois, pendant un certain temps, les efforts déployés par le monde pour libérer les femmes afghanes de la tyrannie misogyne ont semblé porter des fruits. Les filles afghanes pouvaient à nouveau aller à l’école. Les femmes afghanes pouvaient se promener dans les rues sans surveillance masculine et sans code vestimentaire imposé. Non seulement il était permis aux femmes de travailler, mais il leur était aussi permis de jouer un rôle de premier plan en tant qu’enseignantes, médecins, journalistes, juges, politiciennes, artistes et avocates. La vie en Afghanistan sans les talibans n’était certainement pas facile, mais les femmes avaient été libérées du semi-esclavage engendré par la peur et la haine toxiques des talibans à l’égard du sexe féminin. La dictature des « incels » semblait terminée.

Puis, en février 2020, le gouvernement américain de Donald Trump a signé un accord de paix avec les talibans — un accord conclu sans le consentement ni la considération du gouvernement afghan. Quiconque avait imaginé qu’un accord entre Trump et les talibans apporterait la paix où que ce soit s’était royalement trompé. En août 2021, Kaboul est tombée aux mains des talibans, et toute illusion que quelqu’un aurait pu entretenir sur le fait que les talibans 2.0 étaient, en quelque sorte, une version plus modérée que le modèle original a rapidement été anéantie, les femmes et les filles afghanes étant dépouillées de leurs droits et libertés et retournant à un statut de citoyennes de deuxième classe. En fait, le terme « deuxième classe » ne suffit pas pour décrire avec exactitude le fait que les Afghanes sont considérées comme des « sous-personnes ».

En tant que personne d’origine juive et allemande, je ne fais pas de parallèles avec les nazis à la légère, mais c’est l’analogie la plus pertinente à laquelle je peux penser. Les nazis ont utilisé l’expression untermenschen ou « sous-hommes » pour désigner les Juifs, les homosexuels, les Roms et les Slaves — toute personne qu’ils considéraient comme sous-humaine. En privant ces gens leur humanité, ils ont été en mesure de rationaliser leur oppression mortelle.

(2300)

Cependant, si on regarde l’ensemble de l’histoire de l’humanité, dans toute son étendue, je dirais que les femmes ont été les premières untermenschen. Nous nous battons depuis des milliers d’années, partout dans le monde, pour faire reconnaître notre humanité et notre égalité. La misogynie est l’une des plus anciennes formes de haine. Elle est quasi universelle, car aucune culture ni aucune religion dans le monde n’y a échappé depuis des temps immémoriaux.

Depuis des siècles — voire des millénaires — on enseigne explicitement aux hommes que les femmes sont non seulement inférieures, mais aussi dangereuses. Notre sexualité a été diabolisée, tout comme notre intelligence. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les femmes en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest ont été en mesure de gagner un quelconque pouvoir juridique et politique. Par ailleurs, ce n’est qu’en 1929 que les femmes au Canada ont été reconnues comme des personnes juridiques, en tant que personnes tout court. En effet, ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que nous avons obtenu un tant soit peu d’égalité politique ou juridique.

En outre, plus nous en sommes venues à être reconnues comme des êtres humains à part entière, plus odieuse est devenue la contre‑attaque des sphères politiques et culturelles.

La forme particulière de misogynie militarisée des talibans, née d’une combinaison mortelle de peur et de haine, est particulièrement dangereuse en ce moment pour les femmes d’Afghanistan, mais c’est aussi une toxine infectieuse et une menace pour les femmes partout dans le monde, y compris au Canada, parce qu’elle modélise et normalise l’effacement des femmes de la vie publique et des libertés civiles. Il suffit de regarder au Sud, aux États-Unis, pour voir ce qui se passe lorsqu’une Cour suprême imprégnée de misogynie chrétienne fondamentaliste rejette des décennies de droit établi pour statuer que les femmes n’ont pas le droit de disposer de leur propre corps et qu’elles n’ont pas le droit de recevoir des soins médicaux qui leur sauveraient la vie. Tant pis pour la séparation de l’Église et de l’État, pour l’égalité devant la loi et pour les droits que nous pensions sûrs et sacro-saints.

J’ai envie de rager et de pleurer quand je songe aux promesses que nous, au Canada, avons faites aux femmes afghanes. J’ai envie de rager et de pleurer une fois de plus quand je pense à tous les Canadiens qui ont combattu et qui sont morts ou ont été blessés, physiquement et mentalement, au nom de la paix, de la stabilité et de la liberté en Afghanistan et des femmes de ce pays.

Alors que le monde ferme les yeux sur la campagne d’horreur menée contre les femmes et les filles de ce pays, nous nous moquons du sacrifice que tant de Canadiens ont consenti pour les espoirs futurs de ce pays.

Et qu’en est-il du reste d’entre nous? Dans un monde où le journalisme de qualité disparaît, où les correspondants canadiens à l’étranger deviennent presque des personnages mythiques et où le cycle de l’infodivertissement tourne aussi vite qu’un manège, nous nous sommes intéressés à l’Afghanistan pendant quelques semaines après la chute de Kaboul. Puis la crise a été reléguée au second plan par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, par l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, par les représailles d’Israël à Gaza, par Stormy Daniels et Donald Trump et par la foire qu’est la politique électorale américaine.

Et pendant que nous détournons le regard ou que nous regardons nos téléphones, les femmes et les filles d’Afghanistan, à qui nous avons tant promis, souffrent.

Alors, oui, appelons cela l’apartheid des sexes.

Mais nommer le mal n’est qu’un début. Ce qui importe plus que le nom que nous lui donnons, c’est ce que nous allons faire pour le combattre et pour lutter contre la terreur politique misogyne — en Afghanistan et dans le monde entier.

Merci, hiy hiy.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Osler, au nom de la sénatrice Patterson, le débat est ajourné.)

La violence entre partenaires intimes

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Boniface, attirant l’attention du Sénat sur la violence entre partenaires intimes, en particulier en milieu rural dans tout le Canada, en réponse à l’enquête du coroner menée dans le comté de Renfrew, en Ontario.

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénatrice Clement. Je demande qu’il demeure ajourné à son nom après mon intervention d’aujourd’hui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Il en est ainsi ordonné.

Le sénateur Cotter : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation no 10, une sage démarche lancée par la sénatrice Boniface à propos de la violence exercée par les partenaires intimes. Je joins ma voix à celles de six collègues qui sont intervenus avant moi et de beaucoup d’entre vous qui n’ont peut-être pas eu l’occasion d’intervenir pour dénoncer la violence entre partenaires intimes. J’espère que nous pourrons faire avancer les choses pour mettre fin à ce fléau dans notre pays.

Je me propose d’aborder deux aspects de la violence entre partenaires intimes : premièrement, l’ampleur du problème en Saskatchewan et, deuxièmement, les hommes.

Tout d’abord, il est regrettable que la Saskatchewan ait les taux de violence familiale et de violence entre partenaires intimes les plus élevés du pays. En 2022, les taux de violence entre partenaires intimes et de violence familiale y étaient deux fois plus élevés que la moyenne nationale. Comme dans le reste du pays, la grande majorité des victimes sont des femmes, et la grande majorité des auteurs de violence sont des hommes. Compte tenu des nombreux problèmes intersectionnels que rencontrent les femmes lorsqu’elles signalent des cas de violence entre partenaires intimes — un phénomène intéressant —, il est probable que les statistiques soient beaucoup plus élevées.

Crystal Giesbrecht, directrice de la recherche et des communications de Provincial Association of Transition Houses and Services de la Saskatchewan, a commenté ces statistiques en disant qu’elles n’étaient pas « [...] surprenantes, mais décevantes ».

Un certain nombre de facteurs contribuent à cette situation : la Saskatchewan est unique en raison de sa forte proportion de communautés rurales et autochtones. Sur ce point, je voudrais noter et reconnaître les observations des sénatrices Hartling et Boniface au sujet de la violence entre partenaires intimes dans les régions rurales, ainsi que les observations de la sénatrice Boyer sur les taux élevés de violence à l’encontre des femmes et des filles autochtones. Tragiquement, les femmes des régions rurales et les femmes autochtones subissent des taux de violence plus élevés, des violences physiques plus graves et un risque plus élevé d’homicide entre partenaires intimes.

Ces femmes se heurtent à des obstacles considérables et mortels lorsqu’il s’agit d’accéder aux ressources. Les services sont souvent trop peu nombreux, trop éloignés et inaccessibles; l’anonymat est un problème dans les petites communautés, tout comme la disponibilité limitée des services, les barrières géographiques, la discrimination systémique — vous connaissez la liste.

Malgré le travail important des militants dans notre province, il y a un manque flagrant de refuges sûrs, de transports et de services pouvant être obtenus en temps opportun.

On ne saurait trop insister sur les risques liés à l’absence de prévention de la violence entre partenaires intimes et de réponse à cette violence. À cet égard, permettez-moi de me référer à des conclusions récentes en provenance de la Saskatchewan. Le 19 octobre 2023, la Saskatchewan Brain Injury Association a organisé ce qu’elle a appelé le Purple Thursday, un colloque de sensibilisation à la violence entre partenaires intimes. Les participants ont appris qu’une femme sur trois sera confrontée à la violence d’un partenaire intime au cours de sa vie. Nous avons des filles, des sœurs, des mères et des petites-filles; il est difficile de s’imaginer qu’un aussi grand nombre d’entre elles seront exposées à ce type de violence. Une femme sur huit subira une lésion cérébrale à cause de cette violence. En Saskatchewan, les femmes risquent autant de souffrir d’une lésion cérébrale provoquée par le comportement violent d’un partenaire intime que de développer un cancer du sein. Ces deux situations sont tragiques; il serait bon de pouvoir les prévenir.

Comme je l’ai mentionné, les femmes autochtones et les femmes vivant dans des régions rurales sont exposées à un risque accru de violence entre partenaires intimes. De 2015 à 2020, 37 homicides entre partenaires intimes ont été recensés en Saskatchewan. Dix‑sept des femmes tuées étaient autochtones — ce qui représente près de 40 % —, et on comptait 29 femmes parmi les 37 victimes. Un certain nombre de ces femmes avaient déjà contacté la police pour signaler des actes de violence. En Saskatchewan, les femmes sont trois fois plus susceptibles que les hommes d’être victimes d’un homicide conjugal.

Voici ce qui est tragique : la violence entre partenaires intimes est prévisible et évitable. Les signes avant-coureurs ont été bien documentés par les défenseurs de la cause. La période la plus dangereuse dans une relation abusive se produit lorsqu’une victime envisage de partir. Plus de 12 des femmes tuées en Saskatchewan dans cette période de cinq ans s’étaient récemment séparées de leur partenaire ou avaient indiqué leur désir de partir.

Je vais ouvrir une parenthèse pour répéter une histoire personnelle. Il est difficile pour moi de la raconter. Je l’ai fait il y a quelques années au Sénat. J’établirai ensuite des liens entre cette histoire et le deuxième thème que je veux aborder.

(2310)

Il y a de nombreuses années, quand j’étais un jeune avocat, j’ai représenté une femme qui demandait un divorce non contesté. À l’époque, il fallait encore aller devant les tribunaux et présenter des preuves, même dans le cas d’un divorce non contesté.

Le motif du divorce était la cruauté physique. La femme a déclaré devant le juge qu’un soir, elle a mis son manteau pour sortir. Son mari lui a demandé où elle allait et, quand elle lui a répondu qu’elle avait l’intention de déménager et qu’elle allait chercher un appartement, il lui a donné un coup de poing au visage qui l’a fait tomber à la renverse. En résumé, le juge m’a demandé quelles étaient les preuves de cruauté physique qui justifiaient le divorce. Quand j’ai évoqué le coup de poing qui avait projeté la femme au sol, il a répondu — je m’en souviens encore 45 ans plus tard : « Ce n’est pas de la cruauté. Elle le méritait. »

J’ai trouvé un autre moyen d’obtenir le divorce de la femme, mais, à part cela, je n’ai rien fait — c’est en quelque sorte là où je veux en venir — en ce qui concerne la violence du mari et le juge, sauf bien des années plus tard. Maintenant que je sais quels étaient les risques à l’époque pour cette femme, j’ai le sentiment d’avoir échoué.

Je reviendrai sur cet incident dans quelques instants. Je veux ajouter ma voix aux appels qui déclarent qu’il s’agit d’une épidémie. Le gouvernement fédéral a qualifié la violence conjugale d’épidémie. Des instituts de recherche comme RESOLVE, un réseau de recherche communautaire, ont exhorté les gouvernements provinciaux du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta à déclarer que la violence entre partenaires intimes est une épidémie et à tenter d’en atténuer les conséquences. La Commission des pertes massives en Nouvelle-Écosse a fait la même remarque.

Pour poursuivre sur ce point, il est important de déterminer, comme tant d’autres l’ont fait, les moyens les plus efficaces de protéger les victimes de la violence entre partenaires intimes. Je souhaite approuver ce que d’autres ont dit sur ce point, mais je veux aborder une autre dimension, la seule qui, selon moi, pourrait éradiquer efficacement cette épidémie.

À mon avis et de l’avis de nombreux experts, les attitudes et les comportements associés à la violence entre partenaires intimes sont profondément ancrés dans la société. Dans la société, il existe une culture toxique qui donne l’impression que la violence à l’égard des femmes est légitime ou du moins tolérable dans une très large mesure. Si nous ne nous attaquons pas à ces mentalités, cette culture toxique perdurera et nous ne pourrons pas lutter efficacement contre cette épidémie.

En réfléchissant à ces points, je me suis souvenu d’une chose. Jusqu’à une date relativement récente — jusqu’en 1983, pour être exact — nos lois autorisaient, cautionnaient même, des violences sexuelles graves envers des partenaires intimes. Jusqu’à sa modification en 1983, le Code criminel définissait le viol de la manière suivante. Un homme commet un viol lorsqu’il a des relations sexuelles avec une personne de sexe féminin qui n’est pas son épouse, sans son consentement. Telle était la loi au Canada de 1892 à 1983. C’était la loi pendant presque toute la première décennie où j’ai pratiqué le droit. Il ne s’agissait pas seulement d’une culture, mais d’une sanction légale — presque une invitation à l’agression sexuelle de son épouse. Il n’est pas surprenant que la culture qui tolère la violence entre partenaires intimes perdure.

Comme l’ont reconnu la Commission des pertes massives et d’autres, l’éducation est essentielle pour amorcer un changement de culture, et c’est là mon principal argument. La Commission des pertes massives a clairement indiqué que des modules d’éducation qui abordent ces questions de la maternelle au secondaire, et dans les collèges et les universités sont des outils essentiels pour parvenir à un changement culturel. À cet égard, j’ai été déçu d’apprendre qu’en retirant récemment les éducateurs tiers des programmes d’éducation sexuelle dans les écoles de la Saskatchewan, où ce genre de violence est le plus répandu, l’éducation concernant le consentement et l’intégrité corporelle semble également avoir pâti.

La Commission des pertes massives a aussi recommandé d’améliorer la formation des policiers et des professionnels de la justice en ce qui concerne la violence entre partenaires intimes. J’ajouterais qu’en plus d’avoir accès à des possibilités de perfectionnement professionnel dans ce domaine, les juges doivent participer pleinement à ce changement de culture grâce à leur apprentissage et à leurs décisions.

À propos de ce dernier point, bien que l’affaire dont j’ai parlé plus tôt, au sujet d’une femme qui demandait le divorce et de la réaction du juge, date un peu, elle peut au moins servir de mise en garde, je crois. Cela m’amène à mon deuxième point, soit les hommes. Je me plais à penser que personne, au Sénat, y compris moi-même et la plupart des hommes, ne pose de gestes violents envers les femmes. C’est le premier engagement que nous devrions prendre envers nous-mêmes et envers la société, mais cela ne suffit pas, comme le montre clairement l’échec que j’ai connu il y a quelques décennies. Nous devons contribuer de façon proactive à la solution.

Dans cette optique, voici ce que dit le réseau RESOLVE :

[...] Depuis trop longtemps, les efforts nécessaires pour protéger et soutenir les femmes et leurs enfants sont un fardeau porté par les travailleurs des refuges, les défenseurs des droits des femmes, et même les femmes elles-mêmes.

La Commission des pertes massives a bien entendu ce message. Voici ce qu’elle dit :

Nous reconnaissons l’impérieuse nécessité que davantage d’hommes et de garçons participent activement aux efforts de prévention de la violence fondée sur le sexe et aux réponses à y apporter. Pour comble, ce sont les femmes, en particulier les survivantes de la violence fondée sur le sexe, qui sont également contraintes d’œuvrer sans répit à ce changement. Il est temps que plus d’hommes participent à la solution. Nous citons à nouveau les propos de Mme Bookchin, qui a expliqué : « Depuis des décennies, sinon des centaines d’années, l’essentiel de la responsabilité de ce travail repose sur les épaules des femmes. Nous avons besoin que les hommes s’engagent […] »

Comment pouvons-nous y parvenir? Premièrement, en soutenant les conclusions et le large éventail de stratégies élaborées pour lutter contre cette épidémie; deuxièmement, en dénonçant les comportements et le langage qui soutiennent ou appuient cette culture toxique que nous essayons d’éliminer; troisièmement, en intervenant de manière sécuritaire lorsque des incidents se produisent.

Cela semble risqué. Nous ne sommes pas tous des héros. Cependant, sur tous ces points, la Commission des pertes massives a exposé en détail des stratégies de pratiques optimales, particulièrement applicables aux hommes, pour faire face aux incidents de violence entre partenaires intimes. En effet, l’une des recommandations de la commission, qui résume cet engagement en une phrase, est la suivante : « Les hommes prennent des mesures individuelles et concertées pour contribuer à mettre fin à cette épidémie. »

Nous avons tous un rôle à jouer pour mettre fin à la violence entre partenaires intimes et à ses conséquences mortelles. J’espère qu’en participant à ce débat dans cette enceinte, nous contribuerons à renouveler les efforts que nous devons déployer de toute urgence afin de répondre à cette crise. Je remercie la sénatrice Boniface d’avoir mis cette question de l’avant de cette façon. Cela nous pousse notamment à agir collectivement pour trouver une solution. La prochaine victime pourrait être la sœur, la fille ou la mère de quelqu’un. Faisons de notre mieux pour empêcher cela.

Merci.

(Le débat est ajourné.)

Le décès de l’honorable Ian Shugart, c.p.

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, attirant l’attention du Sénat sur la vie de feu l’honorable Ian Shugart, c.p.

(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, le débat est ajourné.)

Le Sénat

Motion tendant à reconnaître le mois d’octobre comme Mois du patrimoine coréen—Ajournement du débat

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition), conformément au préavis donné le 16 avril 2024, propose :

Que le Sénat reconnaisse le mois d’octobre de chaque année comme Mois du patrimoine coréen, étant donné la contribution des Canadiens d’origine coréenne à la société canadienne, l’amitié et les liens bilatéraux profondément enracinés entre le Canada et la Corée, et l’importance du patrimoine et de la culture coréens dans le tissu social du Canada.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

L’avenir de CBC/Radio-Canada

Interpellation—Ajournement du débat

L’honorable Andrew Cardozo, ayant donné préavis le 7 mai 2024 :

Qu’il attirera l’attention du Sénat sur l’avenir de CBC/Radio-Canada.

— Honorables sénateurs, je vous remercie d’être restés pour mon discours, malgré l’heure tardive. Chers collègues, je lance aujourd’hui une interpellation, un débat sur l’avenir de CBC/Radio-Canada. Depuis sa création, le radiodiffuseur public national a joué un rôle clé dans le développement de ce que nous sommes en tant que Canadiens.

(2320)

[Traduction]

Ce sujet est au cœur de notre mode de communication et de notre identité en tant que pays.

En 1936, lorsque le premier ministre conservateur R.B. Bennett a créé la Commission canadienne de la radiodiffusion, ou CCR, la société d’État est devenue ce lien vital qui reliait tous les Canadiens. Voici le point intéressant : à l’époque, CBC/Radio-Canada a été créée en raison de la présence croissante d’une pléthore de services de radio et de télévision états-uniens qui entravaient la culture et le caractère canadiens. La CCR a donc été créée pour offrir une plateforme qui serait typiquement canadienne — une radio et une télévision par les Canadiens, sur les Canadiens et pour les Canadiens.

Je dirais qu’aujourd’hui, en 2024, près d’un siècle plus tard, avec l’augmentation considérable des radiodiffuseurs traditionnels états‑uniens et autres, ainsi que la croissance fulgurante des plateformes en ligne et des médias sociaux états-uniens, le besoin que CBC/Radio-Canada cherche à combler est beaucoup plus grand qu’il ne l’était en 1936.

L’énorme fragmentation des médias d’information représente un défi pour l’État-nation, car elle compromet gravement la capacité à maintenir un semblant de discours national canadien ou de communauté nationale. À mesure que les gens se replient sur leurs diverses caisses de résonance dans ce nouveau monde médiatique, l’essence même de chaque pays est soumise à la menace la plus sérieuse qu’elle ait jamais connue. C’est pourquoi l’idée d’un radiodiffuseur public canadien devient plus importante que jamais.

Cela dit, il convient de noter que, depuis sa création, les avis à son sujet ont toujours varié. Le radiodiffuseur a eu des millions d’adeptes, mais aussi de critiques, qui lui ont reproché d’en faire trop ou de ne pas en faire assez. Certains pensent que CBC/Radio-Canada laisse trop de place aux Blancs, à la diversité ou aux Autochtones, que la société est trop anglophone ou trop francophone, trop séparatiste, trop à gauche ou à droite, trop conservatrice ou trop libérale, trop woke ou trop grand public et désuète. On l’a déjà appelée la Caucasian Broadcasting Corporation, ou la société de radiodiffusion caucasienne.

En 2024, CBC/Radio-Canada demeure profondément enracinée dans les collectivités avec une présence partout au pays, y compris 27 chaînes de télévision et 88 stations de radio qui offrent un contenu diversifié en anglais, en français et en huit langues autochtones. Radio Canada International diffuse aussi des émissions en espagnol, en arabe, en chinois, en pendjabi, en tagalog et, bien sûr, dans les deux langues officielles.

[Français]

Radio-Canada et la CBC sont le lien qui connecte les Canadiens des régions rurales et des petites villes au reste de notre vaste pays. Les informations locales mettent en lumière les histoires des habitants de ces communautés et permettent à celles-ci de rester connectées et informées grâce à un radiodiffuseur de confiance.

[Traduction]

Dans un monde de plus en plus divisé et polarisé, nous devons trouver tous les moyens possibles d’accroître la communication entre les personnes et les collectivités. Il faut demander à CBC/Radio-Canada de faire mieux qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent, sans quoi cela suscite l’isolement à grande échelle et, au final, l’instabilité politique.

En tant que radiodiffuseur national, la société a la difficile distinction de relever de nombreux patrons, dont beaucoup ont des priorités différentes. Premièrement, la société d’État indépendante doit, par l’intermédiaire de la ministre du Patrimoine canadien, rendre des comptes au Parlement, une plateforme multipartite où chaque parti a un ensemble d’exigences et d’attentes différent. Deuxièmement, elle doit satisfaire aux conditions du CRTC pour l’obtention et le renouvellement de son permis. Troisièmement, une myriade de syndicats et d’associations surveillent, avec raison, le moindre de ses mouvements. Quatrièmement, CBC/Radio-Canada doit rendre des comptes au grand public, dont tous les membres ont une opinion sur ce qu’elle devrait faire ou ne pas faire.

Il n’est pas étonnant que ses concurrents laissent entendre que CBC et Radio-Canada ont un avantage concurrentiel injuste. Toutefois, comme l’ont montré les mises à pied massives à CTV malgré la situation lucrative de Bell, cela revient un peu trop à crier au loup. Il faut prendre les arguments du secteur privé avec un grain de sel. Ce secteur doit montrer un engagement accru envers les impératifs culturels de la radiodiffusion.

Une chose que CBC/Radio-Canada fait bien, c’est maintenir la qualité élevée de ses émissions d’information et d’affaires publiques, ce qui pousse ses concurrents à faire de même. On n’a qu’à regarder ce qui se fait à la télévision américaine pour voir comment fonctionne un système sans normes de qualité élevées. Il est évident que CBC/Radio-Canada a un énorme mandat et qu’il est parfois difficile, voire impossible, de satisfaire tout le monde en même temps.

Pourquoi discuter de CBC/Radio-Canada à ce moment-ci? Je crois qu’il y a deux grandes raisons : premièrement, parce que l’extrême fragmentation du paysage médiatique depuis quelques dizaines d’années et la disparition de nombreux médias privés — une véritable crise des médias d’information au Canada — exige une révision en profondeur du rôle du diffuseur public. Nous avons besoin d’un nouveau plan et d’une nouvelle stratégie pour les décennies à venir.

Deuxièmement, c’est parce que, pour la première dans l’histoire de CBC/Radio-Canada, un grand parti politique en réclame la fermeture, d’une manière qui n’a toutefois pas encore été annoncée. Il s’agit de la plus grande menace politique qui pèse sur ce fleuron canadien. Pour paraphraser Mark Twain, rien ne stimule davantage l’esprit que la perspective d’être envoyé à la potence après les prochaines élections.

Les sentiments ont leur place lorsqu’on songe aux réalisations passées, tout comme il est permis d’exprimer des reproches au sujet de cet énorme service national à plusieurs volets, comme chacun d’entre nous peut vouloir le faire. Dans ce monde grouillant d’activité, à l’ère de l’hyperinformation, j’aimerais me concentrer sur ce que CBC/Radio-Canada devrait faire à l’avenir. Que faisons‑nous maintenant? Quelle belle occasion de réfléchir à cet avenir!

Tout d’abord, permettez-moi de vous décrire rapidement ce dont nous parlons. Nous parlons essentiellement de 12 services, mais je ne vais pas les passer tous en revue. Je vais les diviser en six services anglophones et six services francophones. Nous avons deux réseaux radiophoniques, un pour les nouvelles et l’autre pour la musique; deux réseaux de télévision, un pour le divertissement général et l’autre pour les nouvelles; un site Web robuste qui couvre tout, allant des articles écrits aux divers contenus vidéo; et des plateformes numériques — sa propre plateforme et sa présence sur les médias sociaux —, tout cela multiplié par deux : six pour les anglophones et six les francophones.

Pour l’année 2024-2025, CBC/Radio-Canada recevra 1,38 milliard de dollars en subvention annuelle du gouvernement fédéral, soit environ 70 % de son budget, et générera le reste de ses revenus grâce à la publicité et aux frais de service. Il est important de noter que sur 20 pays occidentaux, le Canada se classe dix-septième en ce qui concerne le financement de son diffuseur national. Les crédits parlementaires alloués à CBC/Radio-Canada s’élèvent à environ 33 $ par personne chaque année. Les seuls services qui ne sont pas financés par le gouvernement sont les chaînes télévisées d’information pour lesquelles les consommateurs paient des frais distincts, comme c’est le cas pour toutes les chaînes spécialisées comme les chaînes sportives et les chaînes de films.

La société a entrepris de se numériser de plus en plus, afin d’aller là où les Canadiens vont, quand ils y vont, plutôt que d’attendre que l’auditoire vienne à elle. Voici quelques chiffres sur les cotes d’écoute qui sont pertinents dans notre discussion. Environ 21,3 millions de Canadiens utilisent les services numériques de CBC/Radio-Canada chaque mois. En outre, les émissions radiophoniques locales de CBC/Radio-Canada sont les plus écoutées dans 21 des 30 marchés du pays. Dans les neuf autres, elles arrivent en deuxième place.

Il est important de noter que le volet francophone de CBC/Radio-Canada est plus populaire que le volet anglophone et qu’il joue un rôle culturel plus important au Québec que dans le monde francophone canadien. Il y a au moins deux raisons à cela.

En Amérique du Nord, où le contenu est principalement anglophone, les programmes français ont d’excellentes cotes d’écoute au sein des téléspectateurs francophones, tandis que le volet anglophone de CBC/Radio-Canada doit se mesurer à un nombre considérable de concurrents. Les Canadiens anglophones disposent d’un vaste choix au Canada et aux États-Unis, tandis qu’il y a comparativement moins de réseaux français qui intéressent le public québécois et canadien. Radio-Canada est d’ailleurs réputée pour la qualité de ses émissions.

(2330)

Si l’objectif est de réduire le financement, les questions qui se posent sont les suivantes : les services en anglais et en français seront-ils réduits de la même manière? Si les services en français sont maintenus alors que les services en anglais sont supprimés, les contribuables anglophones continueront-ils à subventionner les services en français tout en se voyant refuser l’accès à des services en anglais similaires? Est-ce que ce sont les informations ou le divertissement qui seront supprimés? Les partisans de la réduction du financement doivent être clairs sur ce point.

Si certains attaquent de temps à autre CBC/Radio-Canada en raison d’un reportage donné sur la chaîne et demandent au gouvernement fédéral de rectifier le tir, ils le font en sachant que le diffuseur public est indépendant du gouvernement élu, et que ce dernier ne peut pas lui dire ce qu’il doit dire ou ne pas dire. Cela en ferait un diffuseur d’État et non un diffuseur public indépendant, alors que c’est sa vocation. Les plaintes sont adressées à l’ombudsman de CBC/Radio-Canada et à la direction de la société.

[Français]

Le gouvernement élu ne devrait jamais, jamais être appelé à interférer avec la couverture de l’actualité par le radiodiffuseur indépendant.

[Traduction]

En conclusion — je sais que vous attendiez ces mots —, j’ai quelques idées à proposer : se départir de CBC Radio 2 et rendre les licences au CRTC; augmenter radicalement le nombre d’émissions qui favorisent le dialogue, comme Tout le monde en parle et Cross Country Checkup, pour permettre aux Canadiens de s’écouter et d’apprendre les uns des autres; inclure au moins un sujet — dans un bulletin national et régional — relevant des nouvelles locales de diverses régions du pays; accroître la capacité de tous les partis politiques et leurs partisans d’avoir du temps d’antenne substantiel et sans filtre; augmenter le nombre de bureaux de petites villes, en utilisant de petits studios ou des correspondants à temps partiel; s’ouvrir sur le monde avec des émissions de calibre mondial qui attirent les esprits les plus brillants pour parler des sujets d’actualité et multiplier les efforts en ce sens — en mettant de l’avant des émissions qui seront regardées partout sur la planète; enfin, mettre au point un plan quinquennal de numérisation visant l’ensemble de la programmation et, plus important encore, créer des émissions principalement destinées aux plateformes numériques.

Je terminerai par une réflexion : dans le monde d’aujourd’hui — le monde de l’hyper-information, le monde des réseaux sociaux, un monde de plus en plus polarisé, tant à l’intérieur de nombreux pays qu’entre les pays —, nous devons chercher des moyens de rassembler les gens. Il est facile d’annuler CBC/Radio-Canada. La culture de l’annulation est facile. L’annulation de notre culture est facile. Je vous mets au défi, chers collègues, de vous concentrer sur la présentation d’idées nouvelles et audacieuses qui contribueront à bâtir notre pays dans la nouvelle ère d’hyper-information dans laquelle nous vivons et à laquelle nous serons confrontés dans les années à venir. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice White, le débat est ajourné.)

(À 23 h 34, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Haut de page